A l'échelle – modeste – des entraîneurs français, on mesure quand même une petite secousse : Jocelyn Gourvennec, le coach de Bordeaux qu'il a rejoint en 2016 après six saisons à l'En avant Guingamp, a été démis de ses fonctions ce jeudi, deux jours après une nouvelle défaite (0-2) des Girondins à domicile face à Caen, la douzième en seize matchs, ce qui fait tache pour un club dont le budget devrait lui permettre de patrouiller entre la 5e et la 10e place – Bordeaux est 13e.
Transparence
Pourquoi une secousse ? C'est qu'à son arrivée en Aquitaine, en 2016, Gourvennec (46 ans) était rien moins que l'un des cinq ou six coachs français les plus bankables, son parcours à Guingamp faisant foi : deux divisions avalées en trois saisons pour faire passer le club breton du National (premier échelon amateur, 3e rang national) à la Ligue 1, une Coupe de France gagnée dans la foulée (au détriment du Stade rennais en finale, ce qui est d'autant plus savoureux pour un Guingampais) et un parcours honorable en coupe d'Europe malgré un effectif réduit, le club costarmoricain n'ayant pas la surface financière pour doubler les postes et aborder plusieurs compétitions de front.
Ancien meneur de jeu ayant été en butte aux perversions du foot – certains entraîneurs ont un intérêt financier à faire jouer tel joueur plutôt que tel autre – et en ayant souffert, Gourvennec a aussi imposé un style en Bretagne, raccord avec son statut de major de promo quand il a obtenu son DEPF (le diplôme d'entraîneur) : rigoureux, cherchant à contrôler jusqu'au moindre détail, très clair aussi avec des joueurs qui louaient en privé sa transparence lors des débriefings de fin de saison, même quand ces retours leur étaient défavorables. On l'a vu de nos yeux remettre en place le bras d'une machine à expresso à peine entré dans son bureau, comme un préalable à une discussion demandant d'avoir les idées claires. A l'autre bout du spectre, un confrère s'est vu reprocher par lui un papier (à peine) critique sur un joueur en difficulté : «Ça n'intéresse pas les gens, ce genre de trucs.»
Control freak
Un style très control freak qui s'est manifestement heurté à la réalité bordelaise : une grosse machine, dont Gourvennec a parfois dénoncé en privé l'inertie et le cloisonnement des tâches. Il n'est pas le premier à s'en plaindre : l'un de ses prédécesseurs, Willy Sagnol, est allé dans son sens le mois dernier, décrivant des salariés «arc-boutés sur les 35 heures». Des inconvénients qui vont aussi avec les grandes structures : a contrario, le Breton a pu y bénéficier de moyens considérables dont il n'aura pas su tirer profit, les joueurs qu'il a validés l'été dernier – l'international danois Lukas Lerager, les attaquants Nicolas de Préville et François Kamano, le milieu brésilien Jonathan Cafu – ayant été des fours. Qu'il y ait eu erreur de diagnostic sur la valeur intrinsèque de ceux-là ou que Gourvennec ait échoué à les faire jouer à leur niveau ne change rien : dans un cas comme dans l'autre, il est responsable.
Après l’avoir soutenu contre vents et marées depuis novembre, la direction bordelaise, c’est-à-dire Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6, actionnaire principal des Girondins, a fini par tirer l’échelle. Voilà neuf mois, quand Bordeaux patrouillait en haut du tableau, un étrange scénario courrait en coulisse : désireux de prendre du recul par rapport au terrain, Arsène Wenger aurait fait de Gourvennec son successeur à Arsenal, les deux hommes ayant du reste pris langue. Même fantasmatique, le profil du coach aquitain rendait l’affaire crédible. Fin juillet, Bordeaux était éliminé en tour préliminaire de la Ligue Europa par un club hongrois, sombre préalable à la saison que l’on sait. Tout ceci pour dire que dans le football, les choses évoluent vite.