Avant d’être (éventuellement) gagnant, le retour sur les courts de Maria Sharapova est déjà bruyant. La Russe dispute ce mercredi son premier match depuis quinze mois. C’est sans doute bon pour le business du tennis féminin. Mais pas au goût de ses adversaires.
Petit rappel à destination de ceux qui n'auraient pas suivi l'affaire : le 26 janvier 2016, à l'issue de sa défaite en quart de finale de l'Open d'Australie contre Serena Williams, Maria Sharapova est contrôlée positive au Meldonium. Ce médicament, d'abord destiné à traiter le diabète mais souvent utilisé comme un produit dopant, n'est vendu que dans les pays d'Europe de l'Est. Il a été ajouté à la liste des substances interdites le 1er janvier 2016. Après le contrôle, la joueuse avoue avoir fait «une énorme erreur» en continuant à prendre le produit qui était prescrit par son médecin sans vérifier la liste des substances interdites.
Le 8 juin 2016, la Fédération Internationale de tennis (ITF) la suspend pour deux ans, une sanction habituelle dans les cas de dopage. Une interdiction de jouer finalement ramenée à quinze mois par le Tribunal arbitral du sport (TAS) après que la joueuse a fait appel, l'institution retenant «une violation du code antidopage» mais «sans faute significative» de la part de la joueuse. On en était resté là. L'interdiction de jouer de Sharapova courait jusqu'au 26 avril. Normalement elle n'aurait pas dû pouvoir participer au «Porsche Tennis Grand Prix», le tournoi de tennis féminin sur terre battue de Stuttgart qui se tient dans la ville du 24 au 30 avril.
These colors!! 😍 Hey Germany 🇩🇪 pic.twitter.com/oDhBmuWm3E
— Maria Sharapova (@MariaSharapova) April 21, 2017
Mais c’était sans compter sur la notoriété de la joueuse et sa capacité à ramener du public, une donnée dont les organisateurs du tournoi sont bien conscients. Pour lui permettre de participer, ces derniers l’ont autorisée à jouer son premier match le mercredi 26, ce qui est d’ordinaire réservé aux têtes de série. A cette première faveur s’en est ajoutée une deuxième : Sharapova n’est plus classée à la WTA, n’ayant plus joué depuis l’Open d’Australie 2016. Elle ne pouvait donc participer sans une «wild card», une invitation laissée à la discrétion des organisateurs qui l’accordent d’ordinaire à des compétiteurs de leur pays, à des joueurs revenant de blessure ou à des espoirs particulièrement prometteurs. Un sésame qui lui a été accordé en mars et qui a du mal à passer chez les autres joueuses du tournoi.
Deux poids deux mesures
«Je ne suis pas d'accord avec le fait de donner des wild cards dans ce tournoi, mais aussi au tournoi de Rome ou dans n'importe quel autre tournoi», a notamment déclaré Roberta Vinci, la 36e joueuse mondiale, adversaire de Sharapova aujourd'hui. A l'occasion d'une conférence de presse organisée en début de semaine, la joueuse italienne s'est amusée du très grand nombre de journalistes présents, bien consciente de l'effet produit par sa médiatique adversaire. «Elle a fait des erreurs, c'est sûr, mais elle a payé. Elle peut revenir jouer — mais sans aucunes wild card», a-t-elle finalement consenti.
Classic @roberta_vinci as she sits for pre-press @PorscheTennis. "Wow, wow, wow. Why so many journalists? I don’t understand (laughs)."
— WTA Insider (@WTA_insider) April 24, 2017
D'autres joueuses sont beaucoup plus critiques. «Elle va pouvoir arriver mercredi et commencer son tournoi comme ça, c'est un peu bizarre pour les autres joueuses», avait notamment commenté l'Allemande Angelique Kerber au mois de mars, lorsque le sésame a été délivré à la russe. «C'est un tournoi allemand, des joueuses allemandes auraient besoin d'invitation», a déclaré l'ex-numéro 1 mondiale.
