Quand Johnny Hallyday est mort, les Japonais étaient incrédules : mais de qui parlez-vous ? Quand on évoque Christophe Lemaire, en revanche, leurs visages s’éclairent. Aujourd’hui, le jockey est sans doute le Français le plus célèbre dans l’archipel. Et son sacre ce jeudi, où la fameuse Cravache d’or va lui être décernée, augmentera encore sa notoriété.
Modeste. Du haut de son petit mètre soixante-trois, l'homme de 38 ans caracole en effet en tête du classement national nippon avec 199 victoires : il devance de 28 victoires (un gouffre) le tenant du titre, le Japonais Keita Tosaki. Autant dire que les jeux sont faits : à l'issue de cet ultime jour de course, Lemaire sera le premier étranger à décrocher la Cravache d'or. Un autre étranger, l'Italien Mirco Demuro, pointait à la troisième place avec 170 victoires avant l'ultime course.
Lemaire et Demuro sont, depuis l'hiver 2014, les deux seuls étrangers à avoir été acceptés au pays du Soleil-Levant : le natif de Gouvieux (Oise) décroche donc la plus haute distinction, deux ans après avoir obtenu sa licence au Japon. «Une performance exceptionnelle, souligne Thibault Marlin, chef d'édition pour la chaîne de télé Equidia et ami de longue date. Il a débuté la saison 2015 en avril et terminé quand même quatrième, puis il fut second dès l'année suivante.»
L'intéressé se montre modeste et serein : «Je prends les semaines de courses comme elles viennent, je me suis même accordé un week-end de vacances durant la saison. Les Japonais évoluent dans un circuit fermé, avec des hippodromes assez faciles à domestiquer. C'est clair que les jockeys européens, qui ont une plus grande faculté d'adaptation, ont un gros avantage.» Avant la course de ce jeudi, il avouait un autre objectif en tête, signe d'ambition : «Un seul Japonais a passé la barre des 200 victoires, je me concentre pour tenter de faire de même.»
Brèche. Fils d'un jockey d'obstacles, Christophe-Patrice Lemaire a toujours su qu'il voulait galoper. A Gouvieux, il passe ses week-ends sur les champs de courses jusqu'à l'âge de 10 ans, suivant son père avec fascination : «Dès son retour à la maison, je prenais selle et casaque dans son sac pour chevaucher sur le canapé du salon.» A 14 ans, il veut intégrer l'Afasec, l'école réputée des apprentis jockeys, et parcours obligé des professionnels. Ses parents l'obligent à finir ses études. Il sera gentleman-rider, jockey exerçant dans les rangs amateurs. Il ronge son frein. S'entraîne tout en poursuivant sa scolarité et en aidant ses parents à la tête d'un bar PMU à Dax (Landes). Le bac en poche, il quitte le foyer familial pour intégrer l'écurie d'André Fabre, un des plus gros entraîneurs de Chantilly : «J'attendais ce jour depuis si longtemps…»
Trois ans plus tard, nouveau rebondissement : Lemaire tourne le dos à la sécurité que lui offre Fabre pour courir en free-lance. Il passe ses hivers au Japon, où le place son agent. Et décroche sa millième victoire en France, au sein de l’écurie Aga Khan. Quand elle met brusquement fin à son contrat, la société des courses japonaise (Japan Racing Association, JRA) lui propose de passer sa licence pour s’installer dans le pays. Le Japon n’a encore jamais accepté d’étranger : Lemaire s’engouffre dans la brèche.
Enthousiasme. Il apprend le japonais, révise l'histoire des courses et décroche l'examen. Son arrivée est désastreuse : chute à Kyoto. «Le cheval a foncé sur une haie, Christophe a sauté comme du pop-corn !» commente sa femme, Barbara, fille de jockey et ancienne photographe hippique. Il est ensuite mis à pied pour un tweet : au Japon, toute communication avec l'extérieur est interdite lors des courses pour éviter les paris illégaux.
Cependant, dans ce pays du bout du monde, Christophe Lemaire respire et change de rythme. Les courses, quotidiennes dans l'Hexagone, sont rassemblées en un week-end au Japon, tout en étant plus rémunératrices. Il passe du temps en semaine avec sa famille installée à Kyoto. Et retrouve l'enthousiasme de sa jeunesse : «Le Japon m'a redonné le goût de la compétition. La performance est très liée à la notion de plaisir.»
Il renoue également avec une certaine noblesse, dans un pays où les hippodromes déplacent les foules. «Il y a rarement moins de 110 000 personnes à l'Arima Kinen [la plus grande course de l'archipel]», souligne Thibault Marlin. Le déroulement des épreuves et la qualité des chevaux sont à mes yeux ce qui se fait de mieux au monde.»
«En France, les courses dépendent du ministère de l'Agriculture, enchaîne Lemaire. Au fond, elles ressemblent à une machine à parier, tels les casinos. Au Japon, c'est au contraire un sport et les jockeys sont considérés comme de vrais athlètes.» Et adulés comme des stars. Dont il fait désormais partie.