Y aura-t-il de la neige à Noël et un coureur français vainqueur du Tour de France ? Pour le savoir, jeter un œil sur le tracé 2018 révélé ce mardi au Palais des congrès à Paris. Un joli parcours «made in France», tricoté avec de la laine de brebis de nos montagnes, qui débutera de l’île de Noirmoutier, en Vendée, pour s’achever comme d’hab sur les Champs-Elysées. Aucun pays étranger visité au long des 3229 km quand le Tour d’Italie, lui, s’élancera d’Israël. Après ses incursions aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg, en Allemagne ou en Suisse depuis 2015, le Tour revient donc en France totalement. Mais cela suffira-t-il à flatter le public cocardier qui n’en peut plus d’attendre un gagnant français depuis Bernard Hinault en 1985 ?
Etonnemment, le parcours ne semble pas avantager les Français. Tels Romain Bardet (AG2R la Mondiale), l’Auvergnat qui s’est hissé deux fois sur le podium depuis deux ans, le tricolore qui semble le plus à même de l’emporter un jour. Non pas que les organisateurs ne versent jamais dans le favoritisme. En 1996, pour tenter de mettre fin à la série de l’Espagnol Miguel Indurain, imprenable sur les contre-la-montres tout plats et les grands cols, ils avaient instauré un «chrono» en côte et préféré la moyenne montagne. Une opération censée faire gagner Laurent Jalabert, alors le Français le plus en vue. Résultat : celui-ci, jamais dans le coup, a abandonné dans les Alpes et le maillot jaune est revenu à l’inattendu Danois Bjarne Riis, 36 ans… Mêmes plantages en 1971 et 72 quand les organisateurs avaient mitonné un tracé câpres et échalotes pour le grimpeur Luis Ocana mais qu’Eddy Merckx, trop fort, avait tenu bon dans la montagne. Ou quand le Tour 1963 s’était hérissé de cols, afin de déstabiliser (en vain) Jacques Anquetil, un champion certes français mais synonyme d’ennui.
Tout le monde craint les pavés
«Le parcours du Tour de France n'est pas conçu pour faire gagner ou perdre tel ou tel coureur», répètent les organisateurs. Qui prennent leurs airs outragés dès qu'on les soupçonne d'être partisans. «De toute façon, ce sont les coureurs qui font la course», ajoutent-ils, ce qui, merci bien, est une loi de la nature digne de la pomme de Newton. D'ailleurs, au moment où le Tour 2017 se terminait cet été, avec la quatrième victoire du Britannique Chris Froome (Team Sky), l'itinéraire 2018 était déjà décidé à 90 %. Il était par exemple trop tard pour gommer le contre-la-montre individuel placé à la veille des Champs-Elysées, un exercice qui a failli éjecter Bardet du podium cette année et qui sera répété l'an prochain, du côté du Pays basque, entre Saint-Pée-sur-Nivelle et Espelette (Pyrénées-Atlantiques).
Pour donner toutes ses chances à Bardet, il faudrait tartiner la Grande Boucle de descentes vicieuses, sa spécialité, et pourtant, l’édition 2018 n’en sera pas exagérément pourvue. Il aurait aussi fallu s’abstenir d’inscrire 21 km de pavés sur l’étape Arras-Roubaix qui achèvera la première semaine de course. Un laminoir qui ne convient pas du tout à Bardet mais qui, c’est vrai, ne sied pas aux autres favoris non plus, mis à part peut-être le rouleur néerlandais Tom Dumoulin (Sunweb), annoncé déjà comme le principal adversaire de Froome. Et si les organisateurs n’ont pas vraiment donné un coup de pouce à Romain Bardet, ils n’ont pas davantage gâté Thibaut Pinot (FDJ), le Franc-Comtois lui aussi capable d’un excellent classement et qui déteste les chausse-trapes sur les étapes plates.
Le spectacle à tout prix
Evénement désormais mondial, retransmis à la télé dans 190 pays, décortiqué par les réseaux sociaux et gagné par la folie des statistiques à l'image des analyses football, le Tour de France doit proposer un spectacle son et lumière perpétuel. Et qu'importe la nationalité de son lauréat. Menacé par le Tour d'Italie qui régale le public avec des bouts d'étapes sur des chemins de terre pour «faire revivre le vélo d'antan», le Tour de France a fini par copier. Il y aura donc les célèbres pavés de Roubaix plus un inédit sentier sans bitume dans la traversée du plateau des Glières, en Savoie. Ainsi que des étapes de plaine vantées (et ventées) à grand suspense pour déjouer les sprints inéluctables. Bardet admet : «Il sera difficile de savoir où la course va se jouer».
Le natif de Brioude (Haute-Loire) va se préparer pour lever les obstacles annoncés, les pavés notamment. Tout comme le très professionnel Froome, qui a dompté cette année un parcours pas vraiment à ses cotes, qui descend quand il faut descendre, qui s'accroche dans les petites côtes quand on lui en glisse sur la roue, bref qui ne flanche jamais. «Le parcours change chaque année, à nous de changer notre préparation et les tactiques !», explique Froome.
Le Tour de France aujourd'hui ne se dessine plus vraiment «pour» quelqu'un. Tout juste «contre» Bradley Wiggins. Le Britannique avait empoché une édition 2012 sans éclat, grâce à sa domination contre-la-montre et sa régularité dans les cols où il était cependant distancé. Christian Prudhomme, directeur de l'épreuve, ne s'en cache pas en privé : «Plus jamais un Tour comme ça !». Anémié en show, le Tour de France s'est depuis très largement rattrapé et a conçu pour 2018 le plus sérieux parcours du combattant de ces dix dernières années.