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Libération

Les coachs à la culotte

Le championnat de France a ses habitudes, son folklore, fait d’opéras, de Ferrari jaune et de professeur Tournesol. Trombinoscope des entraîneurs de cette «Ligue 1 Conforama».
publié le 4 août 2017 à 19h56

A partir de cette saison, il faut dire «Ligue 1 Conforama», en vertu d’un accord financier entre les clubs professionnels et le pourvoyeur de meubles que Papa aux avant-bras de Wolverine monte les yeux fermés, clope au bec et clous dans la poche arrière du jean. Conforama : le magasin en sortie d’autoroute où vous et moi pouvons acheter une penderie ou un matelas en plusieurs mensualités, à condition d’avoir une carte de fidélité. Où les gosses qui ont la flemme d’errer avec les grands - quand ils hésitent pour un portemanteau et comparent deux friteuses - cavalent entre les pieux et s’allongent sur un canapé à 550 euros. Où Maman déboule avec le fascicule reçu dans la boîte aux lettres, qu’elle a surligné au stylo rouge, prête à parlementer s’il ne reste que le modèle d’exposition (tant pis). La vie normale, quoi.

La Ligue 1 Conforama : une majorité de clubs qui ressemblent plus à Papa et Maman (à l'échelle de l'économie du football) qu'à Neymar Jr (qui a débarqué à Paris en costard Hugo Boss) ou à Kylian Mbappé. On parle du football qui bricole, qui négocie les bonnes affaires même pendant les soldes et qui rêve, mais toujours les pieds collés au sol. En somme : une place dans le top 10, un joli parcours en coupe, le maintien assuré le plus vite possible pour s'éviter des suées ou le maintien tout court en cas de gros pépins en cours de route. Bref, le championnat de France normal, qui continue d'employer des entraîneurs locaux (il en reste 14) quand les plus ambitieux ont décidé que les étrangers (il y en a 6) permettaient d'une manière ou d'une autre de dormir sur leurs deux oreilles. A tort ou à raison, puisqu'on n'en est qu'au début de l'expérimentation.

Il n’empêche, en attendant le jour où la compétition sera renommée «Ligue 1 Roche Bobois», l’Espagnol Unai Emery (PSG), l’Italien Claudio Ranieri (Nantes) ou encore le Portugais Leonardo Jardim (Monaco) - les exceptions en voie de multiplication - doivent se mesurer à la norme. A Stéphane Moulin (Angers), Antoine Kombouaré (Guingamp) ou encore Olivier Dall’Oglio (Dijon), des artisans qui peuvent leur jouer de sales coups. Qui font plus que tenir la baraque dans le monde normal. C’est comme ça. Malheureusement, il arrive d’oublier à quel point la routine et la simplicité peuvent aussi produire de jolies choses.

Ramsès Kefi

Angers SCO Budget : 28 millions €

Le coach : Stéphane Moulin

Le pilier discret (six ans qu’il est là) d’un club discret qui paye (pas bien cher) des joueurs discrets. L’équipe La longue silhouette du milieu de terrain sénégalais, Cheikh N’Doye, a disparu du paysage et c’est comme si on avait arraché la tour Eiffel au Champ-de-Mars, mais à Angers. Comment fera-t-on sans cette expression abrasive, rugueuse que l’on aimait tant ? Tous les attaquants ont changé aussi. On sait déjà que l’on aura du mal à s’y faire.

Le pronostic : Entre 11e et 15e.

Amiens SC Budget : 26 Millions €

Le coach : Christophe Pélissier

Un entraîneur qui s’est fait rouler dans la farine par la Ligue (il était à Luzenac quand le club a été empêché de monter en L2 pour des raisons administratives) est forcément un sain. L’équipe Des paris complètement fous, entre un Mathieu Bodmer (34 ans, il était déjà lent à 25) et un Gaël Kakuta (alias «Black Zidane», son surnom quand il était post-ado) ramené de Chine après une carrière menée comme on tente d’échapper à soi-même. Ça promet de la haute voltige.

Le pronostic : Entre 16e et 20e.

AS Monaco Budget : 170 Millions €

Le coach : Leonardo Jardim

170 millions de recettes avec la vente de joueurs cet été, avant même le départ de l’attaquant prodige (18 ans) Kylian Mbappé pour à peu près la même somme : le roi Midas du foot européen. L’équipe La direction a logiquement mis sur le marché les demi-finalistes de Ligue des champions 2016-2017 en faisant mine de vouloir en garder quelques-uns : ceux-là tirent la tronche en attendant leur bon de sortie. L’AS Monaco repart quand même de très, très, très loin.

Le pronostic : Entre 1er et 5e.

AS Saint-Etienne Budget : 68 Millions €

Le coach : Oscar Garcia

Un Espagnol à la dégaine d’acteur américain que les Foréziens sont allés chercher en Autriche sous les vivats («vous verrez, il est fort, il a joué au Barça») : vivement les matchs. L’équipe Valeur sûre dans les buts mais snobé à chaque mercato, le salut de Stéphane Ruffier passe peut-être par une inscription sur Linkedin Premium. Et devant, «Sainté» possède un Slovène sous-estimé avec un nom d’autoentrepreneur breton : Robert Beric.

