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Libération
Ovalie

Laporte ou le rugby version conflits de Nanard

Le ministère des Sports a décidé d’ouvrir une enquête sur le président de la Fédération française, soupçonné de conflit d’intérêts. Lui crie au complot.
Bernard Laporte avant France-Ecosse au Stade de France, le 12 février.  (Photo C. Saidi. Sipa)
publié le 31 août 2017 à 20h26

Depuis mercredi, Bernard Laporte, le président de la Fédération française de Rugby (FFR), est sous le coup d'une enquête administrative. A la demande de Laura Flessel, ministre des Sports, l'Inspection générale de la jeunesse et des sports (IGJS) est chargée de mettre le nez dans un bourbier. «Bernie le dingue» (son petit surnom) est soupçonné d'avoir fait pression, en juin, sur la commission d'appel de la FFR pour réduire des sanctions prononcées à l'endroit du club de Montpellier - consécutives à des banderoles hostiles à la Ligue nationale de Rugby (LNR, qui gère le championnat de France et les intérêts des clubs) et à deux suspensions de joueurs. Or, un contrat d'image lie Mohed Altrad (président de Montpellier et chef d'entreprise) et Laporte, comme l'a révélé le Journal du dimanche mi-août. Moyennant 150 000 euros par an, ce dernier devait assurer quatre conférences sur le thème du management. Laporte balaye l'accusation de pression et renvoie à son statut de bénévole à la FFR - il faut bien qu'il gagne sa vie. Il assure avoir rompu le contrat pour éviter l'enlisement de la polémique. Et sous-entend un complot des membres de la Ligue pour le faire tomber.

Doléances

En décembre, Bernard Laporte avait été élu à la tête de la fédération, plébiscité par les petits clubs, à qui il avait juré de rendre l'ovalie, quitte à fâcher les grands de l'élite. Des mois durant, il avait arpenté la France pour écouter les doléances de structures fauchées, en quête de révolution (les huiles de la fédé exilées à Paris seraient déconnectées) et de pureté (les fameuses valeurs). A Marcoussis, lieu de l'élection, on avait entendu un champ lexical proche des printemps arabes quelques minutes après les résultats : «Fin d'un système féodal», «victoire de la démocratie», «c'était presque une mafia». Dans le rôle du libérateur : «Bernie». Businessman (dans la restauration), ex-employé d'EDF, ex-secrétaire d'Etat chargé des Sports sous Nicolas Sarkozy, ex-sélectionneur du XV de France, ex-entraîneur et manager du Stade français puis du Rugby club toulonnais, Bernard Laporte a l'intelligence de sentir les bons coups au bon moment - la dernière trace du «French flair» ? - et mettre de l'émotion et de la chaleur où tout a l'air gelé.

Son talent : le langage. Un accent, une empathie, une façon de dire, comme un pote. En 2006, après un match France-Irlande, il balance un «bourgeois de merde» à l'intention du public du Stade de France. Comme si lui touchait le smic… Dans un portrait que Libération lui avait consacré (en 2000), il déroulait : «Je suis capable de jouer aux cartes avec un joueur en sachant que deux heures après je lui dirai qu'il ne joue pas. C'est dur, c'est la vie.» Un dirigeant amateur, croisé à Marcoussis au moment du scrutin : «J'ai demandé à Bernard que chaque semaine, un cadre de la fédération aille passer le week-end dans un petit club voir comment les bénévoles travaillent. Il m'a écouté, m'a dit que ça l'intéressait. J'ai compris qu'il était sincère.»

Pour l’emporter, l’ancien secrétaire d’Etat aux sports (2007-2009) avait transposé avec brio les codes de la politique traditionnelle : le vieux monde (eux) vs le nouveau (lui). Ou sa variante : dire qu’on emmerde le système au plus profond, justement parce qu’on en croque et qu’on est bien placé pour en comprendre les déviances et le mépris de classes.

Laporte ? Une histoire d'ascension. Né à Rodez en 1964, sa carrière de demi de mêlée raconte un rugbyman pile poil dans la moyenne, jamais international, discret sur le terrain mais remarquable dans le vestiaire et champion de France avec Bègles-Bordeaux en 1991. Celle d'entraîneur est plus dorée. Pêle-mêle, deux titres de champion de France (avec le Stade français et Toulon), trois Coupes d'Europe (avec Toulon) et quatre victoires au tournoi des Six Nations avec l'équipe de France. Au Stade français (petit qu'il transforme en gros en quatre saisons), il se lie d'amitié avec son président bling-bling, Max Guazzini, lequel l'introduit dans la haute, là où se trouvent les bons réseaux. L'ancien sélectionneur du XV de France, dans l'Equipe : «Max, c'est mon frère. Il m'a ouvert des portes insoupçonnées alors que j'arrivais de province. Je m'en rappellerai toujours.»

Dans son bouquin, «Bernie» explique avoir compris les petits le jour d'une convocation à la fédération en 2014, alors qu'il est manager de Toulon : «J'ai été reçu comme un moins-que-rien. Personne ne m'a raccompagné. Blessé par un tel manque d'élégance, je me suis alors promis de me présenter à la présidence de la fédération en 2016. Non par vengeance personnelle, mais parce que je venais de toucher du doigt ce qui est le lot quotidien des présidents de club : l'autisme et le mépris d'une Fédé qui s'est totalement coupée du monde du rugby.»

Pluie

Dans le portrait de Libération, en 2000, Philippe Rochette, l'auteur, prévenait : «Dans le monde épais du sport, traditionaliste comme le rugby, beaucoup ont fermé les yeux, ils les rouvriront au premier accroc.» L'heure semble venue. Depuis les révélations sur les relations entre Altrad et Laporte, Philippe Peyramaure, représentant de la Ligue à la commission d'appel de la FFR, a démissionné, avec six de ses confrères. Il n'en démord pas : l'ancien secrétaire d'Etat est coupable. Laporte, dans les colonnes du Parisien : «Je ne suis pas né de la dernière pluie, j'ai compris, je sais d'où tout cela vient. Des gens qui ne supportent pas de me voir à ce poste. J'ambitionne de réformer le rugby français au profit du rugby amateur et de l'équipe de France, ce qui dérange.» Parmi les éléments qui compliquent ses affaires, un contrat signé en début d'année, cette fois entre la FFR et Altrad, pour que le nom de ce dernier s'affiche sur le maillot du XV de France. Un gros bourbier.