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Rencontre

Kevin Hautcœur, agent «trouble» de l'athlétisme français

Dans le milieu, il souffre d'une réputation exécrable depuis qu'il a pris sous sa coupe Jimmy Vicaut et Pierre-Ambroise Bosse. Lui fustige le traditionalisme du sport français.
Kevin Hautcœur lors du 800 mètres des championnats du monde d'athlétisme, à Doha en 2010. (Photo Karim Jaafar. AFP)
publié le 6 août 2017 à 11h46

Casquette et baskets Puma, son ancien équipementier, pantalon couleur brique, chemise blanche, porte-documents en cuir noir. Le tout uni à une barbe de quatre jours et à un iPhone constamment à recharger («c'est la troisième fois aujourd'hui», nous confie-t-il) : Kevin Hautcœur, 32 ans, est le portrait du parfait businessman-parisien-branché. Sa silhouette est encore celle de l'athlète de haut niveau qu'il a été, sur le double tour de piste, il y a encore quelques années : pas un kilo de trop, même peut-être quelques grammes de moins sur un corps longiligne. Il est, depuis l'année dernière, le nouvel agent de deux grosses pointures de l'athlétisme français : Pierre-Ambroise Bosse, recordman de France sur 800 mètres et quatrième aux JO de Rio, et Jimmy Vicaut, sprinter parisien recordman d'Europe, lui, sur la distance la plus médiatique, le 100 mètres. Ces athlètes, 50 ans tout pile à eux deux, sont engagés aux championnats du monde d'athlétisme qui ont débuté vendredi à Londres. Leur agent ira aussi dans la capitale anglaise pour voir un autre de ses poulains : le perchiste Axel Chapelle, 22 ans, qui participe à ses premiers mondiaux.

Le rendez-vous avec Kevin Hautcœur est fixé à Paris dans une brasserie du quartier de Châtelet dont lui et son équipe sont des clients habituels : «C'est à la bonne franquette mais on y mange très bien. J'y vais parfois pour discuter des contrats, je n'ai pas que des bons souvenirs, mais bon. Les joueurs du Stade Français sont souvent là», nous raconte le trentenaire, Nantais de naissance comme Pierre-Ambroise Bosse. Ce soir-là, la brasserie est presque vide mais le décor ne ment pas : rien que des maillots de rugby en mode relique sous verre, tous signés et dédicacés. Pas de joueurs mais une athlète de l'équipe de France de judo que l'agent s'empresse de nous présenter.

Usine à champions

Kevin Hautcœur n'aime pas trop parler de lui. La première fois qu'on l'avait approché, la veille du meeting d'athlétisme de Paris, c'était lui qui posait les questions : «Mais pourquoi vous vous intéressez à moi ? Moi je préfère qu'on parle de mes athlètes…» Parfois fuyant, il ne se fait pas prier quand il faut décrire ce qui l'agace dans l'athlétisme français : «C'est un milieu très fermé, il y a toujours les mêmes têtes et surtout ce qui me dérange, c'est que les coachs ne se remettent jamais en question.» Les coachs dont il parle sont les cadres techniques, qui entraînent dans les pôles performance sur le territoire français et à l'Institut national du sport et de la performance (Insep), l'usine à champions du sport français. Kevin Hautcœur, champion d'Europe espoir de 800 mètres en 2005 à Erfurt (Allemagne), a été pensionnaire de l'Insep pendant plusieurs années.