15 month of waiting will end in #Stuttgart tomorrow, 6:30 pm @MariaSharapova
— Porsche Tennis (@PorscheTennis) April 25, 2017
🚗🎾#PTGP2017 #PTGP #40love pic.twitter.com/ZdkSIrbctX
Même son de cloche du côté de la Danoise Caroline Wozniacki, selon laquelle le retour de la Russe aurait pu être différé d'une semaine, et dans un tournoi de moindre calibre. «Je trouve très discutable de permettre à une joueuse encore suspendue – quelle qu'elle soit – de participer à un tournoi la semaine même» de la fin de sa suspension, a-t-elle ainsi noté. «Tout le monde mérite une deuxième chance. Mais en même temps, je trouve que lorsqu'un joueur est suspendu pour dopage, il devrait repartir de zéro et mériter son retour, car c'est différent d'une blessure», a estimé la Danoise.
Reconquête des sponsors
Dans une interview à l'Equipe, la française Alizé Cornet, 41e joueuse mondiale, a elle aussi critiqué cette décision : «Si j'écoute ma morale, je me dis qu'une joueuse déclarée positive devrait repartir du point de départ et regagner comme tout le monde sa place parmi les meilleures. On ne devrait pas lui dérouler le tapis rouge. En plus, elle a largement les moyens de revenir sans qu'on l'aide comme ça. Maria est une très grande championne, et bien qu'elle nous le prouve.»
Au-delà des faveurs, ce qui énerve c'est aussi sa propension à gérer le tennis comme un business. Car pour la joueuse russe, l'autre grand enjeu de cette reprise, c'est la reconquête des sponsors, qui n'avaient pas perdu de temps pour la lâcher à l'annonce du contrôle positif (Nike, Tag Heuer, Porsche…). Sharapova n'a d'ailleurs jamais caché son goût pour les affaires. Elle a été pendant onze ans (2005-2015) la joueuse la mieux payée du monde grâce à d'innombrables contrats publicitaires, puis aux revenus de sa marque de sucrerie «Sugarpova». Sa fortune est aujourd'hui estimée à plus de 200 millions de dollars (183 millions d'euros).
Welcome back, @MariaSharapova! #PTGP2017 #40love pic.twitter.com/EKaSzVH9pX
— Porsche Tennis (@PorscheTennis) April 26, 2017
Autant dire que Maria Sharapova est une tête de gondole parfaite pour la promotion du tennis féminin, qui en manque d’autant plus au moment où sa mégastar, Serena Williams, part en congé mat'. Qui, au-delà des amateurs éclairés, connaît Angelique Kerber, Karolina Pliskova, Dominika Cibulkova ou Simona Halep, les quatre meilleures joueuses mondiales après l’Américaine.
Roland-Garros en ligne de mire
Si les critiques sont aussi virulentes c'est aussi que se profile le tournoi de Roland-Garros, auquel la joueuse russe voudrait participer. Pour cela, les organisateurs devraient là-aussi lui délivrer une invitation. Mais la porte du tournoi ne s'ouvrira peut-être pas aussi facilement. La Fédération française de tennis (FFT), réticente, se prononcera définitivement dans la semaine du 15 mai. A l'image de la française Alizé Cornet, beaucoup espèrent que la FFT ne se laissera pas influencer : «J'espère que Bernard Giudicelli [président de la FFT] tiendra bon sur ses premières déclarations et ne lui offrira pas une wild card pour Roland. Heureusement que je ne fais pas partie du comité qui prendra la décision, sinon je mettrais un bordel pas possible», déclarait-elle dans sa même interview à l'Equipe. Bernard Giudicelli a d'ailleurs confirmé ce mercredi matin qu'il ne comptait pas faire de faveurs à la joueuse russe.
B. Giudicelli : "Roland-Garros n'est pas un opéra rock. Maria Sharapova attendra la décision pour sa wild-card comme tout le monde." #RG17
— Louis Vix (@VixLouis) April 26, 2017
Si la réponse de la FFT était négative, Sharapova déciderait peut-être de s’aligner dans les qualifications. Mais encore faudrait-il que son classement le lui permette. La liste des prétendantes étant fixée quatre semaines avant, la Russe n’a que Stuttgart pour marquer des points. Il lui faudra probablement aller en finale, voire gagner le tournoi. Ce qui sera tout sauf une formalité pour la quintuple championne en Grand Chelem. Outre l’Italienne Roberta Vinci, le tableau est particulièrement relevé sur la terre battue allemande avec Kerber, la Tchèque Karolina Pliskova (numéro 3), la Roumaine Simona Halep (numéro 5) et la Britannique Johanna Konta (numéro 7).