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Libération
Interview

L’ex-numéro 1 Catherine Tanvier : «le tennis féminin m’ennuie»

La médaillée des JO de 1984 vit aujourd’hui du RSA. Elle s’est régénérée par la littérature et publie «Je lâche mes coups», où elle dénonce l’emprise de l’argent sur les courts.
Catherine Tanvier, le 11 mai à Paris. (Photo Fred Kihn)
publié le 17 mai 2017 à 18h36

Une dégringolade abyssale, d'athlète de haut niveau à bénéficiaire du RSA, de conquérante à dépressive au bord de la folie : depuis sept ans, dans des livres brûlots, Catherine Tanvier raconte peu ou prou la même chose, sa trajectoire-cauchemar. Catherine Tanvier : même les plus de 20 ans l'ont pour la plupart oubliée. Elle a pourtant été numéro 1 du tennis féminin français à 17 ans, médaillée de bronze aux JO de Los Angeles en 1984, figure du circuit des années 80-90, avant arrêt sur blessures, à 24 ans. Ruinée, naufragée, elle découvre alors la littérature, s'immerge en autodidacte affamée. Ses propres textes sont stupéfiants, écriture d'un raffinement presque suranné, propos fiévreux débordant de l'urgence de celui qui défend son honneur vacillant. Là, elle publie Je lâche mes coups (éditions Solar), salve contre le tennis-business à ses yeux vérolé par l'emprise du fric, et procès contre un jeu jugé standardisé et lénifiant. La volée de bois vert inclut certains joueurs français et la Fédération française de tennis. En chair et en os, émaciée en pantalon de toile, chemise blanche, baskets, cette fière à failles de 51 ans est courtoise à l'extrême, sans flagornerie. La déclassée est tout sauf une séductrice ou une quémandeuse.

Lors de notre rencontre précédente, vous viviez dans un village de Gironde, avec votre mère. C’est toujours le cas.

Effectivement, pour des raisons économiques. J’aimerais avoir mon propre logement mais avec le RSA, ce n’est pas possible. Je sais que cette situation n’est pas souhaitable, vivre sous le regard de sa mère à 51 ans, et bien que je l’adore, cette relation est toxique, m’étouffe. Mais je dirais que je vais plutôt bien, j’aime ma vie frugale dans cette région isolée, avec mon chien Philo.

Vous coachez aussi, un peu. Que dites-vous aux jeunes qui se rêvent champions ?

Ces temps-ci, j’ai un «petit Rémi», 11 ans, plutôt doué. Il commence à participer à des compétitions. Je lui dis d’essayer, d’attendre de voir s’il veut vraiment en faire son métier. Il est important de questionner les enfants, afin de les amener à réfléchir par eux-mêmes. C’est une règle d’or dans le processus de l’apprentissage. Transmettre, apprendre des choses aux autres, mais aussi apprendre d’eux : c’est passionnant, j’adore ça.

Rester si attachée à ce sport ne relève-t-il pas du masochisme ?

Si le tennis véhicule des valeurs comme la rigueur, le respect, l’excellence, il fabrique aussi des joueurs «monstrueux» transis par de la persévérance qui est aussi celle de savoir endurer bien des efforts. Donc, oui, par définition, un champion est masochiste. Il appartient à une autre espèce biologique que le joueur quidam. N’oublions pas que le haut niveau est la parodie de la loi du plus fort. Après, libre au champion de rendre visible sa dimension humaine quand il redevient monsieur-tout-le-monde pour ne pas qu’on le confonde avec une «bête» (de scène). La dureté du circuit m’a permis de mieux me connaître.

Ce livre dénonce l’uniformisation du jeu, notamment chez les filles, qualifiées de «bourrines», «percheronnes».

C’est de l’humour, je me permets d’en rire. Mais il est vrai que le tennis féminin m’ennuie. Il y a désormais très peu d’échanges, la plupart cherchent à remporter des points dès la première frappe, contrairement aux hommes. Elles jouent les lignes, même pas les zones. Plein de secteurs de jeu ont disparu, comme la volée, le revers slicé, le décalage en coup droit. Ces carences, je les attribue aux entraîneurs qui ne cherchent pas à élargir leur système de jeu. Et puis les gabarits ont changé, les filles sont plus grandes, plus puissantes qu’on ne l’était, et le matériel aussi a évolué, favorise la force, la violence des coups qui ne laissent plus trop de place à un tennis construit, avec des schémas de jeu plus favorables au toucher.

Serena Williams allie puissance et souplesse…

Serena est une athlète hors normes. Elle est massive et véloce. C’est une joueuse spectaculaire. En revanche, je déteste le personnage, le côté diva, ses minauderies. De même que m’insupportent les hurlements. Ils ont commencé avec Monica Seles et depuis le phénomène n’a cessé de s’amplifier. Au temps de Seles, Nathalie Tauziat que je n’apprécie pourtant pas, avait pointé le problème et demandé en vain qu’on fasse quelque chose contre. Car c’est une forme d’intimidation, et ça pollue le jeu. Moi, je mettais un point d’honneur à être silencieuse. Ras-le-bol de ces filles qui font dans le «gueuloir» ! Maria Sharapova ne hurle pas quand elle s’entraîne, pourquoi le fait-elle en match ?

Que pensez-vous du retour de Sharapova après une suspension de quinze mois pour dopage ?

Son retour est légitime. Elle a purgé sa peine. La question est : faut-il lui délivrer des «wild cards» [invitations passe-droits] ? En ayant perdu tous ses points WTA, elle est censée repartir sur des tournois secondaires, et s’échiner à remonter au classement afin de pouvoir intégrer les grands tournois. Mais bon, je comprends aussi les organisateurs des grands tournois : Sharapova est une attraction, avec une image très forte. C’est aussi une compétitrice hors pair qui ne lâche jamais rien. Le personnage est en revanche détestable, méprisant. Ça contribue d’ailleurs à la polémique qui entoure ce retour dans des conditions privilégiées : on n’a pas envie de faire de cadeau à quelqu’un qui n’a jamais fait que vous toiser (1).

