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Roland-Garros : les Français face à la peur de l’ocre

Le tournoi, dont l’édition 2017 débute ce dimanche, ne réussit pas aux Tricolores, peu en verve sur «leur» terre battue. Le nouveau directeur technique national souhaite remettre à plat les méthodes de formation.
. (Photo Amandine Noel. Icon Sport)
par Yannick Cochennec
publié le 26 mai 2017 à 19h06

Lorsqu’il s’était imposé à Roland-Garros en 1983, Yannick Noah avait comblé un vide de trente-sept ans pour un tennis français qui n’avait plus vu l’un des siens triompher sur la terre battue de la Porte d’Auteuil depuis Marcel Bernard en 1946. Dans cette perspective historique, après trente-quatre années passées dans la peau du «dernier vainqueur français de Roland-Garros» (et d’un tournoi du Grand Chelem), l’actuel capitaine des équipes de France de Coupe Davis et de Fed Cup ferait presque figure d’ancien combattant, dont l’exploit est presque impossible à appréhender pour les moins de 40 ans.

En regardant le court central parisien, chacun pourrait même avoir le sentiment d’y contempler un cimetière : celui où sont enfouis, après de vaines batailles, les espoirs d’un tennis français qui, tous les printemps, a la volonté d’y croire encore avant de devoir se résoudre à jeter une nouvelle pelletée de terre sur ses rêves de victoire ou de finale - Henri Leconte, en 1988, demeure l’ultime finaliste.

Vue avec un peu de malice, ou de lucidité, cette édition 2017 pourrait même correspondre au cinquantenaire du dernier succès féminin tricolore dans l’épreuve par la grâce de Françoise Dürr en 1967 si la Franco-Américaine Mary Pierce n’avait pas brandi la Coupe Suzanne Lenglen en 2000 pour entretenir une forme d’illusion : Pierce, née au Canada, ayant grandi aux Etats-Unis où elle avait tout appris, la technique et surtout l’art de la gagne à la dure école de Nick Bollettieri, sans rien devoir à la Fédération française de tennis et à son système de formation.

Un seul chemin possible

Les Internationaux de France sont le tournoi du Grand Chelem où le tennis national obtient statistiquement ses moins bons résultats, à peu près à égalité avec l’US Open qui, côté masculin, a au moins vu Cédric Pioline accéder à la finale en 1993. A Wimbledon, Amélie Mauresmo (2006) et Marion Bartoli (2013) ont inscrit leur nom au palmarès d’une épreuve où Cédric Pioline (1997) et Nathalie Tauziat (1998) eurent également le privilège de disputer l’ultime rencontre. A Melbourne, Amélie Mauresmo (2006) s’est imposée, onze ans après Mary Pierce. Un Open d’Australie où Arnaud Clément (2001) et Jo-Wilfried Tsonga (2008) furent d’inattendus finalistes.

Entre la terre battue du XVIe arrondissement et le gazon de Wimbledon ou entre Paris et Melbourne, il y a, il est vrai, «un monde» : celui qui sépare deux surfaces radicalement opposées. Et concernant l'Australie, le facteur de la distance serait également déterminant : plus il est loin de sa terre de «naissance» ou de la «maison», plus le tennisman français aurait tendance à se sentir à son aise.

Or, pour retrouver un nouvel élan, alors que le nombre de ses licenciés décline et peine désormais à se maintenir au-dessus du million, le tennis français n’a qu’un chemin possible : réussir à faire que l’un des siens soulève à nouveau la coupe des Mousquetaires. Aucun autre titre du Grand Chelem, ou aucun triomphe en Coupe Davis ne sera susceptible de produire les mêmes effets puissants.

Les défaites à Roland-Garros, auxquelles s'ajoutent celles en Coupe Davis où la France a perdu trois finales consécutives à domicile sur terre battue (1999, 2002, 2014), sans oublier une finale de Fed Cup (2005) envolée sur le court Philippe-Chatrier, recèlent, bien sûr, une dimension psychologique au-delà des caractéristiques de la surface. Vraie joueuse de terre battue, lauréate à deux reprises du prestigieux tournoi de Rome, Amélie Mauresmo n'a jamais franchi, par exemple, le cap des quarts de finale à Roland-Garros où elle s'est toujours effondrée sous le poids de ses attentes. «Roland-Garros, pour un joueur français, c'est une fête, mais aussi le baptême des grandes émotions, juge Makis Chamalidis, préparateur mental, notamment en charge d'une cellule psychologique mise à la disposition des débutants tricolores lors de ces Internationaux de France. Ici, Amélie Mauresmo n'est jamais parvenue à mettre ses démons de côté.»

