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Andrey Rublev, décharné et déchaîné

Le Russe affrontera Nadal ce mercredi en quart de finale de l'US Open. A 19 ans, ce jeune homme au caractère bien trempé mais au physique peu imposant incarne l'avenir du tennis.
Andrey Rublev lors de son huitième de finale contre David Goffin. (Photo Matthew Stockman. AFP)
publié le 5 septembre 2017 à 11h57

Au premier coup d’œil, on se dit que «Rublo», comme le surnomment ses copains d’entraînement à Barcelone, aurait surtout besoin de reprendre du rab de patatas bravas. Car s’il a la tête d’un joueur de hockey (ou du méchant dans James Bond, on n’a pas tranché), Andrey Rublev n’en a pas franchement le corps. Le Russe est, à 19 ans, encore du genre ado décharné : 1,88 mètre pour 68 kilos, et les pectoraux qui flottent dans son tee-shirt Nike. C’est d’ailleurs entre autres pour cela qu’en mars, il a pris la direction de l’Espagne pour y installer sa base d’entraînement, comme avant lui Marat Safin, son premier amour tennistique, et d’autres illustres compatriotes comme Igor Andreev ou Svetlana Kuznetsova.

Là, Galo Blanco et Fernando Vicente, deux anciens pros devenus directeurs d'une académie, l'ont pris en main. Pourquoi là-bas, pourquoi eux ? Le fait que la terre battue tienne une place à part dans le cœur du champion junior 2014 de Roland-Garros a bien sûr pesé dans la balance. Le fait que son ami Karen Khachanov, lui aussi membre de cette fameuse «NextGen» (la «nouvelle génération» marketée par l'ATP) qui est en train d'éclore aux yeux du monde, ait déjà fait le choix du duo Blanco-Vicente, également. Mais plus que tout, c'est leur vision qui a plu à celui qui, un peu plus de cinq mois plus tard, atteint le 53e rang mondial et devient le plus jeune quart de finaliste à l'US Open depuis Andy Roddick en 2001 – alors qu'il n'avait jamais dépassé le deuxième tour en quatre tournois du Grand Chelem. Il a au passage remporté un premier titre ATP, à Umag (terre battue), en Croatie.

Façon Hulk

«C'est un joueur avec un énorme potentiel, avait prévenu Galo Blanco. Et moi je pense que nous pouvons l'aider à devenir encore meilleur.» Le point qui a fait particulièrement tilt chez le jeune Rublev ? La volonté de lui construire une «caisse». «Pour le moment, avait poursuivi le coach, Andrey n'est pas au top pour ce qui est de la préparation physique et nous, nous veillerons à améliorer ça.» Depuis, ils ont très visiblement joint les actes à la parole. Certes, Andrey Rublev n'a pas encore les dorsaux ou les jambes de Rafael Nadal, qu'il va affronter ce mercredi afin de tenter de décrocher une place dans le dernier carré. Mais il a pris la bonne direction.

De source sûre, à commencer par Julien Benneteau qui s'est entraîné avec lui à Cincinnati juste avant l'US Open, «c'est un gros bosseur». Ainsi qu'un garçon doté d'un sacré caractère sur le court. Voire sévèrement meloné pour certains. Tellement doué que lorsqu'il ne joue pas assez bien à son goût. C'est-à-dire que lorsque son coup droit massif ne part pas assez vite et fort le long de la ligne, le garçon s'invective sur le court. Et quand il part à la faute, là, ça peut carrément être déchirage de polo façon Hulk. Voire intimidation de l'adversaire, comme s'en était plaint l'Argentin Olivo Renzo, battu par le prodige russe à Moscou en 2015. Quant à l'Espagnol Fernando Verdasco, également victime du gamin de 17 ans cette année-là à Barcelone, il avait tranché : «C'est un gosse mal élevé.»

«Je ne peux pas envisager ma vie sans le tennis»

C'est que chez Rublev, «le tennis est quelque chose qui se ressent». Plus fort que tout. Petit, il a bien essayé la boxe (comme papa) mais, explique-t-il, quand il était dans la salle «je n'aimais pas ça, je voulais partir, alors qu'au tennis j'étais tellement heureux». Puis le foot. «J'aime bien le foot, poursuit-il, mais j'ai commencé à réfléchir et je me suis dit que si je me mettais à y jouer, alors cela voudrait dire que j'aurais moins de tennis dans ma vie. Et je n'étais pas prêt à ça. Je voulais jouer au tennis toute la journée. Je ne peux pas envisager ma vie sans le tennis.»

A voir ce qu'il a produit sur les courts de Flushing Meadows depuis le début de la quinzaine, l'évidence saute aux yeux. Fluide et explosif à la fois, il en impose. David Goffin, la deuxième tête de série principale (n°9) sorti du tableau par ses soins, après Grigor Dimitrov (n°7), peut en témoigner. Rublev, c'est du lourd, raquette en main. «Il est très tonique, très vif et prend la balle tôt, énumère le Belge. Et puis il frappe très, très fort avec son coup droit. Il est très agressif et il n'hésite pas à aller très souvent chercher le coup gagnant. C'est un joueur qui n'a peur de personne, il y va, il joue son jeu et il agresse son adversaire quoi qu'il arrive.»

Même «Rafa», son idole, qui lui avait fait l'honneur de le convier à partager une semaine d'entraînement avec lui à Majorque il y a exactement trois ans ? «On verra bien, s'est risqué Andrey Rublev. Je pense que je réagirai normalement face à lui. Bon, bien sûr, ce sera un quart de finale… Mais j'espère bien que ce ne sera pas mon dernier sur le circuit. Il faudra que j'essaie de ne pas montrer mes émotions, de rester concentré, et que je me batte. C'est tout.» Et si Rublev avait raison ? Rien à perdre, tout à gagner. C'est simple finalement.