Vous déplorez la désinvolture de certains vis-à-vis du maillot tricolore. Il y a quelque chose de moraliste chez vous ?

Moraliste, moi ? Quand des filles comme Garcia et Dodin annoncent qu’elles veulent privilégier leur carrière individuelle au mépris de l’Equipe de France, alors que toutes deux sont issues du système fédéral, leur comportement a de quoi choquer. J’y vois de l’ingratitude, cela m’est insupportable. Je rappelle ici qu’elles ont bénéficié des wild cards et des aides financières de plus de 400 000 euros ! Je dirais aussi que jouer pour la France se mérite. Ces filles n’en sont plus dignes.

Dans le même temps, vous faites l’éloge de joueurs au comportement compliqué type McEnroe et Connors, ou Benoît Paire auquel vous proposez votre expertise.

Benoît Paire est un artiste et un gros potentiel, mais il a un problème majeur avec son coup droit qui le mine, qui le plonge dans une folle colère contre lui-même. Je dis seulement réglons ce problème et j’affirme même que ça peut aller très vite. Son coup droit ne fonctionne pas parce qu’il arme mal son geste, ce qui l’expose souvent à une ouverture d’épaule prématurée. Ce n’est pas un problème de positionnement comme je peux l’entendre. Et je sais réparer ça.

Vous, vous aviez l’image d’une joueuse très sage, au jeu très sage.

C’est pourtant faux, j’ai été dès mes débuts une adepte du service-volée et la joueuse que j’admire par-dessus toutes, Martina Navratilova, en est la meilleure incarnation. Simplement, le grand public français me connaît par Roland-Garros et la terre battue n’est pas favorable au service-volée. Et je n’ai pas été toujours sage, il m’est arrivé lors d’un match en double à Rome d’être sanctionnée pour avoir balancé de l’eau sur des supporteurs italiens qui me conspuaient.

Le dernier match qui vous a enthousiasmée ?

Federer-Nadal lors de la finale de l’Open d’Australie en janvier dernier. Ce jour-là, le Suisse est passé à une autre dimension tennistique, avec une prise de balle tôt, encore plus précoce, en décrochant le moins possible de sa ligne de fond. Il est en train de montrer ce que sera le tennis dans la prochaine décennie. Un tennis qui s’appuie logiquement sur des préparations très écourtées. Bref, un jeu qui ne demande aucune fioriture technique.

Votre coup préféré ?

Le revers lâché à une main. En l’occurrence celui de Federer parce qu’il est d’une remarquable fluidité. Qui dit fluidité, dit rapide et sans forcer.

Vous brocardez la FFT, qui conditionne l’habilitation à entraîner à l’obtention d’un diplôme.

On est dans la contrainte dès lors qu’on nous oblige à passer un diplôme pour enseigner un savoir que l’on connaît mieux que quiconque. Cela crée une angoisse supplémentaire et financière. Or la reconversion représente l’étape la plus dure à gérer. C’est la double peine : on subit une crise sociale et identitaire. Je dis donc : statuons les ex-joueurs pros membres du top 100 comme aptes à enseigner. Là, un nouveau directeur technique national vient d’être nommé, Jean-Luc Cotard, qu’on dit plus ouvert… Eh bien, je l’espère !

Les joueurs «dollarisés», un «système ultracapitaliste» : vous en appelez à une moralisation de la vie tennistique. Qu’avez-vous voté à l’élection présidentielle ? Mélenchon ? Poutou ?

Je dis qu’il faut faire attention de ne pas devenir des domestiques du système. Regardez, même en tennis les valeurs telles que représenter la France n’intéresse plus nos représentantes françaises. Ces dernières préfèrent jouer les Grand Prix pour faire plus d’argent ! Quant à mon orientation politique, elle est mélenchoniste, mais paradoxalement pro-européenne.

Vous êtes une grande lectrice. Que lisez-vous ces jours-ci ?

L'autobiographie de Violette Leduc, dont j'ai tout lu. Le prochain sera Jean-Christophe de Romain Rolland.

Quelle place occupe l’écriture ?

J’écris plutôt le matin, et assez facilement. L’acte d’écrire me rassure. Il m’engage et me permet surtout de prendre de la hauteur.

Qu’écrivez-vous en ce moment ?

J'ai fini d'écrire l'année dernière la Vielle Fille et la Mère… à l'évidence autobiographique ! J'ai aussi un roman intitulé le Temps de vivre.

Comment le milieu du tennis a-t-il accueilli vos livres ?

Un jour où j’étais conviée au musée de Roland-Garros pour une signature de mon dernier livre, toutes les ex-joueuses de ma génération ont débarqué. Cette surprise m’a bouleversée. Je l’ai prise pour une grande marque d’amour et de respect !

Vos projets ?

Bien qu’un problème de dos m’oblige à moins de coaching, j’adorerais offrir mes services sur des prestations courtes et isolées.

Avez-vous des nouvelles de Jean-Luc Godard, qui vous a fait tourner dans Socialisme ?

Oui, mais il y a longtemps et d’Anne-Marie Miéville qui m’avait envoyé une photo de lui tout souriant, avec son chien. Il allait bien !

(1) Après avoir obtenu des invitations aux tournois de Stuttgart, Madrid et Rome, la Russe s’est vu refuser, mardi, la wild card qu’elle réclamait pour Roland Garros.

Photo Fred Kihn