Christopher Froome n'a pas seulement été conspué samedi dans l'enceinte du Stade Vélodrome à Marseille, lieu de départ du contre-la-montre à la veille de son quatrième succès dans le Tour de France : le Britannique du Team Sky a aussi été acclamé. Mezza-vocce et moins longtemps que la bronca, certes, mais tout de même. «Minot, oublie pas de tomber !» lâchait par ailleurs un invité dans la cohue, comme pour favoriser les desseins de Romain Bardet, le Français alors en embuscade.
Mais Froome ne tombe pas. Le maillot jaune le plus prolifique du XXIe siècle a ses détracteurs et ses partisans. Sans toutefois embraser les uns ou les autres : aucun camp n'adore ou ne déteste le champion falot. Plus contondant, plus populaire, était le rockeur dandy Bradley Wiggins, son ancien leader, que Froome était prêt à battre sur le Tour en 2012 si la Sky ne l'avait pas rappelé à l'ordre, pour ce qui aurait été la première de ses cinq victoires, le grade suprême, codétenu par Anquetil, Merckx, Hinault, Indurain (Armstrong, sept succès, a été déchu pour dopage).
Sang-froid
Christopher Froome, 32 ans, né au Kenya, poli et polyglotte, est un champion tiède, devenu archétype de l’ennuyeux, dans un Tour 2017 qui ne l’était pas. Ce n’est pas sa capacité physique qui est en cause. Le grimpeur-rouleur en forme d’allumette semblait un peu éteint cette année, légèrement dominé en montagne par le Colombien Rigoberto Urán et le Français Romain Bardet. Il n’a pas remporté d’étape. Il s’est même écroulé pour la première fois en sept ans, perdant 22 secondes sur 500 mètres dans les Pyrénées, à Peyragudes. Son avantage, il le doit au contre-la-montre, à son sang très froid et à la force de son équipe qu’aucune avanie ne touche.
En matière de popularité, Froome paie les années Sky : les derniers délires du vélo surgonflé, dont il a paru être un héritier, dominateur en 2013 et 2015, pédalage anormalement élevé et rythme cardiaque étonnamment bas, ce qui avait lancé des soupçons d’usage d’un moteur. Puis le vélo de l’infime, des «gains marginaux», des microdoses interdites, micro-triches licites et donc micro-exploits ou rêves. On a déjà oublié son Tour de transition en 2016, quand il avait attaqué en descente ou sur le plat. On glisse sur sa mine défaite de cette année, blanchâtre, lessivée, ses hochements de tête permanents comme s’il était désolé de tout. Froome est à la fois trop grand et trop petit dans l’histoire de son sport.
Sacrifice
Il accompagne aussi ce cyclisme d'inflation que Sky a installé, creusant dans la veine Armstrong : salaire supérieur à 5 millions d'euros, budget de son équipe estimé à 30 millions, moyens humains et techniques qui donnent une longueur d'avance dès le départ… Froome, maigre à affoler un hôpital, sans qu'on ait tout à fait compris les subtilités de ses régimes, inspire davantage la pitié que le respect. La Sky pousse loin l'idée du sacrifice. Christopher Froome, ancien étudiant en Afrique du Sud, membre de l'équipe italienne Barloworld qui célébrait autant l'EPO que la dolce vita, en accepte les règles. Et il s'use. Ce Tour 2017, gagné «ric-rac» selon son directeur sportif, Nicolas Portal, pourrait être son dernier succès. La brigade britannique chercherait même un plan B pour 2018 : le Colombien Nairo Quintana ? L'Irlandais Dan Martin ? Le Français Warren Barguil ? Officiellement, cependant, ses employeurs soutiennent qu'ils comptent toujours sur leur leader.
Plus que Froome, c'est la Sky qui étouffe le rêve. Un protagoniste du Tour de France confie cette histoire insensée à Libération : «L'autre jour, un coureur membre du top 10 vient à la hauteur de Froome dans un col et, comme il est parfois d'usage, lui annonce qu'il va attaquer. Froome hésite et finit par demander : "Mais tu es placé à combien de minutes de moi au classement général ?" Ça montre qu'il est seulement sur un vélo à pédaler. Ce mec est un cycliste télécommandé.»