C'est dans son groupe d'entraînement, guidé par Bruno Gajer, entraîneur et cadre technique, qu'un jour débarque la perle Pierre-Ambroise Bosse : «Lui, il commençait sa carrière, et moi je la terminais. Bizarrement quand je suis rentré à l'Insep, après avoir gagné ma médaille à Erfurt, j'ai compris qu'il n'y avait pas de passion pour le sport dans ce lieu. Chacun cherche à y garder sa place, à s'occuper de ses intérêts : ça m'a interpellé. Vous savez combien de médailles, sur les six que l'athlétisme français a gagnées à Rio, viennent de l'Insep ? Même pas une, alors pourquoi on garde tous ces profs de sport à leur place, avec leur beau salaire de fonctionnaire ? Et puis ils veulent se mêler aussi des contrats avec les équipementiers pour les athlètes… Pourquoi on n'aide pas plus les coachs de province qui sortent les petits et les font grandir jusqu'aux podiums internationaux ?»

«Sulfureux»

Le passage de Jimmy Vicaut et Pierre-Ambroise Bosse de l'écurie de René Auguin, le plus important agent de l'athlétisme tricolore, à celle de Kevin Hautcœur et de son associé Olivier Thomas, a fait un énorme bruit dans le milieu l'année dernière, car les deux golden boys ont, au passage, changé aussi de coachs. Tous les deux ont laissé des cadres techniques de l'Insep, Guy Ontanon et Bruno Gajer, pour choisir des noms moins connus. Gajer, dans les colonnes de l'Equipe, avait qualifié Hautcœur de «sulfureux», sans argumenter davantage. Contacté par Libération, il n'a pas souhaité répondre à nos questions.

Même chose pour René Auguin qui préfère «ne pas parler d'Hautcœur». «Je ne sais pas pourquoi Gajer me targue de sulfureux. Je n'ai jamais rien eu à faire avec le dopage et j'étais même dégoûté de voir les transformations des athlètes quand j'allais sur les compétitions internationales, se défend Hautcœur. J'ai arrêté aussi pour cette raison. D'ailleurs, je ne suis que des athlètes qui sont 100% propres, comme Pierre et Jimmy, sans eux je ne serais pas resté dans l'athlétisme.» Il ne cache pas qu'athlète, il a eu un contact avec le très controversé naturopathe Bernard Sainz, le fameux «Docteur Mabuse» des pelotons cyclistes : «Je n'étais pas bien et une connaissance m'avait mis en contact avec lui. Je ne connaissais pas cet homme qui m'avait donné une cure à base de fruits acides. Je n'ai pas poursuivi cette collaboration.»

L'ancien demi-fondeur compte pléthore d'ennemis, chose qu'il sait pertinemment. Ces derniers n'y vont pas par quatre chemins pour dire, sous la couverture de l'anonymat, tout le mal qu'ils pensent du Nantais : «C'est un tchatcheur, sans métier. Il a travaillé à la culotte les athlètes, d'abord il est devenu leur pote et après il les a débauchés». Ce que Hautcœur ne nie pas complètement quand il décrit sa façon de travailler : «Je suis quelqu'un de gentil, j'ai rendu des tonnes de services aux athlètes et pas seulement à ceux qui sont avec moi maintenant. Ce qui manque à l'Insep, c'est la composante humaine et la passion, et moi je fonctionne comme ça. Quand Jimmy a voulu tout changer parce qu'il en avait marre de la façon dont se faisaient les choses dans son dos, il m'a appelé : je ne débauche personne. L'athlétisme, pour moi, c'est 1% de mon business.» Hautcœur et son associé sont en effet agents aussi, et majoritairement, de footballeurs : «Ligue 1, Ligue 2, CFA, je suis tous les week-ends sur une tribune de stade. Les chiffres du foot sont différents de ceux de l'athlé, mais je peux vous dire que les athlètes ont une gnaque qui manque neuf fois sur dix aux footballeurs.» Le trentenaire au look de hipster veut bousculer le milieu de l'athlétisme et prend un exemple haut placé : «Regardez ce qu'a fait Macron : prendre des jeunes et les faire travailler en enlevant des vieux. Je pense que cela ferait du bien à tout le sport français en général. Beaucoup, dans les fédérations, pensent la même chose et m'ont déjà sollicité, mais moi je veux garder ma liberté de parole.»