Elisabeth Revol, professeure d’EPS dans la Drôme et alpiniste, est entrée dans l’histoire de l’himalayisme la semaine dernière, en devenant, à 37 ans, la première femme à atteindre le sommet du Nanga Parbat, au cœur de l’hiver, en compagnie du Polonais Tomasz Mackiewicz, dit «Tomek», 43 ans et père de trois enfants. (1)
La suite, dramatique, est, hélas, venue noircir l’exploit. Après quatre jours de descente épique, Elisabeth est arrivée dimanche au pied de la montagne… sans Tomasz, pour lequel tout espoir est abandonné depuis. Evacuée par hélicoptère vers Islamabad (Pakistan) dimanche après-midi et hospitalisée sur place, Elisabeth Revol est en bonne forme, mais présente de graves gelures aux orteils et aux doigts. Elle devrait être rapatriée en France ce mardi pour être soignée à l’hôpital de Sallanches (Haute-Savoie), où des spécialistes des gelures décideront d’éventuelles amputations.
Réussir l’ascension hivernale du Nanga Parbat, géant himalayen de 8 126 mètres, au Pakistan, représentait jusqu’au 26 février 2016 un rêve jamais atteint. Ce jour-là, le Pakistanais Muhammad Ali, l’Espagnol Alex Txikon et l’Italien Simone Moro atteignaient le sommet du Nanga Parbat, au bout de cinq jours d’ascension. Elisabeth Revol et Tomasz Mackiewicz n’étaient pas loin : ils venaient d’échouer de peu, atteignant 7 200 mètres sur une autre voie d’ascension du versant Diamir, la voie Messner. Comme l’année précédente déjà.
Inéluctable
Un hiver avait passé puis Elisabeth et Tomasz sont revenus cette année, déterminés à réussir enfin leur rêve : c’est la troisième tentative pour Elisabeth, la septième pour Tomasz… On ne sait dans quelles conditions et en combien de jours ils ont atteint le sommet, sans doute jeudi, ou la veille peut-être : Elisabeth Revol n’a pas encore livré son récit, elle le fera de retour en France. Toujours est-il que le drame s’est noué à la descente. Les efforts nécessaires pour atteindre en hiver et en autonomie un sommet de 8 000 mètres, là où l’air est si pauvre en oxygène que la détérioration physique plus ou moins rapide est inéluctable, sont immenses. Tomasz et Elisabeth ont sans doute tout donné pour arriver au sommet. Ils ont choisi de ne pas redescendre par leur itinéraire de montée, la voie Messner, mais d’emprunter la voie Kinshofer, plus technique car partiellement rocheuse, mais qui présente l’avantage d’être équipée de cordes fixes sur sa majeure partie, car elle est l’itinéraire d’ascension normal en été, pour des expéditions lourdes. Un fil d’Ariane - théorique - jusqu’au pied de la montagne.
Jeudi soir, ils sont engagés dans la première partie de cette descente lorsque Elisabeth avertit par téléphone satellite Ludovic Giambasi, son routeur-logisticien à son écoute depuis Gap (Hautes-Alpes) : ils sont en détresse, très haut encore, à 7 450 mètres. Tomasz souffre d’ophtalmie des neiges - aveuglement causé par la réverbération solaire intense à cette altitude - de gelures et est épuisé, alerte Elisabeth. A cette altitude, et a fortiori en plein hiver, tout espoir d’un secours est totalement hypothétique. Ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et leur situation est critique.
Le lendemain matin, Elisabeth se signale de nouveau. Elle a réussi à descendre encore un peu avec Tomasz, jusqu'à l'altitude de 7 280 mètres, où ils se sont abrités - sous leur tente probablement. Tomasz va toujours plus mal, il semble développer des œdèmes pulmonaires et cérébral, stade ultime du mal des montagnes. Il ne peut plus se déplacer. Elisabeth explique qu'elle a aussi des gelures. Ludovic Giambasi lui annonce que les pilotes d'hélicoptère de l'armée pakistanaise affirment qu'ils ne pourront pas dépasser, au mieux, l'altitude de 6 000 mètres. Et qu'une tempête s'annonce, d'ici deux jours peut-être. L'alpiniste prend bientôt la plus terrible des décisions, inéluctable dans l'impasse où elle se trouve : abandonner Tomasz pour tenter de sauver sa peau. Ludovic Giambasi l'affirme : lorsqu'elle prend cette décision, Tomasz est «à l'agonie». Vendredi soir, elle annonce qu'elle a rejoint tant bien que mal l'altitude de 6 700 mètres, 500 mètres plus bas sur la voie Kinshofer.
Une opération sans doute inédite
Pendant ce temps, les proches de Tomasz et Elisabeth ont, via un appel au financement participatif, réuni les quelque 50 000 euros nécessaires aux vols d’hélicoptère. Il n’y a pas de secours en montagne organisé au Pakistan, seule l’armée assure des récupérations, depuis le camp de base. L’argent réuni permet de débloquer des opérations plus lourdes : il faut aller chercher au pied du K2, autre sommet pakistanais - le dernier des 14 sommets de plus de 8 000 mètres encore invaincu en hiver - une équipe d’himalayistes polonais de très haut niveau présents sur les lieux depuis des semaines. La coïncidence est presque miraculeuse : les seules personnes à même de monter sur la voie Kinshofer pour tenter de sauver Elisabeth, et peut-être de rejoindre Tomasz, sont présentes, acclimatées à l’altitude et disponibles.
