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Biathlon : France-Norvège, une rivalité en trois actes

Les Jeux de Pyeongchangdossier
Le duel entre Martin Fourcade et Johannes Bo sera l'une des attractions des JO de Pyeongchang. C'est l'éternel remake d'un classique du biathlon.
Le Français Martin Fourcade (g) et le Norvégien Emil Hegle Svendsen (d) à l'issue du sprint de l'épreuve de Coupe du monde d'Oberhof (Allemagne), le 3 janvier 2014 (Photo Odd Andersen. AFP)
publié le 10 février 2018 à 8h24

Le duel entre Martin Fourcade et Johannes Bo sera l’une des attractions des JO de Pyeongchang. C’est l’éternel remake d’un classique du biathlon depuis le début des années 2000.

Acte I : Poirée-Bjoerndalen

La dernière course de la carrière de Raphaël Poirée a magnifiquement symbolisé sa rivalité avec le Norvégien Ole Einar Bjoerndalen. Lors de la mass-start d'Oslo-Holmenkollen, les deux biathlètes se sont battus jusqu'au bout et ont sprinté pour la victoire. Seule la photo-finish a permis de les départager. Le Norvégien l'emporte d'un souffle. Un résultat qui résume parfaitement le duel qui a opposé les deux biathlètes pendant des années : intense, serré mais globalement en faveur de Bjoerndalen. Au Monde en 2015, Raphaël Poirée en convenait : «Cette course a été historique. Pour moi, pour une dernière, avec le public norvégien, c'est comme ça que je voulais finir. C'était un rêve. Lui gagne, je fais deuxième. C'est vraiment ce qui nous a séparés, Bjoerndalen et moi, pendant toute notre carrière.»

Pourtant, Raphaël Poirée a parfois pris le dessus sur la légende du biathlon. Plus régulier au début des années 2000, il a remporté quatre fois la coupe du monde entre 2000 et 2004, contre une fois seulement pour son rival. Et puis il y a eu ces mondiaux à Oberhof (Allemagne) en 2004, où Raphaël Poirée a survolé la compétition, rapportant trois médailles d’or, une d’argent et une de bronze. Mais là où le bât blesse pour le Français, c’est aux jeux Olympiques, véritables juges de paix pour départager les meilleurs athlètes. En trois éditions, Poirée n’a pas fait mieux qu’une deuxième place lors de la poursuite de Salt Lake City en 2002. Derrière l’incontournable Bjoerndalen qui, lui, a toujours brillé aux JO. Notamment à Salt Lake City, justement, où il a réalisé une véritable razzia (quatre titres en autant de courses).

Si sur la piste Raphaël Poirée était en compétition avec les Norvégiens, en dehors, il en était très proche, s’entraînant avec eux. Au point de devenir le plus Norvégien des Français. En 2000, il se marie avec la championne norvégienne Liv Grete. En 2008, il entraîne l’équipe B du pays nordique. C’est aussi en Norvège qu’il vit. Et sa terre d’adoption lui rend bien, tant il était acclamé sur les pistes norvégiennes.

Le duel entre les deux biathlètes s'est peut-être terminé trop tôt, tant le Français semblait avoir le physique pour continuer à concurrencer le Norvégien. D'autant plus qu'ils ont le même âge et que son rival de toujours skie encore aujourd'hui. Mais il en a décidé autrement, soucieux de se consacrer à sa famille. Un choix que regrettait Ole Einar Bjoerndalen : «C'est dommage que Raphaël arrête : il a beaucoup apporté à la discipline, il m'a beaucoup apporté personnellement et m'a poussé à progresser. Notre rivalité s'est toujours déroulée dans une bonne ambiance. C'est pour moi quelqu'un d'exigeant avec lui-même qui m'a poussé souvent dans mes derniers retranchements en course et à l'entraînement aussi.»

Acte II : Fourcade-Svendsen

«Emil, c'est mon plus grand rival, celui contre qui j'ai mené mes plus rudes batailles, gagné mes plus beaux combats et subi aussi mes pires défaites. […] Emil m'a poussé à élever mon niveau. On ne peut pas réaliser de grands exploits sportifs sans un véritable adversaire…» Dans sa biographie, Martin Fourcade se montre très élogieux envers Emil Svendsen, celui qu'il considère comme son meilleur ennemi.

