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Jeux de riches

A Pyeongchang, des JO d’hiver toujours aussi peu universels

Les Jeux de Pyeongchangdossier
Malgré un record de 92 délégations participantes, obtenu en conviant des athlètes de faible niveau, l’édition 2018 des Jeux olympiques hivernaux reste une affaire qui se joue entre une vingtaine de pays.
La patineuse russe Adelina Sotnikova lors des JO d'hiver de Sotchi, le 20 février 2014. (Photo Adrian Dennis. AFP)
publié le 8 février 2018 à 16h55
(mis à jour le 9 février 2018 à 9h20)

Quatre-vingt-onze pays et plus de 160 athlètes russes réunis sous la bannière olympique : 92 délégations vont défiler ce vendredi pour la cérémonie d'ouverture des JO de Pyeongchang. Jamais les JO d'hiver n'en avaient accueilli autant, ce dont le Comité international olympique (CIO) ne se prive pas de s'enorgueillir. Mais que vaut vraiment cette universalité ? 206 comités nationaux sont adhérents du CIO, et 204 d'entre eux participaient aux JO d'été de Rio en 2016. C'est donc moins de la moitié à Pyeongchang, et ça aurait dû être bien pire.

Pour atteindre 92 délégations en Corée du Sud, le CIO a déjà dû procéder à une croissance à marche forcée de son événement hivernal. Jusqu’aux JO de Sarajevo en 1984, jamais les Jeux d’hiver n’avaient accueilli plus de 50 pays ; le programme comptait 39 épreuves, réparties en 10 disciplines. Depuis, la croissance est exponentielle : pour ces JO 2018, on compte 102 épreuves pour 15 disciplines, ce qui accroît mécaniquement le nombre d’athlètes engagés.

En une vingtaine d’années, quelques sports ont vu leur nombre de titres olympiques doubler ou tripler, offrant des médailles dans des épreuves où le haut niveau se résume parfois à une dizaine de sportifs à l’échelle du globe. Le ski acrobatique n’était pas au programme des JO jusqu’en 1992, le snowboard y est apparu en 1998 ; ces deux disciplines offriront dix titres olympiques à Pyeongchang, presque autant que l’alpin ou le biathlon. Le CIO a aussi très récemment suscité la création d’épreuves mixtes dans bon nombre de disciplines où elles n’existaient pas : il y en a neuf au programme cet hiver, comme le ski alpin par équipes mixte, le double mixte en curling ou le relais mixte en luge…

Gonflement jusqu’à l’absurde

C'est le CIO qui le dit : pour être inscrit au programme olympique, un sport est censé être «largement pratiqué à travers le monde». Dans les différents critères d'évaluation des sports et disciplines qu'il a définis, le comité olympique consacre une large place à leur «universalité». On peut au bas mot douter du respect de ces critères quand on lit la liste des 102 épreuves au programme de Pyeongchang 2018. La présence des fameuses 92 délégations en Corée du Sud masque en fait très mal la réalité des sports d'hiver, qui ne sont pratiqués que par une poignée de pays au haut niveau.

Si l’on étudie le classement des différentes coupes du monde 2017-2018 de ski alpin, biathlon, saut à ski et de tous les autres sports au programme des JO de Pyeonchang, le constat est limpide : les athlètes qui y sont classés sont originaires de quelques dizaines de pays. Hommes et femmes confondus, on compte 21 pays pour le ski alpin, 31 pour la luge, 41 pour le snowboard, etc. Ces équilibres ont été respectés dans la plupart des disciplines au programme en Corée du Sud, sauf deux : le ski alpin et le ski de fond, les deux sports majeurs des JO d’hiver.

A Pyeongchang, 322 athlètes venus de 82 pays différents vont participer aux épreuves de ski alpin, des proportions qui s'élèvent à 313 sportifs et 65 nations en ski de fond. L'universalité des JO d'hiver passe donc par le gonflement jusqu'à l'absurde du nombre de pays participants dans ces deux sports, au gré d'invitations et de qualifications complaisantes, et au détriment d'une sélection de haut niveau qu'implique, quand même, le rendez-vous olympique. Mardi, l'Equipe racontait l'histoire improbable du Tongien Pita Taufatofua, qualifié en ski de fond alors qu'il en a fait pour la première fois il y a trois mois. Un cas extrême qui fait sourire, mais loin d'être isolé.

Classement des médailles ou classement du PIB ?

Car la réalité du ski alpin comme du ski de fond, dans leur routine hiver après hiver, est beaucoup plus prosaïque : une dizaine de nations majeures, une dizaine d’autres qui tentent d’exister voire de rivaliser, et rideau. Un constat qui ressurgit de façon spectaculaire si, au-delà de la liste des 92 délégations présentes à Pyeongchang, on se penche sur le nombre d’athlètes présents dans chacune d’entre elles. Vingt pays seulement se partagent plus de 80 % des quelque 3 000 sportifs conviés à l’événement sud-coréen. Et plus d’un athlète sur quatre qualifiés pour ces JO est canadien, suisse, russe ou américain. Que des nations prospères, ce que confirme la suite du classement des délégations les plus nombreuses (Allemagne, Japon, Italie, Corée du Sud, Suède, Norvège, France, etc.), aux airs de classement mondial du PIB par habitant.

Les JO d’hiver sont donc avant tout des Jeux de pays riches, plutôt que de pays de montagne et de neige (le Royaume-Uni aligne huit fois plus de concurrents que le Chili), et s’il fallait encore se convaincre de leur non-universalité, il suffit de se pencher sur le tableau des médailles. A Rio, aux derniers Jeux d’été, 86 nations avaient remporté au minimum une breloque, soit un peu moins de la moitié des délégations engagées. Aux derniers Jeux d’hiver, il y a quatre ans à Sotchi, le tableau des médailles avait affiché un record de 26 pays, total que les JO d’été ont toujours dépassé depuis… 1920. Car en dépit des efforts du CIO pour multiplier le nombre de pays participants et d’épreuves à son raout hivernal, seul un pays sur trois ramène au moins une médaille des Jeux d’hiver depuis trente ans. Et c’est moins qu’avant.