La nouvelle bête noire du Tour de France est un ancien sauteur à ski, converti très tard, 22 ans, au cyclisme et désormais candidat à un coup d'éclat dans la montagne. Un Slovène de 27 ans, coleader de l'équipe néerlandaise Lotto-Jumbo. Son nom : Primož Roglič. Il avait déjà dérouillé sévère dans une performance à ski ratée en 2007, sur le tremplin le plus terrible au monde, chez lui, à Planica. C'est là qu'il a décidé de changer de sport. Mais cette chute qui a fait saigner la neige est presque une caresse à côté de ce que lui a infligé Sta de 2 en juin l'an passé : un reportage le soupçonnant d'utiliser un vélo à moteur. La fraude des fraudes.
Bonnes dimensions. L'émission de France 2 auscultait l'étrange contre-la-montre du Tour d'Italie 2016 : Roglič veut s'élancer avec un vélo à la géométrie pas réglementaire, les commissaires lui ordonnent d'utiliser une autre machine et (coïncidence ?) un mécanicien lui propose un nouveau bolide pile aux bonnes dimensions. Sauf que le départ presse et que les inspecteurs de l'Union cycliste internationale n'ont pas le temps de contrôler l'éventuelle présence d'un moteur… Troublant mais sans plus.
L’équipe de Roglič a protesté. La chaîne a refusé de s’excuser. Et chacun a continué comme si de rien n’était, en particulier le coureur qui traîne ce reportage comme un vieux chewing-gum sous sa semelle. En février 2017, il était à nouveau brocardé, le sprinteur allemand André Greipel (Lotto-Soudal) lui reprochant de suivre le sillage des motos pour se protéger du vent, lors d’un contre-la-montre au Portugal.
Roglič en soupire encore : «En quoi est-ce interdit ? Tout le monde fait ça !» Il explique à Libération : «Quand vous voyez des images très rapprochées du peloton à la télé, vous ne pensez pas que les coureurs sont derrière une moto télé ? Comment croyez-vous que l'on roulait à 70 km/h dans le finale, mardi passé à Vittel ? J'étais à fond à l'arrière et, quand j'ai levé la tête, j'ai vu l'avant du peloton calé dans la roue d'une moto.»
Il a une bonne tête à ramasser, Roglič. Venu trop tard au vélo, trop fort sur les épreuves par étapes d'une semaine, ressortissant d'un pays trop méconnu («On est plus sous l'influence de l'Autriche ou de l'Italie que de l'Europe de l'Est», corrige-t-il). Personnage secret. Visage d'une séduction rude, avec sa moustache presque invisible et son regard sombre. Pensionnaire d'une équipe ni trop populaire ni trop scandaleuse. Le bouc émissaire idéal ?
Paumé dans le peloton.«Ah ! La presse française !» Il a l'air blasé lors de notre rencontre à l'hôtel. Ses parents (maman assistante dans un cabinet dentaire, papa ouvrier) avaient bien dit à leur fils unique de ne pas se mettre au vélo : «Continue plutôt le ski !» Il se rappelle sa première course, à Ljubljana, la capitale de la Slovénie : il est paumé dans le peloton, oublie de boire et de manger… «Je me suis demandé ce que je faisais là, confie-t-il. Mais j'ai compris qu'il fallait en baver. La souffrance est quelque chose qui s'apprend, pas une qualité innée.» Primož Roglič n'aime pas parler avec des mots, «seulement avec les jambes». «Le problème du vélo, c'est que chacun a un avis», regrette-t-il. Il aime les livres «qui t'aident à avoir une vie meilleure». Raison pour laquelle il s'est fait tatouer une croix sur le bras droit et une inscription en latin ( «je ne me rappelle plus vraiment le sens» ). Roglič précise : «Non pas que je sois religieux, mais je crois qu'il faut s'attacher à faire le bien, pour soi et pour les autres. Ce n'est pas toujours facile, mais j'essaie de faire le bien.»