Menu
Libération
Histoire du jour

Sur le Tour, la fable de l’union nationale

Tour de France 2017dossier
La déclaration de Warren Barguil, prêt à aider son compatriote mais concurrent Romain Bardet, relance l’hypothèse de ce type d’alliances, pourtant proscrites.
Warren Barguil entre Nantua et Chambéry, le 9 juillet 2017. (Lionel Bonaventure - AFP)
publié le 18 juillet 2017 à 20h46
(mis à jour le 19 juillet 2017 à 7h17)

Avec le dénouement attendu du Tour de France mercredi et jeudi dans les cols des Alpes, la course pourrait déboucher sur des alliances entre adversaires, un procédé interdit mais récurrent. Le maillot jaune, Christopher Froome (Sky), s'est déjà retrouvé relativement isolé dans les derniers kilomètres des cols, quand son armada se révélait invincible les années précédentes. Deuxième au classement, Fabio Aru (Astana) sait qu'il ne pourra pas compter sur des équipiers solides en montagne. Même solitude pour Dan Martin (Quick Step), 7e, mardi dans l'étape venteuse de Romans-sur-Isère (Drôme), ses habituels collègues ayant préféré soutenir le sprinteur Marcel Kittel.

«Cause nationale». Mais les leaders ne sont jamais seuls bien longtemps. Romain Bardet, 3e du Tour, pourrait ainsi recevoir du renfort en dehors de son équipe d'AG2R la Mondiale, puisque son adversaire Warren Barguil (Sunweb) a annoncé : «Je crois vraiment qu'il est capable de gagner le Tour cette année, et j'espère être de la partie dans les Alpes pour l'aider à gagner.» Il n'en fallait pas plus pour que le Parisien déclare dimanche Bardet possible «cause nationale». A ceci près que seul Barguil semble disposé à lui donner un coup de main. Marc Madiot, manager de la FDJ, balaie l'idée : «Ça va pas, non ? Si des étrangers faisaient ça, qu'est-ce qu'on dirait ? Si les circonstances s'y prêtent, peut-être qu'on ne roulera pas contre Bardet, mais c'est tout. […] Je travaille pour mon équipe, pas pour la concurrence.»

Les dépannages entre équipes rivales restent d'ailleurs bannis par les règlements de l'Union cycliste internationale (UCI) : «Les coureurs doivent défendre sportivement leur propre chance. Toute entente ou comportement tendant à fausser ou nuire à l'intérêt de la compétition est défendu» (article 1.2.081). Par ailleurs, «l'échange de nourriture, boisson, petit matériel, roues, bicyclettes ainsi que l'aide en cas de réparation sont autorisés entre coureurs d'une même équipe» (article 2.5.019), ce qui signifie qu'ils sont prohibés entre adversaires. L'UCI avait ainsi infligé deux minutes de pénalité à Richie Porte sur le Tour d'Italie 2015, l'Australien ayant accepté que son compatriote et concurrent Simon Clarke lui donne une roue de secours. Le même Porte est friand des alliances contre-nature, puisqu'il roule régulièrement en faveur de Froome, bien qu'il ne soit plus son coéquipier depuis deux ans.

Collusion. «La chance de Froome, c'est qu'il y a toujours quelqu'un pour rouler pour lui, relève Sébastien Hinault, directeur sportif chez Fortuneo-Oscaro. Sur le plat, la Quick Step emmène le peloton pour les sprints de Marcel Kittel. En montagne, si un favori attaque, on voit une autre équipe que la Sky rouler, pour défendre une 7e ou 8e place au classement général…» Fabio Aru, maillot jaune par intérim vendredi, profitait du même concours lorsque l'équipe UAE a contrôlé une échappée à la place de ses équipiers. Sur le papier, rien d'interdit : l'écurie des Emirats Arabes Unis défendait le Top 10 de son leader, Louis Meintjes. Mais elle pouvait aussi (voire surtout) prêter main forte à Aru, qu'elle rêve de recruter pour la saison prochaine…

Lorsque des adversaires roulent de concert, difficile de distinguer entre la poursuite d'intérêts communs, situation licite, et la collusion, frauduleuse et parfois rémunérée. Sur le Giro 1993, Banesto avait payé Festina pour travailler à son service, de même que Telekom avait embauché Cofidis sur le Paris-Nice 2003… L'échange se fait parfois en nature : un coureur ou une équipe qui se dévoue pour la concurrence sera récompensé plus tard d'une victoire d'étape. En principe, c'est l'équipe du maillot jaune qui supervise ces arrangements. Sauf que la Sky est moins préoccupé cette année par son réseau d'obligés à l'extérieur : elle a déjà fort à faire pour calmer en interne Mikel Landa. L'Espagnol, 5e, pourrait menacer son leader Chris Froome s'il part à l'attaque avec des outsiders.