Une corvée de bois déguisée en mort naturelle. Si le fiasco des basketteurs tricolores lors des derniers Jeux de Rio (un crash à - 25 contre les Espagnols en quart, Nicolas Batum à 0 point) n’a pas encore livré tous ses secrets, on avait compris l’essentiel : Tony Parker (34 ans à l’époque) devait faire ses adieux à une sélection qu’il a tenue par tous les bouts pendant quinze ans et tout, depuis un entraîneur vassalisé jusqu’à des coéquipiers parfois dubitatifs - pour ne pas dire plus - sur le niveau du meneur des Spurs, a été précipité dans un trou noir sportif.
Passe-droits en rafale pour le maestro, décontraction suspecte chez les uns et démission express pour au moins un autre. L'Euro s'ouvre jeudi en Finlande pour les Bleus face à une sélection locale présumée coriace. Le coach tricolore, Vincent Collet, plaide la reconstruction post-Parker : «Il y a beaucoup d'interrogations. Mais il y en a toujours quand une équipe est nouvelle.»
Une page blanche ? Aucune chance. On en tient une bonne : quand Collet a fait sa tournée outre-Atlantique cet automne pour rencontrer les internationaux sous contrat en NBA (le championnat nord-américain), un joueur présent à Rio a refusé de le voir sous le motif qu’il gagnait des blindes et qu’il n’en avait plus rien à battre de la sélection. Des arguments de façade : remonté au Brésil contre une répartition des cartes donnant la part belle à l’arrière Nando De Colo et estimant être fragilisé par le rôle que lui faisait tenir Collet, le joueur en question a fait bonne figure, à sa manière. Le basket n’est pas n’importe quel sport collectif. Où trouve-t-on des ego pareils, piqués aux hormones des salaires pharaoniques distribués par les franchises américaines ? Quelle discipline est individualisée à ce point, décortiquée à l’aune des statistiques personnelles (nombre de points, de rebonds…) des acteurs ? Dans quel autre sport de contact (pour ne pas dire de combat, le «ciblage» du meilleur atout adverse relevant du b.-a.ba) impose-t-on un match par jour en phase finale, ce qui empêche de faire retomber les tensions physiques ou psychologiques ?
Joueurs contestataires
Des témoins se souviennent encore de cette mémorable partie de manivelle dans le lobby d’un hôtel suédois durant l’Euro 2003, où tous les joueurs slovènes avaient entrepris de se foutre sur la gueule pour purger quelques différents. C’est du basket. Ce qui renvoie en creux à Rio où plutôt à ses stigmates supposés : quid de Vincent Collet, statutairement garant du ciment collectif, après une équipée brésilienne dont il est sorti affaibli, les présents ayant vu venir de loin le crash final ? Faute de pouvoir faire un saut dans le temps pour se projeter à la fin de l’Euro et de connaître une réponse qui appartient seulement à la compétition et à son déroulé, il faut interpréter les signes.
Des deux joueurs contestataires qui lui avaient fait la musique à Rio, seul le meneur Thomas Heurtel (28 ans), désormais pourvu d’un contrat à 1,25 million de dollars (850 000 euros) par saison à Barcelone, est du voyage en Finlande. Ça laisse au sélectionneur un peu de marge, d’autant que les quelques mois passés loin des parquets (entre la fin des Jeux et octobre, où la SIG Strasbourg l’a réembauché) ont laissé respirer un homme professionnellement harassé, alors en proie à des problèmes personnels.
Personnage central du basket français et sélectionneur depuis 2009, où il cornaqua un Tony Parker qui fut simultanément son patron - en tant qu'actionnaire majoritaire du club de Villeurbanne où il coachait aussi -, Vincent Collet est devenu une sorte de garde-fou, d'autant plus essentiel au basket hexagonal que le nombre de millionnaires (potentiels ou avérés) susceptibles d'être alignés sous le maillot tricolore augmente chaque saison, au fil de leur exil en NBA. Au vrai, Collet est un personnage un peu raide, suffisamment honnête intellectuellement pour être perçu comme tel par les joueurs et dont la crédibilité purement basket - les systèmes de jeu, le timing, la lecture - apparaît même aux plus grands techniciens issus de l'ex-Yougoslavie. Pour le reste, quelqu'un qui le connaît par cœur le définit comme suit : «Si tu laisses un billet de 100 euros dans une pièce où tu étais seul avec lui, quand tu reviens deux heures plus tard, tu retrouves 110 euros.»