C’est ainsi qu’une opération sans doute inédite en Himalaya, par son ampleur et sa rapidité, se met en place dans la soirée de vendredi : l’hélicoptère récupère samedi matin au pied du K2 quatre grimpeurs, dont le Kazakho-Polonais Denis Urubko, un vieux routard des 8 000, et Adam Bielecki, tout aussi chevronné et qui a un atout énorme : il connaît la voie Kinshofer qu’il a déjà tentée durant l’hiver 2015-2016. L’hélicoptère les pose, avec deux de leurs camarades, au plus près du pied des difficultés, sous le camp 1 situé à 4 850 mètres. Avant que son téléphone satellite ne rende l’âme, Elisabeth a pu avertir dans l’après-midi qu’elle était parvenue à descendre encore un peu le long des cordes fixes, affamée, déshydratée, ses gelures empirant.
La nuit va bientôt tomber. Les grimpeurs polonais se lancent sans plus attendre. Denis Urubko a raconté la suite au magazine spécialisé Desnivel : «Il n'y avait pas beaucoup de glace, un peu, mais pas trop. On a pu monter aussi vite grâce aux cordes fixes, cela nous a permis de monter sans aucune hésitation, et ainsi de nous concentrer sur monter, monter, monter.» Bielecki et Urubko font une ascension époustouflante, ils fournissent un effort énorme, en pleine nuit glaciale. A 2 heures du matin, ils retrouvent Elisabeth, à plus de 6 000 mètres. Ils ont gravi 1 200 mètres d'une voie difficile, escarpée, en un temps record. Ils sont très impressionnés par le courage de la Française : «Elle était totalement anéantie, ses doigts étaient très blancs, elle descendait peut-être à 20 mètres par heure. Elle avait des engelures, très froid, elle était très fatiguée mais, en tout cas, c'est une femme très forte qui faisait quelque chose d'extraordinaire.»
Renoncer à tout espoir
Ils montent leur petite tente de secours, la font boire, prendre des médicaments, dormir un peu. Urubko estime que ses gelures ne sont pas dramatiques : «J'en ai vu des pires.» Les prévisions météo sont toujours aussi mauvaises pour les jours à venir. A 4 heures du matin, la décision est prise, douloureuse, raconte Urubko : «Soit nous aidons Elisabeth à survivre, soit nous continuons à grimper, avec un très mince espoir de pouvoir retrouver Tomek. Cela fait trois ou quatre jours qu'il a des problèmes dus au mal de l'altitude et Elisabeth nous a dit qu'il était en très mauvaise condition. Il est très difficile de penser que qui que ce soit puisse l'aider désormais.» Les deux hommes ont trop traîné en Himalaya pour se faire la moindre illusion sur l'état de leur compatriote, et ils décident de sauver Elisabeth, trop faible pour poursuivre la descente très technique qui l'attend, avec de nombreux rappels de cordes.
A 6 heures, ils se mettent en route et descendent Elisabeth le long des 1 200 mètres restants jusqu'au camp 1, d'où l'hélicoptère arrachera la Française à la montagne dans la matinée de dimanche. «Notre aide a été décisive», tranche sobrement Urubko, qui ne dit pas un mot de la douleur qu'a pu représenter pour l'équipe polonaise de renoncer à tout espoir pour Tomek. Dans la soirée, la femme de l'himalayiste disparu, Anna, poste un message sur les réseaux sociaux : «Je voudrais exprimer ma gratitude à tous ceux qui ont aidé à sauver Elisabeth Revol et ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour sauver mon mari bien-aimé, Tom. Eli est vivante. Dans ma douleur indescriptible, je suis heureuse qu'elle ait survécu. Elle a essayé de l'aider, restant avec lui aussi longtemps qu'elle pouvait… Merci Eli…» Seule Elisabeth Revol pourra désormais, quand elle en trouvera la force, raconter plus précisément ces heures terribles et l'enchaînement des événements qui ont mené Tomasz à l'agonie et elle-même à sa terrible décision de poursuivre seule vers le bas. Vers la vie.
Contrairement à ce que nous avons écrit lundi 29 janvier, Elisabeth Revol n'est pas la première femme à avoir réussi l'un des 14 sommets de plus de 8 000 mètres en hiver, mais la deuxième. Il y a 25 ans, le 10 février 1993, la Suissesse Danielle Chapuisat avait réussi le Cho Oyu (8188 m, Chine/Népal), sans oxygène en bouteille ni Sherpas mais par sa voie normale tracée jusqu'au sommet deux jours auparavant par un groupe d'himalayistes espagnols. Grâce à son ascension du Nanga Parbat le 25 janvier dernier avec Tomasz Mackiewicz, Elisabeth Revol reste en revanche la première femme arrivée au sommet d'un 8000 m en hiver en pur style alpin, c'est à dire en cordée légère et totalement autonome, qui plus est par un itinéraire partiellement nouveau. C'est la deuxième fois seulement que le Nanga Parbat, l'un des 8000 m les plus difficiles, est gravi en hiver.
(1) Contrairement à ce que nous avons écrit lundi 29 janvier, Elisabeth Revol n'est pas la première femme à avoir réussi l'un des 14 sommets de plus de 8 000 mètres en hiver, mais la deuxième. Il y a 25 ans, le 10 février 1993, la Suissesse Danielle Chapuisat avait réussi le Cho Oyu (8188 m, Chine/Népal), sans oxygène en bouteille ni Sherpas mais par sa voie normale tracée jusqu'au sommet deux jours auparavant par un groupe d'himalayistes espagnols. Grâce à son ascension du Nanga Parbat le 25 janvier dernier avec Tomasz Mackiewicz, Elisabeth Revol reste en revanche la première femme arrivée au sommet d'un 8000 m en hiver en pur style alpin, c'est-à-dire en cordée légère et totalement autonome, qui plus est par un itinéraire partiellement nouveau. C'est la deuxième fois seulement que le Nanga Parbat, l'un des 8000 m les plus difficiles, est gravi en hiver.