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Libération
Récit

Entre Cornet et Garcia, des coups pas très droits

Ce lundi à Roland-Garros s’affrontent en huitième de finale deux Françaises en froid depuis plusieurs semaines. En cause : le forfait en avril de Caroline Garcia à la Fed Cup pour des raisons médicales mises en doute sur Twitter par Alizé Cornet.
Alizée Cornet et Caroline Garcia, à Roland Garros. (Photo Martin Richard. Presse sports et Antoine Couvercelle. Panoramic)
publié le 4 juin 2017 à 19h56

Roland-Garros tient son western. Un duel à l'antique, franco-français, prenant sa source sur les réseaux sociaux et dans l'utilisation du LOL - un LOL de trop en fait, les Horaces et les Curiaces 2.0. Après s'être débarrassé sans bavure (6-2, 6-1) samedi de la 9e mondiale, la Polonaise Agnieszka Radwanska, Alizé Cornet est tombée, sur le chemin des vestiaires, dans les bras de Kristina Mladenovic, leader autoproclamée du tennis tricolore, aussi contente à cet instant pour la Niçoise de 27 ans que si elle avait gagné elle-même. Cornet n'y tenait plus, tapant dans les mains des vigiles hilares, improvisant une petite danse derrière une porte, faisant ressurgir des limbes temporels la joie toute simple de la 11e mondiale qu'elle fut à 19 ans, avant les galères et les doutes.

Une demi-heure plus tard, devant la presse, Cornet avait recouvré ses esprits : un nuage noir menaçait à l'horizon, à savoir un possible 8e de finale face à sa compatriote Caroline Garcia, alors au bout de son match du 3e tour contre la Taïwanaise Su-Wei Hsieh sur le court numéro 1, moins classe - les détails comptent dans le contexte - que le Central où Cornet avait expédié Radwanska. Une question est alors tombée sur un éventuel café partagé, passé ou à venir, entre les deux joueuses. Cornet : «Cela ne s'est jamais produit. On a toujours eu de bonnes relations avec Caro [Garcia], mais pas aussi poussées.» Poussées ? Simplement pour boire un café ?

«Pour Caro, boire un café, c'est énorme. On n'a jamais passé beaucoup de temps ensemble. On a eu des relations cordiales, mais là, c'est plus froid. Elle nous en veut. Je peux la comprendre. Je l'accepte. J'ai ouvert la porte à la discussion avec elle. Pour l'instant, elle ne se sent pas prête à discuter avec moi. Si on se rencontre en 8e , ce ne sera pas le moment pour le faire mais j'ai bon espoir que dans les mois qui arrivent, elle finisse par me dire : "Discutons-en, mettons les choses à plat et passons à autre chose." Je suis patiente. Je peux comprendre que toute cette histoire l'ait contrariée. Je suis ouverte là-dessus, je ne lui en veux pas et j'attends que l'orage passe. De toute façon, le temps fait toujours l'affaire et tasse les choses.»

«Ni avant le match de lundi, ni après»

Cornet est emmerdée et elle ne le cache pas. Les faits remontent au début du mois d’avril et à l’annonce de la composition de l’équipe de France de Fed Cup (la compétition par nations du tennis, pendant féminin de la Coupe Davis) appelée à rencontrer les Pays-Bas deux semaines plus tard. Le contexte est tendu : véritable héroïne de l’édition 2016 de la Fed Cup, où elle a porté à bout de bras une équipe comprenant aussi Mladenovic et Cornet, Garcia ne fait pas mystère depuis trois mois de son intention de ne pas disputer une compétition qui, par ailleurs, est snobée par une écrasante majorité des meilleurs joueuses ou joueurs du monde.

Ceux-ci font un diagnostic que Garcia - ou plus vraisemblablement son père, qui cornaque toute la carrière de sa fille au millimètre près - partage : la Fed Cup prend une énergie qui manque ensuite lors des tournois, l’idée de la native de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) étant de privilégier sa progression individuelle et son classement en 2017 car la Fed Cup ne décerne pas de points WTA. Ce qui peut constituer un manque à gagner, puisque les contrats de sponsors des joueurs sont le plus souvent indexés sur leur place dans la hiérarchie mondiale.

L'annonce de la sélection tombe le matin du lundi 10 avril. Garcia y est. Le même jour, à 22 h 11, la joueuse annonce qu'elle est blessée au dos et qu'elle fait une pause jusqu'en mai, annonçant son forfait de facto pour la Fed Cup. A 23 h 06, 23 h 07 et 23 h 09, les comptes Twitter de Mladenovic (la première à dégainer), Pauline Parmentier et Cornet affichent le même message, «LOL», équivalent anglais du «MDR» («Mort de rire»). Elles doutent de la véracité de la blessure de Garcia. Deux jours plus tard, la Fédération française de tennis, qui n'en finissait plus d'expliquer qu'elle allait sanctionner les défections bidons depuis septembre et la vraie fausse blessure de Gaël Monfils à Zadar en Croatie (lire Libération de samedi), dépêche le docteur Bernard Montalvan auprès de Garcia.

