Menu
Libération
Histoire du jour

Du cyclisme façon «Mario Kart»

Samedi a eu lieu, au Vélodrome national, la finale élite de la CVR World Cup, du cyclisme semi-virtuel qui mêle effort physique et parcours fictifs sur écran. Avec des bonus.
L’Américaine Irena Ossola, troisième en catégorie élite femmes, au Vélodrome national de Saint-Quentin-en-Yvelines, samedi. (Photo Camille MCouat)
publié le 18 septembre 2017 à 20h06

Les 4 800 sièges du Vélodrome national de Saint-Quentin-en-Yvelines sont vides en ce début d'après-midi. Ils le resteront toute la journée. Au centre, devant d'autres sièges dégarnis, dix vélos, roue arrière manquante, sont alignés, chacun devant un écran. Nous sommes à la finale élite de l'étape française de la CVR World Cup, une compétition qui mêle cyclisme et réalité virtuelle. Les efforts sont bien réels mais le parcours est fictif. Le procédé : un home trainer, matériel d'entraînement des pros, est relié à un ordinateur et à un logiciel de modélisation, Zwift. La technologie matérialise un parcours fictif et permet d'augmenter la difficulté de pédalage lorsque ça monte ou de soulager le coureur lorsqu'il est dans la roue d'un autre. Bref, de souffrir comme sur une vraie route. Le risque de chute et l'appréhension des virages en moins. Les tunnels sous la mer, les routes des volcans et les bonus version Mario Kart en plus. «Les sensations sont très proches de celle que l'on a sur la route, raconte le coureur Scottie Weiss. La compétition permet de rencontrer ceux que l'on affronte chez soi le reste de l'année. Et de jeter un coup d'œil au-dessus de l'écran pour voir leur état physique.»

Le potentiel de cette compétition, les Américains y croient. Cycligent, boîte d’informatique, a décidé de se lier au projet : son patron, Frank Garcia, a débauché quatre personnes à la réalisation et trois journalistes : deux au poste de commentateurs et un autre en mode «bord de terrain».

«Ordispectateur»

A coup de «my goodness», «amazing» et d'interviews en pleine course, ils animent les débats pour des milliers de personnes, connectées pour la plupart depuis les Etats-Unis et le Royaume-Uni. «On se situe entre le e-sport et le sport, explique Frank Garcia. On est encore loin des grandes compétitions e-sport mais on croit réellement à ce projet. Parce que tout le monde peut s'identifier au vélo.»

A l'origine du logiciel Zwift, Eric Min, solide coureur coréen amateur qui cherchait à réinventer le cyclisme d'intérieur pour son plaisir personnel avant de mettre le jeu en ligne avec succès. A l'heure où les étapes de 200 km sur le Tour sont jugées barbantes et où la finale mondiale de  League of Legends , jeu vidéo de bataille en arène, réunit plus de 40 millions de téléspectateurs, l'idée d'un cyclisme semi-virtuel, rassemblant amoureux du numérique et de la pédale, séduit.

Sur son écran, l’«ordispectateur» peut voir les 10 finalistes jouer des coudes sur trois étapes d’une vingtaine de minutes, avec cinq minutes de coupure entre chacune. La première est une ascension de 4 km, la deuxième enchaîne montées et descentes et la troisième est un mini-critérium qui s’achève au sprint.

Les participants, qui ont entre 20 et 50 ans, sont venus de partout dans le monde, cyclistes pros pour certains et majoritairement anglophones. Chez les hommes, peu de suspense. Le Britannique Ian Bibby (ex-champion de Grande-Bretagne de cyclo-cross, passé à la route) remporte les deux premières manches, le classement général et un peu plus de 3 000 dollars (2 510 euros) au passage.

Côté féminin, il n’y a qu’une favorite : la Britannique Rachael Elliott, invaincue jusqu’à présent, même lorsqu’elle s’est alignée à côté des hommes. Mais en face, il y a Marion Sicot, troisième de la Coupe de France sur route cette année. Lors de la première course, avec son entraîneur pour seul supporteur ou presque, Sicot accroche Elliott et termine deuxième. Dans la suivante, la Française inverse les rôles. Des spectateurs arrivent autour de son vélo et l’encouragent. Une première défaite pour Elliott dans l’histoire de Zwift.

Lave

La dernière manche sera décisive. Quelques visiteurs du Vélodrome sont venus se greffer à la dizaine de personnes qui entourent la Française d'un côté et la Britannique de l'autre. La fin est écrite : celle qui aura le plus de jambes dans le dernier kilomètre de ce circuit ultra-plat l'emportera. 900 mètres, aucune des deux n'ose lancer le sprint. Au milieu des coulées de lave, deux candidates en profitent pour se faire la malle. Mathieu Drujon, qui a participé à la course chez les hommes, lance pour Sicot, à l'aide du clavier fixé sur le guidon, le bonus «aérobie», inspiré des jeux vidéo. Comme si, sur la route, un coureur avait le droit d'enclencher un moteur pendant quelques secondes. 700 mètres, Elliott attaque, Sicot réagit, mais ça ne passe pas. L'Anglaise termine troisième de l'étape et remporte cette manche du CVR World Cup. Deux jours plus tôt, la Française n'avait encore jamais donné un coup de pédale sur Zwift. Elle s'est alignée avec une version d'essai de sept jours ou 50 km, qu'elle a largement parcourus ce week-end. « T'imagines, ils m'auraient coupé la connexion à 2 mètres de la ligne d'arrivée.»