«Démons»

Pour se prémunir de toute caricature, cette faillite n’est pas non plus un mal totalement français. Si l’écueil mental a été largement contourné par l’Ecossais Andy Murray à Wimbledon, il n’a pas été évité par d’autres. Les Australiens Pat Cash, vainqueur à Wimbledon (1987), Patrick Rafter, consacré à l’US Open (1997 et 1998), et Lleyton Hewitt, champion de l’US Open (2001) et de Wimbledon (2002), ont toujours fini par piquer du nez à Melbourne. Voilà quarante et un ans qu’un Australien n’a plus fait la loi chez lui.

A Roland-Garros, le diable se niche dans les détails d'une préparation adaptée à la surface de jeu. Peut-être parce qu'elle est la plus exigeante de toutes sur le plan technique, physique et donc moral. «La terre battue expose tous les défauts quand le gazon permet d'en dissimuler une partie», estime Jean-Paul Loth, directeur technique national (DTN) emblématique des années 80. Là où les Espagnols font preuve d'une solidité et d'une endurance phénoménales à tous les niveaux (depuis 1989, 18 titres en simple à Roland-Garros dont neuf pour le seul Rafael Nadal), les Français flanchent inexorablement. Une exception espagnole, peut-être, mais tout de même. «Yannick Noah était un vrai joueur de terre battue dans tous les sens du terme, remarquait cette semaine Mats Wilander, triple vainqueur des Internationaux de France, auprès de Reuters. Et je pense qu'il n'y en a pas eu d'autre depuis.»

«Crampes»

L'explication pourrait être simple, voire simpliste, de considérer que les jeunes pousses françaises ne grandiraient plus suffisamment sur terre battue, surface de plus en plus délaissée avec seulement 13 % de courts (environ 4 000) dédiés à l'ocre sur l'ensemble du territoire. Il y a une part de vérité dans ce constat, mais cet argument est balayé avec fougue par Georges Deniau, l'un des plus fins techniciens français, ancien entraîneur, entre autres, de l'équipe de France de Coupe Davis et de Roger Federer quand il était adolescent. «Je déplore une dégradation de notre enseignement, et depuis pas mal de temps, analyse-t-il. Notre mission est de former des joueurs complets. Hélas, ce n'est plus forcément le cas et cela n'a rien à voir avec une surface plutôt qu'une autre. Aujourd'hui, vous avez sur les terrains des entraîneurs qui ne sont pas assez bons parce qu'ils n'ont pas reçu certaines bases essentielles de leur métier. Il ne sert à rien d'avoir des entraîneurs à l'aise avec des logiciels d'ordinateur s'ils sont techniquement insuffisants avec une raquette dans la main.» Jean-Paul Loth reprend la balle au bond. «Lors des qualifications de ce Roland-Garros, j'ai vu des choses pas possibles, même aberrantes, sur le plan technique de la part de nos jeunes, constate-t-il, presque effaré. Et physiquement, certains ne tiennent pas du tout la distance. Des crampes au bout d'un set ! Comment est-ce possible ? A l'évidence, tout un travail est à reprendre depuis l'apprentissage jusqu'à notre manière de penser et de faire dans nos centres régionaux et nationaux.»

C'est la tâche, immense de Jean-Luc Cotard, 55 ans, nouveau DTN depuis quelques semaines, disciple de Henri Cochet, le meilleur joueur français de tous les temps, qui lui avait énoncé, à 10 ans, ce simple principe adopté à la perfection par Roger Federer au fil de sa carrière : «Celui qui prend la balle le plus tôt aura toujours l'avantage.» Inconnu du grand public, cet homme de l'ombre sait tout des rouages de la formation à la française et n'en ignore pas les défauts. «Pour réussir à prendre la balle le plus tôt, il est impératif d'être irréprochable techniquement, souligne-t-il. Dans cet objectif, je veux qu'à 12 ans, chaque jeune sache déjà frapper tous les coups de façon mécaniquement juste.» Avec, en filigrane, un projet essentiel au cœur de son plan de (re)conquête : installer, dans les deux ans, un centre national d'entraînement bis, sur la Côte d'Azur, probablement à Saint-Raphaël. «Le circuit professionnel se déroule à 80 % sur des courts extérieurs et nous devons permettre à nos jeunes de pouvoir jouer dehors à peu près toute l'année, argumente-t-il. Sur terre battue, sur dur, dans le vent, sous le soleil, dans l'humidité ou dans le froid, de manière à les confronter à ce qui sera leur réalité s'ils atteignent le plus haut niveau.» Yannick Noah s'était fait le cuir à l'adolescence au tennis études de Nice, avant de monter à Paris pour faire chavirer la France, le 5 juin 1983.

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