Quelques jours avant le transfert de Kylian Mbappé, une dame est apparue sur Twitter, comme ça, au milieu d’un peuple virtuel philosophant en 140 signes sur le joueur, parfois en des termes fort déplacés. Très vite, des anonymes ont tiqué : le compte porte le nom de jeune fille de la maman de l’attaquant, Fayza Lamari, ex-handballeuse de haut niveau, chargée du marketing de la carrière météorique de son fils.
Certains ont tenté d’établir le contact, comme on essaie de se connecter à un esprit. Mais elle s’en est rapidement allée après avoir verrouillé son compte. Le Paris-Saint-Germain - et son shopping estival de luxe avec Neymar - est chamanique. Et les coulisses de ses achats sont délicieuses. Lundi, Kylian Mbappé, 18 ans, est devenu le joueur français le plus cher de l’histoire, le second toutes nationalités confondues derrière son coéquipier parisien Neymar.
Le club de la principauté, labo qui polit des produits potentiellement haut de gamme, devrait donc récupérer 180 millions d'euros, assortis de divers bonus, grâce à son prototype le plus abouti. Fin techniquement, buteur, précis, malin, supersonique. Ovni, parce qu'encore perfectible. En 2011, Libération avait croisé par hasard son chemin à Clairefontaine, petite bourgade des Yvelines qui accueille l'Institut national du football, que les jeunes les plus doués de leur génération se battent pour intégrer. Mbappé traînait des pieds. Quelconque. Exprès. Un recruteur présent derrière la main courante : «Kylian est au-dessus de la moyenne et il le sait. C'est pour ça qu'il n'en fait pas des tonnes aujourd'hui : son nom est déjà sur la liste des admis.»
Député-maire
A notre échelle, on ne finira sans doute jamais de s’interroger sur les mécanismes du marché : «Razmoket» (son surnom à Monaco, en référence au dessin animé qui raconte les aventures de bébés intrépides) a inscrit son premier but en championnat à 17 ans et 62 jours, mieux que Thierry Henry, meilleur buteur de l’histoire des Bleus, formé et lancé dans l’élite comme lui en principauté. C’était il y a dix-huit mois à peine. Raconté autrement : un minot, quel que soit son niveau de précocité, mériterait qu’on lui foute la paix, au moins le temps qu’il comprenne ce qui lui arrive. Mais c’est une autre affaire à l’échelle du business du foot. Il a sa propre temporalité, qui s’impose toujours. Un contrat avec Nike à 13 ans, une visite au Real Madrid à 14, six pions en Ligue des champions la saison passée (dont quatre face à Manchester City et au Borussia Dortmund, des gros bras), quinze en Ligue 1 (en 29 matchs) et l’aisance d’un député-maire pour se raconter à chaque interview : dans cette chronologie-là, où tout évolue en accéléré, l’international français (depuis mars) n’est plus en couche-culotte depuis des lunes.
Juin : alors que le PSG bossait encore en sous-marin, Unai Emery, le coach, avait évoqué Mbappé, originaire de Bondy, en région parisienne. Une communication romantique : Emery se demandait publiquement ce qu’il y avait de plus beau pour un footballeur que d’être prophète en son pays.
Août : alors que la transaction ne faisait plus de doutes, un groupe de supporteurs de l'AS Monaco met en ligne un communiqué anglé sur les valeurs, fustigeant les exigences salariales du joueur pour continuer sur le Rocher. En filigrane, l'idée selon laquelle le gamin à la bouille innocente et au rire facile, fan de jeux vidéo et chouchou des caméras, ne serait qu'un fieffé ingrat. «Nous croyons en un football populaire», dit le texte. Comme si la faucille et le marteau étaient l'emblème du club de la principauté. Et que Paris avait pour actionnaire majoritaire la Ligue communiste révolutionnaire. Le joueur, lui, aurait été recadré par des coéquipiers à l'entraînement pour son manque d'implication à la rentrée. Sans jamais prendre la parole quant à ses desseins.
Athmane Airouche, président de l'AS Bondy, déroule une histoire. L'an passé, après son titre de champion d'Europe avec les moins de 19 ans (4 buts), l'attaquant aux chaussettes remontées a demandé une faveur à son staff. «Après la finale, j'étais là. On le poussait à aller faire la fête avec ses coéquipiers, ce qui est normal après ce genre de victoires. Mais il préférait rentrer à l'hôtel pour récupérer. Alors, il a insisté auprès du staff pour rentrer à l'hôtel avec nous, les grands. La différence avec d'autres est sa conception de l'extrasportif. Ça fait longtemps qu'il s'est préparé à ce qui lui arrive.» Il poursuit : «Quand il était petit, ce n'est pas sa vitesse qui impressionnait, plutôt son intelligence de mouvement, les déplacements… Il sentait déjà les coups.» Thierry Henry, à qui il est comparé, dans les colonnes du JDD : «J'aime bien le regarder jouer parce qu'il pense. On ne parle jamais du cerveau d'un joueur, ça m'énerve. Quand je le regarde dribbler, il pense.»
Buts célébrés bras croisés
Chaque fois qu’il s’est exprimé, Wilfried Mbappé, le père, ancien joueur amateur et cadre technique de l’AS Bondy, n’a pas caché sa certitude : si Monaco tergiverse, le monde sera toujours vaste pour un ovni. Cet été, il était un temps question du Real Madrid (Zinedine Zidane le suit depuis gamin) et de Manchester City, acheteur compulsif sur le marché.
Le papa a l’expérience du talent. Il fut le tuteur légal de Jirès Kembo-Ekoko (29 ans), ex-gâchette du Stade rennais qui suscitait l’admiration d’Eden Hazard - un jour, le prodige belge passé par Lille dégaina son nom parmi les footeux qui l’avaient le plus impressionné en L1. «Razmoket» l’appelle «grand frère». Fratrie encore : le néo-parisien célèbre ses buts les bras croisés sur le torse, clin d’œil à Ethan, son petit frangin de 11 ans.
Début 2016, les négociations pour le premier contrat pro de Kylian Mbappé avaient traîné. L’AS Monaco avait joué la carte de l’utimatum : une signature à ses conditions ou un retour en division inférieure, avec les gens de son âge. Les Mbappé, qui tiennent les agents à distance, n’ont pas paniqué, exigeant, entre autres, des garanties sportives : comment le staff compte-t-il utiliser le petit génie ? La vérité est qu’à 16 ans, Kylian Mbappé était déjà en position de force.
Un an et des poussières plus tard, Vadim Vasilyev, président délégué du club, était en vadrouille à Bondy avec son attaquant, lequel avait embarqué avec lui le trophée de champion de France pour l'exhiber aux gosses du coin. Il était encore impensable de voir bouger la mégastar Neymar. Ce qui faisait donc de Mbappé le footballeur accessible le plus bankable de l'été. Début 2016, Leonardo Jardim, l'entraîneur monégasque, avait demandé deux ans à «Razmoket» : «Tu verras le joueur que tu vas devenir.» Jardim n'a été qu'à moitié exaucé. Mbappé est parti au bout d'un an.