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Libération
Le monde à l'envers (2/7)

Federer et Nadal, vétérans à deux balles

Chaque week-end, Mathieu Lindon réécrit l’histoire telle qu’elle aurait pu se dérouler.
Rafael Nadal et Roger Federer après la finale de Roland-Garros, le 5 juin 2011. (Photo Régis Duvignau. Reuters)
publié le 21 juillet 2017 à 17h16

Bien sûr qu’il faut être masochiste pour devenir un champion : travailler au lieu d’aller jouer quand on est enfant et, le reste de sa carrière, travailler quand on n’a pas envie, qu’on est fatigué, qu’on vient de travailler - travailler quand on est déjà au sommet dans l’espoir d’atteindre un nouvel everest. Il y a toutefois des limites que la décence et l’humanité imposent. Nul ne nie que Roger Federer et Rafael Nadal ont été des tennismen hors du commun, qu’ils ont duré plus qu’on ne l’imaginait, mais trop, c’est trop. Leur temps est passé et ils sont les derniers à s’en rendre compte, tel un mari cocu jusqu’à qui l’information n’est pas parvenue, comme s’ils étaient encore avides de s’infliger des séances d’entraînement et de suivre jusqu’à plus soif un cadre de vie millimétré.

Disette

L’année 2016 avait achevé de montrer qu’ils sont désormais de l’autre côté de la colline, et c’est une pente qui ne se remonte pas. Ça va faire bientôt cinq ans (Wimbledon 2012) que Roger Federer n’a pas remporté un titre du Grand Chelem malgré de multiples tentatives, il a maintenant 35 ans, ce qui est un âge plus que respectable pour un sportif, et il a été blessé ou hors du circuit la moitié de l’année, ce qui ne lui était jamais arrivé.

La période de disette de Rafael Nadal est un peu moindre. Il a gagné Roland-Garros en 2014 avant de se faire corriger par Novak Djokovic en 2015 et de déclarer forfait en plein tournoi en 2016 - jetons un voile pudique sur ses contre-performances dans les autres tournois du Grand Chelem, quand ses diverses blessures lui ont laissé le loisir d’y participer. Pour lui non plus, à 30 ans, le vent ne souffle pas dans le dos.

Le 20 octobre, les deux éclopés se sont retrouvés à Manacor, sur l’île de Majorque, pour l’inauguration de la Rafa Nadal Academy qui permettra à des jeunes de se perfectionner au tennis en suivant leurs études. Noble ambition. Mais pourquoi les deux vieux champions n’ont-ils donc pas sauté sur l’occasion d’être ensemble aux Baléares pour s’abandonner enfin aux charmes des plages et des fêtes ? Qu’ils profitent donc de la vie, tout le monde leur en saurait gré.

Cette volonté de persister coûte que coûte à faire de la figuration alors qu’on a monopolisé les premiers rôles a trouvé son apogée à l’Open d’Australie 2017, premier tournoi du grand chelem de la saison. Il y a des années que Novak Djokovic et Andy Murray gagnent tout - avec le concours de Stanislas Wawrinka qui, sur les années 2014-2016, a remporté trois fois plus de Grands Chelems à lui tout seul que Federer et Nadal réunis. Tout le monde sait que, sauf coup de théâtre, sauf coup d’éclat de Wawrinka, la finale opposera Murray et Djokovic. La si vantée incertitude du sport se révèle de moins en moins glorieuse et de plus en plus certitude.

Mais, comme s'ils ne comprenaient plus rien à rien, Federer et Nadal ne manifestent pas la moindre velléité de renoncer. Ils se présentent sur la ligne de départ, c'est-à-dire au premier tour, comme s'ils avaient la moindre chance de franchir la ligne d'arrivée, c'est-à-dire de se qualifier pour le dernier dimanche. Pendant qu'ils y sont, ils devraient parier avant le début de la compétition sur une finale Federer-Nadal, ce serait l'occasion de ruiner les bookmakers et de remporter d'un seul coup autant de millions de dollars qu'ils en ont amassés avec leur accumulation de titres - si ce ne sont pas leurs vieux coudes et genoux qu'ils ruinent pour de bon. Au lieu de ça, on a eu droit à ce qui ne s'appelle même plus des surprises, à force que ça survienne à chaque fois, mais une nouvelle étape de leur calvaire tennistique : Federer éliminé au deuxième tour par le 117joueur mondial, et Nadal en huitième de finale, ce qui est désormais presque une performance pour lui, par le 50e (1).

Sadisme

On voit mal Federer ne serait-ce que se présenter à Roland-Garros où il n’a triomphé qu’une fois (en 2009 !). Quant à Wimbledon et son gazon instable, il a moins de chances d’y conquérir un huitième titre que de s’y casser le col du fémur. Il ferait mieux de se cantonner au tournoi des vétérans s’il tient absolument à être là, quoique, avec quatre jumeaux (deux fois deux) dont il faut s’occuper, il ait mieux à faire que jouer au tennis. Quant à Nadal, il y a déjà des siècles qu’Andre Agassi a annoncé que sa carrière serait brève, tellement il force sur son corps comme sur un bloc d’acier inoxydable. Et pourtant, le Suisse et l’Espagnol ambitionnent de jouer encore les premiers rôles en 2017, comme s’ils ne pouvaient pas s’arracher à cette spirale de tortures et de désastres. Pour eux, c’est du masochisme. Mais, à l’égard de leurs supporteurs qui se font humilier à chaque tournoi par ceux de Djokovic ou Murray, c’est du sadisme. Leurs fans sont les premiers à réclamer de Nadal et Federer qu’ils stoppent leurs carrières avant que le ridicule actuel n’en gâche rétroactivement l’image tout entière. S’il vous plaît, par respect pour vous-mêmes et vos supporteurs, prenez votre retraite : personne ne l’a autant méritée que vous deux.

(1) Il faudrait être illuminé pour s'imaginer que Federer y aurait battu Nadal en finale après l'élimination de Djokovic au deuxième tour par Denis Istomin (117mondial) et celle de Murray en huitième de finale par Mischa Zverev (50e).