Quand on l'avait rencontré, on avait été frappé à la fois par une sorte de fixité défensive, et une modestie en décalage non seulement avec les joueurs (les siens comme les autres), mais avec une fonction de coach s'ingérant et maîtrisant des milliers de systèmes et de variantes. Quand on lui avait demandé en 2011 ce qu'il pensait de Parker, il avait cette réponse d'une franchise inouïe : «Demandez plutôt à Tony ce qu'il pense de Vincent Collet.» Même révérence pour l'agressivité offensive espagnole, rappelant par bien des façons ce jeu NBA dont Collet, à l'inverse de beaucoup de ses pairs français, n'a jamais, à notre connaissance, souligné le côté fruste, même en off : un phénomène.
Longtemps rétif au «qui perd gagne», ces matchs de poule sans importance qu’il importe de balancer pour s’assurer un chemin moins difficile lors des rencontres par élimination directe, qui concluent les tournois internationaux : profondément éthique dans son approche du sport, Collet pourrait, aux dernières nouvelles, être tenté de mettre un peu d’eau dans son vin - un marqueur à surveiller, disant possiblement le pragmatisme et une souplesse nouvelle.
Plus généralement, l'intéressé parle de trouver «le nouveau chemin». Il est difficile à trouver. L'équipe de France reste sur trois médailles lors des précédents championnats d'Europe, dont un titre en 2013 en Slovénie. Le public vit sur un grand pied : l'écho toujours plus puissant des exfiltrations vers la NBA et des réussites afférentes n'a aucune chance d'être contrebalancé par l'humble discours d'un sélectionneur expliquant que le basket se joue sur un parquet et qu'un jour d'adresse, les lanceurs de couteaux finlandais ou slovènes peuvent pousser des millionnaires en dollars dans la bordure.
«Ce n’était plus le grand Tony»
Et ce n'est pas tout. Parker était sorti du tournoi olympique sans un mot de trop. Pourtant, on l'imagine curieux de voir à distance qui, parmi ceux qui ne cachaient pas leur scepticisme sur le niveau du meneur des Spurs à Rio, aura le cran de prendre la responsabilité du shoot lors de ces fins de parties tendues, où chaque ballon pèse des tonnes dans les mains du tireur. Même moins bien, le joueur de San Antonio ne s'est jamais caché. Qui pour reprendre le flambeau ? Elu meilleur joueur d'Euroligue (la Ligue des champions du basket) en 2016, Nando De Colo a été bombardé principal taulier, un statut tellement voyant qu'il se fera hacher sans vergogne - coups de coude ou de genou, provocations - dès l'entame de la compétition : les adversaires ont des yeux pour voir. Du coup, qui d'autre ? Une fois qu'on a éliminé un Boris Diaw (35 ans) au bout du bout et la palanquée de role players - ces joueurs utiles dans un cadre limité - de l'équipe, il n'en reste plus qu'un : Evan Fournier. Piquant : l'arrière du Magic d'Orlando, meilleur marqueur français en NBA depuis deux saisons (15,35 points par match en 2015-2016, 17,2 en 2016-2017), avait été écarté du tournoi olympique par Collet pour faire de la place aux affidés de Parker.
Une injustice sportive dont l'intéressé s'est manifestement souvenu dans Basket Mag ce week-end : «La transition post-Parker a commencé depuis quelques années. Ce n'était plus le grand Tony. […] On continue à parler par message avec lui. Mais quand quelqu'un n'est pas là, il n'est pas là.» En soi, Evan Fournier est une parabole. Un type à part, qui avait eu l'incroyable idée de se faire filmer durant des mois en vue d'un documentaire alors qu'il n'avait même pas encore mis les pieds en NBA, quelque part entre la foi en son propre destin et une forme de déconnexion. Lors des deux compétitions qu'il a disputées avec les Bleus, le Mondial 2014 et l'Euro 2015, Fournier est parfois apparu en marge, comme s'il disputait une sorte de tournoi parallèle.
Entretenant aussi dans l’esprit du staff et de Vincent Collet l’idée d’un joueur de salon, portant ses statistiques offensives individuelles en NBA - en saison régulière puisque Fournier n’a jamais disputé les play-offs depuis 2013, où l’intensité défensive est tout autre - comme un général d’armée arbore ses barrettes. Le basket de très haut niveau, c’est autre chose. Si Fournier est un joueur magnifique à voir évoluer sur un parquet, le beau n’est pas le vrai, ou pas souvent. Exister dans l’œil d’équipiers missionnés pour aller au sacrifice et donner de l’air à la star désignée est beaucoup plus compliqué que se mettre le public dans la poche. Après, les phases finales des grands tournois sont là pour ça.