Guy Novès, 63 ans, ne dirige plus le XV de France. Bernard Laporte a annoncé mercredi que Jacques Brunel, jusque-là en charge de l'Union Bordeaux-Bègles, reprenait la main. Sans provoquer trop d'auréoles sous les bras : le nouveau patron a son portrait dans tous les canards depuis quelques jours, sans même les conditionnels d'usage, l'info ayant fuité sans jamais être démentie par les décideurs. Spectacle de Noël : Laporte a laissé rouler la tête de Novès entre deux réveillons. Avant de prendre publiquement la parole mercredi : «On sentait qu'on était sur la pente descendante, on veut retrouver l'équipe de France qui gagne.» La cohabitation aura duré un an, le temps pour «Bernie», arrivé en décembre 2016, de faire basculer le rapport de force : il n'avait pas choisi Novès (un coup de son prédécesseur), avec qui le courant ne passait pas, mais celui-ci était considéré à l'époque comme le seul technicien français en possession de la poigne et du mojo, car il fut une machine à titres avec le Stade toulousain. Pragmatisme, donc : on ne lourde pas comme ça un ponte, quand bien même un désir profond et sincère le commande.
Comment Laporte a-t-il justifié sa décision ?
Lui-même ex-sélectionneur (1999-2007), Laporte n'a pas eu besoin de fignoler : «La décision a été prise récemment. Je ne voulais pas la prendre tout seul. On a parlé avec tout le monde. Ce sont des moments douloureux et c'est difficile pour moi aussi. Guy Novès n'était plus l'homme de la situation. Cela ne remet pas en cause son palmarès, que je respecte.» L'obtention par la France de l'organisation de la Coupe du monde 2023 l'a remis au centre du jeu pour de bonnes raisons, alors que son nom était accolé depuis l'été à des soupçons de conflits d'intérêts, du copinage lucratif avec Mohed Altrad, le président de Montpellier. Et Novès, dont le terrain est la seule vitrine, s'est embourbé dans un bilan catastrophique : en 21 matchs, 13 défaites et un nul en novembre face au Japon. De son côté, Brunel, 63 ans, est un proche du grand patron, dont il fut l'adjoint durant six ans sur le banc du XV de France. Si ça foire, ce ne sera pas à cause de frondeurs au sein du pouvoir. Voilà : le pays du rugby français, régime présidentiel, est désormais gouverné par une majorité forte.
Brunel a désormais les clés. L'ex-sélectionneur de l'Italie (2011-2016) ne s'est toujours pas exprimé sur sa nomination, renforçant la semaine passée l'impression de carnage : une caboche par terre, une nouvelle calée sur le tronc et les autres qui regardent et commentent la scène, à deux mois du Tournoi des six nations. A moyen terme, Brunel est chargé de fabriquer une équipe capable de se démerder à la Coupe du monde 2019. Soit : gagner chaque fois qu'elle est favorite, concurrencer les grands comme à la belle époque et, selon Laporte, faire ruisseler les bienfaits de la victoire jusqu'aux petits clubs français sans le sou, petits qui ont porté ce dernier à la tête du rugby hexagonal il y a un an. Et qui parle toujours de lui comme on le ferait d'un politique de proximité. Son postulat : si l'équipe nationale est à l'agonie, le monde amateur s'enlaidit aussi. Dans Rugbyrama : «Durant ma campagne électorale, j'ai en mémoire une réunion à Saint-Jean-de-Luz au cours de laquelle le président du club de Bidart m'avait dit : "J'avais 162 licenciés il y a un an, je n'en ai plus que 67." A côté, il y a des queues de 200 mètres au siège du surf.»
En filigrane de l'anecdote : le rugby perd des licenciés (16 500 entre 2016 et 2017), ce qui inquiète les huiles et renvoie à la tambouille du sport de très haut niveau. Un mélange de performance, de passion, de politique, d'économie et de communication, avec des valeurs variables selon les contextes (victoires ou défaites). A très court terme, Brunel devrait dévoiler les contours de son équipe. Fabien Galthié, manager de Toulon, ancien capitaine de Laporte en équipe de France, en plus d'avoir été l'homme de base de Brunel quand ce dernier dirigeait Colomiers dans les années 90, pourrait devenir premier adjoint. Mélange des genres et bûche de Noël : Galthié a abondamment commenté les insuffisances des Bleus, comme consultant sur le service public et dans les colonnes de l'Equipe. Selon Var-Matin en revanche, Galthié aurait refusé ce poste. Au-delà de cette incertitude, le staff sera ouvert à une demi-douzaine de techniciens du Top 14 dans une logique tournante. L'union sacrée, comme dans un gouvernement d'ouverture.