Lequel médecin constate effectivement un souci au niveau du nerf sciatique. Depuis, le clan Garcia est en rogne et l'affaire a pris un tour changeant, protéiforme. Pour Garcia, Cornet n'a pas «ouvert la porte», comme l'a prétendu la Niçoise : «J'ai bien reçu un texto d'Alizé, mais il n'y avait pas d'excuse, a affirmé samedi la 28e mondiale. Elle disait qu'elle assumait son tweet. Pour moi, ce texto, c'est rien.» Délicieuse sensation d'être dans les interstices séparant les deux joueuses : Cornet peut à la fois assumer son tweet et le regretter, ce que Garcia peut avoir du mal à comprendre. Mais alors, ce café ? Garcia : «Pas de café. Ni avant le match de lundi, ni après.»

La fille qui se sait dans son bon droit

Vu depuis la Porte d'Auteuil, on confesse une faiblesse pour Garcia. En larmes après son 16e contre Hsieh 9-7 au troisième set et après 2 h 39 d'efforts, elle avait recouvré ensuite cette attitude très particulière qui la porte depuis le début de semaine : la fille qui se sait dans son bon droit, et qui sait que le temps joue pour elle. Le chantage à la Fed Cup ou à la Coupe Davis est une spécificité franco-française : ni les sœurs Williams, ni Rafael Nadal, ni Roger Federer ne se font emmerder par leur fédération respective quand ils décident de faire l'impasse et ils la font la plupart du temps. La réalité de Garcia n'a rien à voir avec la défense du drapeau. C'est la vie sur le circuit, avec des objectifs strictement individuels et une logique toute personnelle de progression.

Cependant, chaque victoire sur la terre battue de Roland-Garros est patrimonialisée par le public français, la rapprochant toujours un peu plus d’une sortie par le haut. Le match face à Cornet a aussi ce sens-là. Par ailleurs, la Fed Cup 2016, qui a vu les tricolores disputer une finale perdue contre les Tchèques, a souvent déroulé le même scénario : Garcia gagne les points, Mladenovic, moins, et le double Garcia-Mladenovic, vainqueur à Roland-Garros l’an passé et auquel Garcia a unilatéralement décidé de mettre un terme en début d’année, sauve la baraque (jusqu’en finale) ou non.

Pourtant, mi-mai, Mladenovic a choisi de mettre une charge phénoménale à son ancienne partenaire dans l'Equipe magazine, condamnant tout rapprochement futur. Extraits : «Le fait que Garcia témoigne de sa volonté de ne pas disputer la Coupe Davis m'a choquée… Elle a autant été aidée que moi par la Fédération, voire plus, car elle n'a pas obtenu les résultats que j'ai eus [chez les jeunes, croit-on comprendre, ndlr]. Cela représente des centaines de milliers d'euros, des invitations en Grand Chelem. Depuis qu'elles sont toutes jeunes, les Espagnoles, les Roumaines, les Tchèques, les Russes se paient elles-mêmes les académies où elles s'entraînent. Nous, on a la chance d'avoir une fédération riche, parce qu'elle possède un Grand Chelem [Roland-Garros]. Certains l'oublient vite. Cela devrait être une fierté de représenter son pays. Ou, à défaut, une reconnaissance.»

Puis : «Quand [Garcia] a arrêté le double, elle n'a pas été respectueuse, elle n'a eu le courage de me le dire que par SMS. On a toujours été à l'opposé et on se le disait, même quand on gagnait ensemble. Je suis très autonome et elle est complètement gérée par son père. Je parle cinq langues, j'ai eu mon bac, elle a arrêté ses études.» Tout y est : la trahison, puisque ces deux filles ont gagné ensemble, et des accusations en pagaille, de lâcheté, d'ingratitude, d'avoir la tête vide. Systématiquement lancée sur ces déclarations depuis une semaine, Garcia fait une réponse mesurée : j'ai beaucoup appris ces derniers temps, je vois les choses différemment, ce qui ne tue pas rend plus fort.

Un espace de concorde nationale ?

En coulisse, l’impression générale est que Mladenovic réécrit l’histoire à sa sauce. Et qu’elle pousse le bouchon aussi loin que possible, sur Caroline Garcia comme sur le reste. Plus trouble : du point de vue des joueurs et joueuses français(es), même parmi ses plus ardents défenseurs, la Coupe Davis et la Fed Cup n’ont aucune chance d’être cette compétition immaculée, ce sanctuaire protégeant le tennis des dérives individualistes du circuit, un espace de concorde nationale où le public communie enfin avec des champions qui traversent la planète de part en part le reste de l’année. Certains garçons y voient un objet politique souvent utilisé contre eux, une manière de les contraindre - les entraîneurs personnels ne sont pas autorisés pendant les rassemblements, on leur dit quoi faire, quand courir, quoi manger, etc. - ou de les infantiliser.

Ainsi, si Mladenovic dit des choses, elle voit aussi midi à sa porte. Cornet aura du monde derrière elle lundi : les copines, une doxa fédérale qui passe par la Fed Cup et même les romantiques, ceux qui se souviennent de la petite princesse du tennis français de 2009 et les nostalgiques d'un temps où le jeu féminin ressemblait à ce que la Niçoise fait sur un court, beaucoup de variations, de travail tactique, d'amorties. Faute de connaître la teneur du fameux SMS envoyé par Cornet, on a constaté qu'elle avait abaissé la herse devant les micros : «On est assez expérimentées et assez fortes pour faire abstraction du contexte.» Voire. Le match, l'attitude du public, la poignée de main finale : un jour à savourer tout ce qui passe.