Le pronostic Entre 11e et 15e.

Dijon FCO Budget : 32 Millions €

Le coach : Olivier Dall’Oglio

Une saison (la dernière) à dauber ses joueurs devant les journalistes et à peindre (il expose et vend ses toiles), pour faire tomber la tension. L’équipe Un charme suave et, disons-le, presque invisible : l’an passé, le grand public n’a découvert l’existence du Dijon FCO qu’à chaque fois qu’ils se sont fait carotter sans vergogne par les arbitres. Malheureusement pour leur classement, mais heureusement pour leur rayonnement médiatique, c’est arrivé tout le temps.

Le pronostic : Entre 16e et 20e.

Lille OSC Budget : 90 Millions €

Le coach : Marcelo Bielsa

A écouter ses pairs, l’Argentin est au football ce que Michel Foucault est à la philosophie : le toit de son monde. L’équipeDes jeunes pousses crève-la-dalle, souvent portugaises ou sud-américaines. Qui vont courir comme des mabouls avec d’autant plus d’entrain qu’ils prendront quelques centaines de milliers d’euros de valorisation sur le marché des transferts (le but est de les vendre avec plus-value, et fissa) par tranche de dix kilomètres.

Le pronostic : Entre 6e et 10e.

Montpellier Hérault SC Budget : 43,5 millions €

Le coach : Michel Der Zakarian

Une pile électrique, souvent sur le point d’arracher la queue du Mickey (avec Clermont, Nantes, Reims) avant que la porte ne se referme. L’équipe Un effectif étrange et pour tout dire un peu flippant car recelant ses propres fantômes, c’est-àdire une palanquée de joueurs (Stéphane Sessègnon, Isaac Mbenza, Vitorino Hilton, Daniel Congré, Jérôme Roussillon) qu’on a imaginés hauts avant qu’ils ne rentrent dans le rang.

Le pronostic : Entre 11e et 15e.

Olympique Lyonnais Budget : 240 millions €

Le coach : Bruno Genesio

Un modèle vintage dans un club d’avant-garde : le gars du bâtiment que l’on fait monter chez les pros au nom de la culture d’entreprise. L’équipe La vente des pépites (Corentin Tolisso, Alexandre Lacazette) du centre de formation a fait la bonne fortune du club. Pour rire, les supporteurs appellent leur entraîneur «Pep» Genesio, une allusion à Pep Guardiola, meilleur coach du monde. Voilà au moins un club où l’on sait rigoler !

Le pronostic : Entre 1er et 5e.

Olympique de Marseille Budget : 250 millions €

Le coach : Rudi Garcia

Une dimension internationale rare chez les coachs français et une maîtrise consommée du double discours. L’équipe Henri Bedimo (blessé une semaine sur deux les meilleures années) et Tomas Hubocan (sosie slovaque d’un prof dans la série «Plus belle la vie») sont au moins aussi fringants que Patrice Evra (excapitaine des Bleus, travesti en panda sur les réseaux sociaux) sur le côté gauche : OM Champions Project.

Le pronostic : Entre 1er et 5e.

OGC Nice Budget : 45 millions €

Le coach : Lucien Favre

Le professeur Tournesol du jeu, architecte d’une expression collective parmi les plus différentes et exotiques de l’histoire de la Ligue 1. L’équipeL’arrivée de l’attaquant Mario Balotelli au centre d’entraînement dans le fracas de sa Ferrari jaune est une expérience unique, entre Las Vegas Parano 2.0 et apparition divine. Le «Gym» l’a rendu à sa condition de joueur alors qu’on le disait perdu pour le foot à 25 ans : ce club mérite le paradis.

Le pronostic : Entre 1er et 5e.

EA Guingamp Budget : 29 Milliions €

Le coach : Antoine Kombouaré

Une passion : le golf. Une arme managériale : la capacité à faire grimper les mecs au rideau avant les matchs. L’équipe Une réduction légitime de l’immense complexité du jeu de football, symbolisée par Kombouaré quand il tape avec son poing dans sa main en faisant «et paf !». Des courses, du combat et des contreattaques, avec Jimmy Briand au leadership et des attaquants avec des cuisses comme des troncs d’arbres. Ça eut payé, ça payera encore.

Le pronostic : Entre 6e et 10e.

ESTAC Troyes Budget : 26 Millions €

Le coach : Jean-Louis Garcia

Un ancien monsieur Je-sais-tout tombé au plus bas (Grenoble en CFA) avant d’emprunter les chemins de la rédemption et de déjouer les plans machiavéliques de la Ligue pro en remportant le barrage d’accession. L’équipe Benjamin Nivet (divin chauve de 40 ans à la semelle de velours), Oswaldo Vizcarrondo (un défenseur vénézuélien aux crampons pointus), des transferts négociés en centaines de milliers d’euros et le maintien comme rêve ultime : la vraie Ligue 1 Conforama.

