Ils sont ceux qui sortent quand les autres rentrent, effrayés par le vent et les vagues. Depuis bientôt deux siècles, les sauveteurs en mer font tout le contraire des marins. Quand la mer devient dangereuse, démontée par les coups de vent, agitée de vagues menaçantes, chacun gagne prudemment un abri pour attendre des heures meilleures. Sauf ceux dont le métier est de sauver les autres. Dès la réception d’un appel au secours, quelle que soit la force de la tempête, les bateaux à la coque orangée sortent du port et pointent leur étrave à travers des gerbes d’écume pour retrouver l’esquif menacé et ramener à terre son équipage en détresse. Le long des golfes clairs ou des côtes déchiquetées, hiver comme été, quelque 270 stations réparties sur le littoral français assurent nuit et jour la sécurité des pêcheurs et des plaisanciers.
Ils sont 7 000 bénévoles qui vivent à dix minutes de leur port d'attache, prêts 24 heures sur 24 à tout laisser tomber pour courir vers leur canot et s'élancer au secours des égarés, pêcheurs en difficulté, nageurs aspirés au large, plaisanciers pris par un coup de vent ou bien abîmés sur une roche, marins d'une heure emportés au loin sur leur planche à voile ou leur dériveur. Ils forment l'une des institutions les plus respectées et les plus efficaces du monde associatif : la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
Ces saint-bernard en ciré qui risquent leur vie pour celle des autres sont tous des bénévoles. Jusqu’à une période récente, ils étaient recrutés parmi les anciens professionnels de la pêche et de la marine marchande. Mais depuis plusieurs années, la diffusion des loisirs nautiques a amené à la SNSM une myriade de nouveaux volontaires qui regarnissent les rangs éclaircis par le temps, amateurs de mer passionnés de leur mission, mais par nature moins expérimentés.
Pour maintenir la qualité des interventions, il faut les former. Aussi bien, la petite flotte de canots tous temps, sans lesquels le sauvetage devient impossible par grand vent, est atteinte par l’obsolescence. Il faut remplacer les unités anciennes, sauf à laisser, dans ce mince filet de sécurité, des trous béants qui mettent en danger les centaines de milliers d’usagers de la mer qui affluent dès les beaux jours sur les côtes.
Tout cela coûte cher : l’équilibre traditionnel des finances de la SNSM, assuré à 80 % par les dons de quelque 80 000 contributeurs sollicités chaque année, est en passe d’être rompu.
La SNSM compte sur un regain de solidarité, très possible quand ils sont des millions à avoir besoin d’elle, un jour ou l’autre, alors qu’ils sont quelques dizaines de milliers seulement à envoyer leur obole. Mais si jamais le sursaut était insuffisant, il faudrait trouver d’autres moyens. Une taxe ? Par exemple cinq centimes prélevés sur la taxe de séjour auprès de tous ceux qui viennent en bord de mer ? Les responsables de l’association, bénévoles eux aussi, ne sont guère enchantés par cette perspective, efficace mais contraire à leurs traditions. Ils n’y viendront qu’en dernier recours. A la mer comme à la mer…
Dans cette situation qui pourrait devenir grave, l’Etat doit se prononcer. Après tout, la Société nationale de sauvetage en mer remplit un service public, à un coût minime en regard des missions accomplies, quelque 6 000 par an. Voilà qui mérite de l’attention, un débat, une concertation. La collectivité doit répondre à cette question cruciale : face à la gêne financière, qui sauvera les sauveteurs ?