Menu
Libération
Cyclisme

Tour d’Italie : l’idée casse-gueule d’un trophée du meilleur descendeur

Le Giro, qui démarre ce vendredi, veut pour la première fois récompenser les coureurs qui descendent le plus vite. C’est-à-dire qui dépassent parfois les 100 km/h… Un projet mal accepté par le peloton, traumatisé par une série de chutes.
Le prix du risque dans une descente : le Russe Zakarin victime d'une chute sur le Tour d'Italie l'an passé. Le bilan de santé (deux fractures) est moins impressionnant que l'image, gravée dans les mémoires du peloton. (Photo Luk Benies. AFP)
publié le 2 mai 2017 à 10h16

Après le «meilleur grimpeur» et le «meilleur sprinter», pourquoi ne pas distinguer le «meilleur descendeur» du peloton? Le Giro, ou le Tour d'Italie, qui s'élancera ce vendredi de Sardaigne pour trois semaines de course, a décidé de créer un classement dédié, le «Premio Miglior Discesista», sponsorisé par la marque de pneus Pirelli. Mais cette nouveauté spectaculaire, qui s'inscrit dans le cadre de la 100e édition de l'épreuve, commence à irriter les coureurs cyclistes, traumatisés par une longue série d'accidents.

«Dangereux et irresponsable», a réagi lundi soir le syndicat des coureurs cyclistes nord-américains (ANAPRC). Joe Dombrowski, le coureur américain de Cannondale-Drapac, était encore plus direct sur son compte Twitter : «Qui a eu l'idée de cette merde ?»

Ce trophée sera disputé sur dix descentes de côte ou de col, dont celle du Stelvio, longue de 25 kilomètres et redoutée pour sa succession de virages en épingle. Pour chaque descente, le coureur chronométré avec le temps le plus rapide remportera 500 euros, rappelle le site Cyclingnews. Un classement général sera établi, doté de 5 000 euros pour le concurrent qui aura marqué le plus de points, donc celui qui aura tenté sa chance le plus souvent en descente. Cet accessit ne donnera pas droit à un maillot distinctif, contrairement au vainqueur du prix de la montagne («meilleur grimpeur»).

La descente, terrain de jeu

Démarche révolutionnaire ? Pas vraiment. Si le Giro est la première course de trois semaines à oser attribuer un classement dans ce domaine, ses organisateurs ont toujours voulu honorer les descendeurs les plus habiles. L’édition 1987 s’était ainsi ouverte par un contre-la-montre de 4 km à San Remo, qui empruntait la descente du Poggio.

Trente ans plus tard, le réseau social Strava, spécialisé dans les sports d’endurance, propose à ses millions d’abonnés de se chronométrer sur des parcours en descente, établissant une hiérarchie des cyclistes les plus rapides sur des zones données. Mais il est vrai que Strava est davantage utilisé par des pratiquants amateurs que des coureurs professionnels.

Chez les pros aussi, la descente est redevenue un terrain d'affrontement, avec des experts en la matière, tels l'Italien Vincenzo Nibali, vainqueur sortant du Giro et en condition physique moyenne cette année (ci-dessus, la vidéo de sa prestation sur le Tour de Lombardie 2015). Depuis trois ou quatre ans, les favoris du Tour de France s'attaquent autant en descente qu'en montée, à l'image du Britannique Christopher Froome, qui avait surpris ses adversaires dans la face descendante du col de Peyresourde l'an passé, avant l'arrivée à Luchon. Ce choix tactique pourrait s'expliquer par la recherche accrue de spectacle de la part de certains concurrents et équipes, par opportunisme selon la situation de course, mais aussi par la baisse du dopage, qui limite désormais les possibilités de creuser les écarts en haute montagne.

Les récentes tentatives rappellent en tout cas les faits d’armes de Gastone Nencini et Lucien Aimar, vainqueurs du Tour de France respectivement en 1961 et 1966, grâce à leur parfaite maîtrise technique et leur audace sur un terrain où il est possible de flirter avec les 120 km/h.

Une chute mortelle au Giro 2011

Pourtant, alors que les coureurs se livrent à nouveau bataille en descente, une large partie du peloton est sous le choc d’accidents survenus à pleine vitesse dans ce type de secteur, bien que d’autres phases de course présentent des risques accrus, comme les sprints massifs. La tragédie la plus récente est survenue la semaine dernière aux Etats-Unis, coûtant la vie à l’Américain Chad Young, 21 ans, membre d’Axeon, une équipe de troisième division mondiale. Le jeune coureur est tombé dans une descente du Tour of the Gila, dans une section décrite sans difficulté technique mais où la vitesse peut être élevée et la vigilance dans certains cas relâchée.

Sur le Tour d'Italie 2016, la descente du col d'Agnel, dans les Alpes françaises, avait été le théâtre de chutes, comme celle du Néerlandais Steven Kruijswijk, qui s'était blessé à une côte et avait perdu la tête du classement général, et celle du Russe Ilnur Zakarin, qui s'était fracturé la clavicule et l'omoplate. L'image dramatique de ce dernier (photo principale de l'article), prostré sur le bas-côté de la route, au bord d'un ruisseau, avait d'abord laissé craindre le pire.

Toujours sur le Giro, l'édition 2011 avait été endeuillée par la chute mortelle du Belge Wouter Weylandt dans la descente du Passo del Bocco. Le coureur s'était retourné dans une ligne droite a priori sans danger pour regarder derrière lui, mais il avait été victime d'un déséquilibre fatal, à 70 km/h. Quelques jours plus tard, les organisateurs avaient consenti à rayer du parcours le Monte Crostis (vidéo ci-dessus), dont la descente sinueuse et étroite longeait un précipice – le directeur de course, Angelo Zomegnan, avait tenté en vain de rassurer le peloton, rappelant qu'il avait disposé des filets de sécurité dans les virages et que des secouristes-alpinistes se tenaient prêts à intervenir en cas d'accident…

Théâtralisation

Six ans plus tard, les coureurs sont plus que jamais à cran sur les questions de sécurité, qui incluent aussi les conditions de météo «extrêmes» par lesquelles ils pratiquent parfois leur sport, et leurs représentants se font régulièrement entendre auprès des organisateurs et de la fédération internationale, l’UCI.

Dans le même temps, les différents protagonistes du cyclisme cherchent à accentuer la théâtralisation de leur sport. Caméras embarquées sur les vélos pour fournir des images saisissantes, parcours toujours plus spectaculaires (route sans asphalte, chemins étroits, etc.), y compris sur un Tour de France longtemps jugé conservateur… Le cyclisme recherche et redoute la multiplication des risques. Ainsi, le classement du meilleur descendeur sur le Tour d’Italie tombe à la fois au meilleur moment, et au pire.