Y a-t-il une méthode Laporte ?
Laporte, ex-ministre des Sports sous Nicolas Sarkozy, l’a glissé en conférence de presse : Novès a eu les moyens de travailler, plus qu’à son époque, où le XV de France pouvait pourtant se pavaner. Après, c’est du management : est-ce qu’il est possible de débarquer, ambitieux et hyperactif, à la tête d’une fédération sans avoir des hommes de confiance aux postes clés ? Question rhétorique : ça finit dans la majeure partie des cas par un divorce bruyant et douloureux.
La semaine passée, l'Equipe a décortiqué les étapes qui ont conduit au grand chamboulement. Pêle-mêle, il y a les mésaventures de cet été, marqué par les trois gifles d'affilée infligées par une Afrique du Sud moyenne, les coups de pression médiatiques de «Bernie» (confortant le coach en sous-entendant le contraire) et, surtout, un courrier de Serge Simon à Novès. Le numéro 2 de la fédération reprochait à l'entraîneur d'avoir camouflé une grave dispute au sein du staff. L'ex-manager de Toulouse a alors sollicité son avocat pour répondre, craignant un mauvais coup. Magie de Noël : le 12 décembre, Simon reçoit Novès et son staff pour faire un bilan. Ces derniers sortent de la rencontre confiants quant à leur maintien.
Quelle image laissera Novès ?
Une toute dernière victoire, en mars face à Galles (20-18), à Saint-Denis, obtenue après vingt et une minutes d’arrêts de jeu, et une entorse à la déontologie du protocole commotion : sur la mêlée décisive, le pilier droit Uini Atonio, en difficulté, simule un KO pour permettre à un Rabah Slimani plus frais de revenir sur le terrain à sa place, la mise en danger de la santé d’un joueur - et elle seule - pouvant permettre à un élément déjà remplacé de revenir sur la pelouse. Endosser le rôle du tricheur détournant une règle qui protège la santé de joueurs pratiquant un sport violent : un ersatz dévoyé du «french flair».
On se souviendra aussi d'une certaine lassitude lors des points presse de Novès, tournant au fil du temps à l'ironie, ce qui s'explique sans doute par la guerre souterraine que lui a menée Laporte off the record. Novès a déroulé jusqu'au bout des concepts de progression quand sa chefferie lui demandait des victoires. Mais que pouvait-il dire d'autre alors qu'il se noyait ? La rumeur (une de plus) évoquait l'arrivée d'un technicien étranger, le meilleur des autochtones s'étant cassé la mâchoire. Billevesées, nous expliquait un observateur des choses du Top 14 : un gars venu d'ailleurs serait en décalage avec ce que Laporte a donné en gage à ses électeurs. En l'occurrence, un retour à la simplicité à tous les niveaux. Brunel : l'image d'un rugby sans bling-bling, qui a connu l'avant (le terroir plus fort que tout) et survécu à l'après (l'argent d'abord et le reste, dans un ordre à établir). Bref, un demi-mythe.
Et maintenant ?
Fusillade de Noël : Pierre Berbizier, ancien entraîneur du XV de France (1991-1995), se fâche tout rouge en début de semaine. Et vide tout un chargeur devant des confrères : «Avec l'éviction de Guy Novès, c'est tout le statut de l'entraîneur qui en prend vraiment un coup.» Puis : «Est-ce que le manager ne sera pas Bernard Laporte, avec Jacques Brunel ?» Et : «Le politique a pris le pas sur le sportif.»
Querelle de chapelles, en attendant la grand-messe, à savoir l'interview-confession de Guy Novès, qui viendra forcément un jour proche. Et questionnement au-delà de la «politique» : comment, en l'état, Novès pouvait-il rester en poste ? Ses patrons ne pouvaient pas l'encadrer et la victoire le fuyait, du moins jusque-là. Le récit avait consacré Philippe Saint-André, son prédécesseur, comme pire sélectionneur possible du XV de France, avec un tampon destiné à résister à l'usure du temps. Le Toulousain l'a effacé en deux ans. «Bernie» a été clair : le mandat de Brunel court jusqu'à la Coupe du monde 2019. Ce qui ne veut strictement rien dire. On en revient toujours au même point, moins romantique que la prospection : ceux qui durent à l'échelle des grandes responsabilités sont ceux qui gagnent.