Que serait aujourd'hui le Tour de France s'il avait été dirigé par Hein Verbruggen, génie du marketing, «protecteur» de Lance Armstrong et grand prélat du sport mondial ? La mort du Néerlandais dans la nuit de mardi à mercredi, des suites d'une leucémie à 75 ans, est une occasion de réinterroger l'histoire. Tout a failli basculer à la fin des années 80 : Jean-Marie Leblanc, journaliste à l'Equipe, fait un footing du côté de Pau avec celui qui préside la Fédération internationale du cyclisme professionnel (FICP), future Union cycliste internationale (UCI) qu'il tiendra d'une main de maître. Leblanc est porteur d'un message : «Que diriez-vous de diriger le Tour ?» Verbruggen, qui estime que le rôle doit revenir à un Français, dit non. Finalement, c'est Leblanc qui est désigné fin 1988.
Pendant deux décennies, le Tour et l'UCI suivent des chemins parallèles : participation de nouveaux pays, médiatisation télé et revenus accrus, affaires de dopage à répétition… Hein Verbruggen tente en particulier d'imposer le ProTour en 2005 : une «ligue fermée» que Leblanc approuve par écrit avant d'être désavoué par les actionnaires du Tour de France. C'est le prélude de la guerre entre les organisateurs du Tour et l'UCI, qui durera de 2006 à fin 2008. Pendant cette période, l'UCI laisse les cas positifs se multiplier pour embarrasser le Tour, qui riposte par des articles à charge dans ses journaux amis, dont l'Equipe.
Déjà mis en cause (mais blanchi) en 2000 lors du procès Festina, Verbruggen devient une figure du mal absolu, notamment égratigné en 2012 par le rapport de l’Agence américaine antidopage. Le Néerlandais fait en effet preuve d’une grande bienveillance envers Lance Armstrong, vainqueur du Tour entre 1999 et 2005, déchu de ses titres en 2012. Ainsi, il passe l’éponge sur un contrôle positif sur le Tour 1999. C’est qu’Armstrong est son ambassadeur dans les projets de développement de l’UCI. Leur relation se brise en 2012, avec les aveux d’Armstrong qui charge Verbruggen.
Le Néerlandais eut sa plus belle vengeance en 2002 lorsque, membre influent du Comité international olympique (CIO), il torpilla la candidature de Paris aux Jeux olympiques, mesure de rétorsion envers un gouvernement qui, selon lui, avait laissé éclater l’affaire Festina quatre ans plus tôt.
Pour faire contrepoids au Tour de France, Hein Verbruggen développera également l'UCI, la faisant passer de zéro employé en 1988 à 15 en 1996, et plus de 100 à la date de son départ. Son héritage est aujourd'hui dilapidé par le Britannique Brian Cookson, qui lui a succédé en 2013 et qu'il dépeint, à juste titre, comme un dirigeant «faible» et faisant «régner la terreur» en interne. Et ce alors même que le cyclisme a perdu son siège de représentant au sein du CIO et que la Fédération internationale est très affaiblie, entre la voracité du Tour et les velléités de plusieurs équipes de créer une ligue privée. Le tout sur fond de dopage, loin d'avoir disparu avec Hein Verbruggen.