Selon toute vraisemblance, Jacques Brunel, 63 ans, va arriver à la tête du XV de France pour remplacer Guy Novès, qui sera démis de ses fonctions. Avec qui pour l'accompagner ? Quand ? Et surtout, pourquoi lui ? L'homme semblait paisible, dans son coin, à la tête de l'Union Bègles-Bordeaux (UBB), en retrait des grandes affaires depuis son passage sur le banc de l'Italie. En 2011, dès l'officialisation de son arrivée de l'autre côté des Alpes, il se projetait sur sa fin : «Diriger une équipe nationale, préparer un Tournoi des six nations ou une Coupe du monde, pour moi c'est une chance qui ne se représentera pas.» L'aventure s'est terminée en 2016 comme elle a débuté : les Transalpins sont restés les tout petits du grand tournoi des Six Nations, en dépit de quelques éclairs (rarissimes) ici et là. Et Brunel, numéro 1, a accepté sans trop de mal un poste d'adjoint (entraîneur des avants) à Bègles, qui affine les traits principaux du portrait-robot : le Gersois, né à Courrensan, est un humble serviteur de l'ovalie, qui fait aller en évitant toute forme de boucan.
En famille
Bernard Laporte, le patron omniprésent du rugby tricolore, entrera dans le détail de la réorganisation mercredi, entre deux réveillons. Novès affiche 14 défaites en 22 matchs depuis son arrivée en 2015, soit le pire bilan pour un sélectionneur. Le meilleur entraîneur français en échec (un symbole), des bruits évoquaient l'éventualité d'un étranger (une révolution) dans le staff technique pour repenser le jeu et préparer la Coupe du monde 2019 sur des bases plus pragmatiques que «la France, même malade, peut se transcender dans les grands rendez-vous». «Bernie» a finalement choisi un proche, jusque-là en charge de l'UBB, calée à la 8e place du Top 14. Brunel, l'homme à la moustache, fut son adjoint (2001-2007), à l'époque où Laporte dirigeait la sélection. Celui-ci avait fermement démenti sa promotion il y a quelques jours, taquin : «Ça fait des années que [Laporte] ne me dit plus rien, depuis qu'on s'est quittés. Avant, quand il n'avait pas d'occupations, il m'appelait. Maintenant qu'il est président de la fédé, c'est fini, il ne m'appelle plus. Trop occupé le garçon.» Vendredi, il s'est montré moins politique devant ses joueurs (et muet avec les médias) comme le rapporte l'Equipe : «Rien n'est fait, mais si on me sollicite pour diriger l'équipe nationale, j'ai pris la décision d'accepter.» La rumeur l'a annoncé flanqué de Fabien Galthié, actuel manager de Toulon, dans le cadre d'une espèce de reconstitution de ligue dissoute, Galthié était le capitaine du XV de France entraîné par Laporte…
On en revient aux rudiments du management : un grand chef hyperactif se sent toujours plus à l’aise en déléguant une partie de pouvoir à la famille. D’autant plus quand ce patron reste proche d’un terrain sur lequel il se sent encore légitime d’intervenir. Laporte, élu président en décembre 2016, n’avait pas choisi Guy Novès (nommé par son prédécesseur) avec qui il entretient des relations complexes. La cohabitation a finalement duré un an.
Le dernier gros coup de Jacques Brunel date de 2009, quand il a conduit Perpignan tout en haut du rugby français. A Libération, quelques mois après le titre : «Dans le rugby, le plus important reste l'histoire des hommes. Pourquoi des individus si différents d'éducation, de couleur, de mentalité, parviennent-ils à se mobiliser autour d'un objectif commun ? Où vont-ils chercher à la fois la détermination et l'humilité pour continuer à avancer dans la victoire ? De quelle manière le groupe va-t-il réagir dans les moments compliqués ? Va-t-il se détruire ? Se ressourcer ? Il y a tous ces aléas que les résultats engendrent, et qu'il faut maîtriser.» Dans la foulée de la victoire, il fut victime d'un malaise cardiaque, qui lui fit arrêter la cigarette.
La fin des fessés
Brunel a commencé le rugby à Auch, où il a passé vingt-quatre ans au total (dix-sept en tant que joueur, sept comme entraîneur). Les archives racontent un coach tellement passionné de technique qu’il simulait des mêlées avec une poignée de copains dans un café gersois. Et qui a laissé partout où il est passé (à Colomiers notamment) le même souvenir qu’un instit qui donne envie aux gamins d’aller à l’école. Laporte l’aurait choisi à l’issue d’une concertation (téléphonique) avec les cadres du rugby français. Cela participe presque au mythe : Brunel colle à l’image - et à la nostalgie d’un rugby «bio» (simple, sans bling-bling et sans triche) qui se serait paumé quelque part avec le «french flair». Le salut (la fin des fessées) passerait par le retour aux origines ?
On peut aussi le raconter autrement : Laporte compte faire du neuf avec un sage qui lui laissera toute la place. Concernant les résultats, l'homme à la moustache avait prévenu avant son premier match avec l'Italie : «Je ne suis pas sorcier.»