Svendsen est le biathlète qui a assuré la transition entre le déclin de l’ogre Bjoerndalen et l’avènement de Fourcade. Vainqueur du classement général de la coupe du monde en 2010, il a terminé deux fois troisième derrière Bjoerndalen et quatre fois deuxième, dont trois fois derrière Fourcade. S’il n’avait pas eu la malchance de pratiquer son sport à la même époque que le Français, il aurait sans doute un palmarès nettement plus étoffé.

Mais à défaut de pouvoir réaliser sur le long terme avec le Pyrénéen, il est parvenu à lui ravir des victoires de prestige. «Aujourd'hui, quand je réfléchis aux courses marquantes de ma carrière, trois me reviennent en tête. Trois arrivées au sprint, je les ai perdues. […] Ce sont ces trois-là dont je me souviens le mieux. Parce que c'était lui et parce que c'était moi…», reconnaît Martin Fourcade, en forme d'adoubement.

Parmi ces trois courses, il y a la mass-start de JO de Sotchi. Alors que le Français lorgne un triplé historique pour la France (seul Jean-Claude Killy avait remporté trois médailles d’or lors d’une même olympiade), le Norvégien le rejoint dans le dernier tour. Malade, Fourcade est battu au sprint pour trois petits centimètres. Il y a eu, aussi, les championnats du monde de Nove Mesto en 2013. La seule compétition où le Norvégien a réellement pris l’ascendant sur le Français, avec quatre titres contre un. Fourcade s’est contenté des accessits (quatre médailles d’argent). Il a surtout regretté sa défaite au sprint, lors de la poursuite, à la photo-finish.

Même si Emil Svendsen n’est plus le rival n°1 de Martin Fourcade, il pourrait bien être une épine dans le pied du Français lors de Jeux de PyeongChang. Il sait que ce sera sans doute sa dernière occasion de briller dans la plus belle des compétitions. Un dernier sprint mémorable entre les deux biathlètes, à l’image de celui entre Bjoerndalen et Poirée, conclurait de fort belle manière ce savoureux duel.

Acte III : Fourcade-Boe

C’est la rivalité la plus récente et, par conséquent, la moins légendaire. Mais c’est aussi peut-être la plus intense. Longtemps Johannes Boe n’a été qu’un outsider comme un autre de Martin Fourcade. Capable, dans un grand jour, de remporter une course. Et le lendemain de s’écrouler totalement.

Mais cette saison, Boe a changé et est devenu nettement plus régulier, à tel point qu’il s’est imposé comme le premier à vraiment donner du fil à retordre à Martin Fourcade depuis Emil Svendsen. À eux deux, le Français et le Norvégien ont remporté 14 victoires sur les 15 courses disputées. Et ils cannibalisent les podiums : 15 pour Fourcade, 12 pour Boe. Ne laissant que des miettes à leurs concurrents. Ironie du sort, la seule victoire qui a échappé au duo est revenue à… Tarjei Boe, le frère aîné de Johannes.

Jamais deux biathlètes n’avaient été aussi dominateurs sur une saison. Rien ne dit que la rivalité entre Boe et Fourcade va durer mais, sur ces deux premiers tiers de la saison, elle aura été époustouflante. Si, pour le moment, Martin Fourcade, grâce à sa régularité hors-norme, tient la corde pour le classement général de la coupe monde, Johannes Boe est celui qui a le plus impressionné. Le Norvégien donne le sentiment d’être imbattable quand ses tirs sont réussis.

À tel point qu'il écœure parfois Martin Fourcade qui doit reconnaître la supériorité de son rival, comme au Grand-Bornand, en décembre, après le sprint : «Sur les skis, Johannes Boe a été plus rapide que moi. Johannes a une marge sur nous. Il est fort, il n'y a pas de constat d'échec, je ne baisse pas les bras, je ne peux que constater qu'il était très fort aujourd'hui et que je n'avais pas les capacités de le battre.» Titillé dans son orgueil, le Pyrénéen utilise cette rivalité pour progresser, encore, comme en témoigne sa réaction sur Twitter après qu'Europe 1 a signalé une nouvelle défaite contre Boe.

Les Jeux olympiques de PyeongChang constitueront le juge de paix pour les deux biathlètes. Et peut-être le point de bascule entre la fin de l'ère Fourcade et l'avènement de Johannes Boe. «Revenir de Corée avec le plus grand total de médaille d'or et devenir le roi des JO, ce sera mon grand objectif de l'hiver», déclarait dès mars 2017 le cadet des frères Boe. Près d'un an plus tard, il est très proche de réaliser son rêve.