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Le laboratoire antidopage français suspendu, et il n'en avait vraiment pas besoin

Des appareils ont été contaminés par des échantillons de bodybuilders gavés de stéroïdes. Un épisode qui va relancer le débat sur la vétusté et le manque de moyens de l'établissement.
Des échantillons d'urine collectés pour analyse au laboratoire antidopage de Chatenay-Malabry, le 15 décembre 2015 (Photo FRANCK FIFE. AFP)
publié le 26 septembre 2017 à 19h32

Imaginez un type tellement bourré, que l'appareil qui a servi à mesurer son taux d'alcoolémie a gardé des traces d'alcool au point de rendre positif des échantillons de personnes n'ayant jamais carburé qu'à l'eau gazeuse. C'est un peu ce qui est arrivé au laboratoire national de Châtenay-Malabry et c'est un coup dur pour l’antidopage français: à cause d’une contamination d’échantillons par des prélèvements sur des bodybuilders chargés en stéroïdes, l'établissement a été suspendu par l’Agence mondiale antidopage (AMA), un incident qui va reposer la question de ses moyens et de son niveau.

Conséquence de cette suspension, entrée en vigueur dimanche et annoncée mardi par l’AMA, le seul laboratoire antidopage français, qui a traité environ 13 500 échantillons en 2016, ne pourra plus mener d’analyses tant que l’agence mondiale ne l’autorisera pas à nouveau. Les activités de contrôle et de prélèvement de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) peuvent donc se poursuivre mais les échantillons seront analysés à l’étranger, dans l’un des autres labos accrédités par l’AMA.

«Des concentrations de stéroïdes jamais vues»

Cette suspension est la conséquence d'un incident qualifié d'«exceptionnel» par le secrétaire général de l'AFLD, Mathieu Teoran, survenu lors d'analyses effectuées à la suite d'une opération de contrôles d'envergure menée au printemps dans l'univers du culturisme. A l'époque, 84 bodybuilders sont contrôlés et la quasi totalité des prélèvements a révélé la présence de substances dopantes, principalement des stéroïdes, «à des concentrations jamais vues auparavant, jusqu'à 200 fois supérieures à un contrôle positif classique».

De quoi faire «une photographie préoccupante» du milieu, mais aussi et surtout, de quoi mettre à l'épreuve le matériel du labo. Car malgré les procédures de nettoyage habituelles, «un robot d'analyses a été contaminé» par des substances dopantes et a contaminé à son tour deux échantillons provenant d'autres contrôles, a expliqué le secrétaire général de l'AFLD.

Selon l'AFLD, «les actions correctives appropriées ont été immédiatement prises et l'ensemble des échantillons potentiellement concernés ont fait l'objet de nouvelles analyses, qui n'ont révélé aucune autre anomalie». «Aucun sportif n'a été sanctionné à tort» du fait de l'incident, insiste l'agence française, qui se veut rassurante: «Dès que l'AMA aura vérifié que tout risque a bien été éliminé, la suspension sera levée.»

Une telle suspension prononcée par l’AMA n’est pas rare, mais il s’agit d’un coup dur pour l’antidopage français et d’un incident fâcheux, deux semaines seulement après la désignation de Paris comme ville hôte des JO-2024.

Surtout, cet épisode remet en lumière les difficultés du laboratoire de Châtenay-Malabry, dans la banlieue sud de Paris, en pointe dans les années 1990 et 2000, avec notamment la mise au point du premier test contre l’EPO, en 2000. Ses lettres de noblesse, le labo de Châtenay les avait également acquises en participant aux grandes batailles de l’antidopage contre les cyclistes Lance Armstrong ou Floyd Landis, qui ont fini par tomber de leur piédestal.

«Nécessaire modernisation»

Mais la mort du directeur emblématique du labo, Jacques de Ceaurriz, en 2010, a amorcé une période plus compliquée. Après le départ de sa successeure, Françoise Lasne, fin 2014, trois autres scientifiques se sont succédés à la tête du labo, dirigé depuis fin 2016 par le professeur Michel Audran, un spécialiste du dopage sanguin.

Ces turbulences n’ont pas empêché Châtenay d’être à l’origine de la première détection mondiale d’un stimulant de l’EPO en 2015, le FG-4592, puis d’un cas d’hormone de croissance sur une course cycliste en Guadeloupe en 2016.

«Vétusté et ambiance délétère»

Mais l'incident va reposer la question des moyens de l'AFLD et de son laboratoire, qui emploie une quarantaine de personnes. En juin, Libération révélait les conclusions sans appel d'un rapport commandé par le comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail de l'AFLD, pointant les lacunes du labo.  Y était décrit un management défaillant ainsi qu'un manque de moyens, se traduisant notamment par la «vétusté» du laboratoire: «Les locaux sont anciens et connaissent quelques faiblesses structurelles (fuites d'eau, etc.), les bureaux sont exigus et leur respect des normes de sécurité serait à vérifier.» Autre difficulté de l'antidopage français, qui pourrait menacer son efficacité, le malaise social qui sévissait en 2015 et 2016. Le rapport d'audit relève «la perte de repères» des salariés, «l'inégalité de traitement qui favorise les ambiances de travail délétères, voire conflictuelles» 

Dans son rapport d'activités 2016, rendu public en juin, l'agence soulignait qu'«elle a dû faire face à une forte tâche dans un contexte budgétaire très contraint», avec une hausse de ses activités d'analyse provoquée notamment par l'arrivée d'échantillons de laboratoires eux-mêmes suspendus par l'AMA.  Cette hausse, «source de recettes», a «également mis en évidence des insuffisances en personnel, palliées par des recrutements temporaires, et la nécessité de poursuivre la modernisation et la rationalisation des matériels, des techniques et de l'organisation du laboratoire», poursuit l'AFLD.

Mathieu Teoran réfute l'idée que l'incident soit dû à un problème de moyens: «Ce n'est pas parce qu'on manquerait de moyens, de personnel, ou que les locaux seraient vétustes que c'est arrivé.» Au-delà des moyens, des rapports du Sénat ou de la Cour des comptes avaient déjà souligné ces dernières années un investissement insuffisant du labo dans la recherche, contrairement à ses homologues de Cologne ou de Lausanne, et un manque de synergies avec le milieu universitaire.