Samedi soir, Justin Gatlin, 35 ans, a remporté la finale du 100 mètres aux Mondiaux de Londres (9''92). Sous les sifflets et les huées, comme à l'accoutumée. A la fin de la course, il a mis son doigt sur sa bouche, comme si ça pouvait y changer quelque chose. Et il s'est agenouillé en tendant les bras devant Usain Bolt invaincu sur 100 et 200 mètres depuis neuf ans (19 titres d'affilée), lequel termine sa carrière sur une médaille de bronze. «Ça reste la nuit d'Usain. Il a tant fait. Qu'il ait gagné ou pas, c'est lui l'homme. Je lui ai rendu hommage car il le mérite», a-t-il glissé à nos confrères de l'Equipe.
Gatlin, le desperado de l'athlétisme, pincé deux fois pour dopage, suspendu quatre ans en 2006, qui cavale plus vite aujourd'hui que lorsqu'il se chargeait. Le repenti, dont les déboires ont forcément contribué à fabriquer les premières lignes de la légende de Bolt. Le Jamaïcain a commencé à écraser le sprint de façon spectaculaire (un géant - 1,96 mètre - au milieu des cubes aux biceps de tronc d'arbre, qui humanisait une discipline de cyborgs) quand les scandales de triche avaient mis l'athlétisme à genoux. Et donc, quand Gatlin purgeait sa punition, pensant un temps à se reconvertir dans le foot américain. Ce dernier, après sa victoire : «Je ne suis peut-être pas le meilleur sprinter qu'on veuille voir au départ ou représenter les Etats-Unis, mais je suis un battant.»
En 2015, aux Mondiaux de Moscou, il avait manqué d’un centième d’avoir la peau de Bolt, dont on disait qu’il commençait déjà à décliner. A l’époque, en filigrane de ses déclarations, il posait la question : suis-je le diable en personne ? En 2016, aux Jeux olympiques de Rio, l’Américain a une nouvelle fois fini juste derrière le roi. On l’avait laissé au Brésil, en conférence de presse : petite voix pour indiquer qu’il n’était pas là pour emmerder qui que ce soit, visage fermé et pansement sur l’avant-bras - il a eu droit à un contrôle à peine la course terminée. Quoiqu’il puisse dire sur la possibilité d’une seconde chance et les conneries du passé, qui le croit vraiment ? Gatlin est le méchant fantôme, que les performances exceptionnelles de Bolt avaient coincé dans une lampe.
Samedi soir, les consultants de France Télévisions ont crié leur désarroi sitôt le 100 mètres terminé. En somme : Usain Bolt, 30 ans, aurait mérité de terminer avec l’or. Cela sous-entendrait presque que Gatlin est le seul à avoir flingué son jubilé. Or, le Jamaïcain a aussi été devancé par le jeune Américain Christian Coleman, 21 ans. Bolt arrête, à moins que. Et Gatlin, lui, se verrait bien continuer jusqu’aux Jeux de 2020.