Le pronostic : Entre 16e et 20e.

FC Metz Budget : 33 M€

Le coach : Philippe Hinschberger

Premier coach à avoir cassé le bouton de l’ascenseur messin entre la L1 et la L2 en douze ans, sept saisons à Laval : le terroir est son royaume. L’équipe Ismaïla Sarr est parti dans un club qu’il ne connaît pas, Cheik Diabaté est retourné en Turquie avec son genou dans un sac plastique. Les rudes défenseurs Bisevac et Falette, poètes mosellans, devront maintenant écrire leur prose avec Nolan Roux, le seul attaquant au monde qui n’aime pas vraiment marquer.

Le pronostic  : Entre 16e et 20e.

FC Nantes Budget : 45 Millions €

Le coach : Claudio Ranieri

La mine de papa gâteau et le prestige immense de l’Italien cachent un manager abrasif, poussant les joueurs dans leurs retranchements. L’équipe Mâconnais comme Griezmann et meilleur tacleur de Ligue 1 la saison passée, Valentin Rongier, 22 ans, est la next big thing de l’année qui s’annonce. Mais c’est bien sur Préjuce Nakoulma, attaquant burkinabé longuement empêtré dans le championnat polonais et guignant un temps «l’eldorado» chinois, que le regard frissonne.

Le pronostic  : Entre 6e et 10e.

Girondins de Bordeaux Budget : 65 Millions €

Le coach : Jocelyn Gourvennec

Sous ses airs de cadre dynamique (la cravate en moins), l’un des rares entraîneurs français avec une grosse valeur marchande. L’équipe Comment dit-on «au revoir» en hongrois ? Búcsú. Sorti jeudi de la scène européenne par le Videoton Székesfehérvár, Bordeaux est un peu à la France ce qu’est la Floride aux Etats-Unis, hospitalière avec ses anciens : Jérémy Toulalan (33 ans) et Jaroslav Plasil (35 ans) ont les jointures qui craquent, mais ils portent beau.

Le pronostic : Entre 6e et 10e.

Paris-Saint-Germain Budget : 560 millions €

Le coach : Unai Emery

Une tête et un passionné, hypersensible au jeu de football. Mais sa gestion des gardiens, non, ce n’est pas possible. L’équipe Montage financier : Sport, un canard espagnol, qualifie «d’oeuvre d’art» la manoeuvre pécuniaire du PSG pour s’offrir Neymar. Démontage financier : Al-Khelaïfi n’arrive toujours pas à bazarder Jesé (24 ans, 1 but en Ligue 1). Parmi les outils à la disposition du club : la rupture conventionnelle. Comme au McDo.

Le pronostic : Entre 1er et 5e.

RC Strasbourg Budget : 28 a 30 millions €

Le coach : Thierry Laurey

Deux montées en Ligue 1 en trois ans, avec un Gazélec Ajaccio sans un rond et le géant endormi strasbourgeois : on appelle ça une oeuvre. L’équipe Le charme vintage du retour du Racing en L1 durera deux matchs et on reparlera de Gilbert Gress ou des ailiers barbus. C’est ensuite, avec les premiers revers, que l’on s’apercevra qu’il s’agit d’une bande de gros durs qui distribuent des brins à tout ce qui passe. Un charme aussi.

Le pronostic : Entre 11e et 15e.

SM Caen Budget : 31 millions €

Le coach : Patrice Garande

Un type qui accueille ses joueurs le matin en fumant un énorme cigare est un épicurien. L’équipe Une gâchette croate (Ivan Santini) avec un blaze sud-américain les avait sauvés la saison passée, essaimant quinze buts tous plus opportunistes les uns que les autres en L1. Il ne faudra pas manquer les derniers feux du subtil Julien Féret (35 ans), que l’on savourera comme on écoute un opéra. Le pronostic Entre 16e et 20e.

Stade Rennais : Budget : 50 millions €

Le coach : Christian Gourcuff

Un plan secret, consigné dans une grande banque internationale sous seing privé : revenir dans le club qui l’avait injustement viré en 2002 pour le détruire de l’intérieur. L’équipe Rennes s’est lancé dans la chasse à la plus-value en enrôlant Ismaïla Sarr (19 ans, une saison en Ligue 1 à Metz) pour 20 millions. A la question : «Vous connaissiez le Stade Rennais avant de signer ?» le Sénégalais répond en toute innocence : «Non.»

Le pronostic : Entre 6e et 10e.

Toulouse FC Budget : 35 millions €

Le coach : Pascal Dupraz

Une sorte de mystique catho-punk («vivre fort, vivre vite») parachuté dans le club le plus peinard de France : magique. L’équipeCorentin Jean (espoir piqué à Monaco, un seul but la saison passée), Andy Delort (adroit, mais peut tout à fait signer à Hawaï sur un coup de tête) et Yaya Sanogo (ex-pépite des équipes de France de jeunes, arrivé en plusieurs morceaux d’Arsenal) : la plus belle promo de toutes les écoles de la seconde chance.

Le pronostic : Entre 11e et 15e.