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Jeux olympiques

«Derrière la vitrine de Paris 2024, le sport français est en crise»

JO Paris 2024dossier
Nicolas Bonnet Oulaldj, chef de file du groupe communiste-Front de gauche à Paris, plaide pour un grand plan de développement du sport en France, et notamment la construction de nouveaux stades, gymnases et piscines.
L'ex-champion olympique Guy Drut, la maire de Paris Anne Hidalgo, le président du CIO Thomas Bach, Denis Masseglia et Tony Estanguet, le 22 octobre à Paris. (Photo Stéphane de Sakutin. AFP)
publié le 10 février 2018 à 11h52

Trois mois après la désignation de Paris comme ville hôte des Jeux olympiques 2024, de nombreux élus de terrain s'alarment de l'état du sport en France, amputé de ses moyens financiers et donc incapables «d'accompagner» les jeunes athlètes vers cet objectif. Mardi, le Conseil de Paris a soutenu le principe de créer un «héritage» autour des Jeux 2024, c'est-à-dire «d'associer la population aux JO, avant, pendant et après l'événement». A l'initiative de ce projet, Nicolas Bonnet Oulaldj, élu (PCF) dans le XIIe arrondissement de Paris, explique pourquoi il est «urgent» d'agir en 2018, «une année charnière».

Le Parti communiste utilise un slogan pour désigner les Jeux de Paris 2024 : «Le revers de médaille se profile». Est-ce à dire que vous êtes déçus ou inquiets que la France organise l’événement ?

Nous ne sommes pas opposés aux Jeux, mais il faut des retombées fortes pour la population. Et en particulier pour le monde du sport. Il y a un paradoxe gênant : au moment où la France est désignée pour accueillir les Jeux, le gouvernement annonce une diminution de 7 % de son financement du sport (via le ministère et le Centre national de développement du sport), confirme la baisse des dotations aux collectivités et supprime les emplois aidés. La France manque d'éducateurs sportifs, y compris en milieu scolaire, et on ne parlera même pas des équipements absents ou vieillissants : piscines, gymnases… Comment va-t-on accompagner le sport amateur ou le sport scolaire jusqu'en 2024 ? Rappelons qu'un enfant sur deux en Seine-Saint-Denis ne sait pas nager, selon les profs d'EPS. Une ville comme Aubervilliers pourrait obtenir des médailles olympiques grâce à ses champions mais la relève ne trouverait pas de structure pour s'entraîner. L'un des plus gros clubs de France, l'US Ivry, 7000 licenciés toutes sections confondues, doit refuser 1 000 gamins à cause du manque de moyens. Derrière la vitrine de Paris 2024, le sport français est en crise.

La loi olympique votée mardi par le Sénat n’a pas permis de rectifier le tir ?

C’est une déception. Nous espérions un vrai projet pour le développement du sport en France. Or le texte est à peu près identique à celui que les députés ont adopté en décembre : la traduction dans la loi française du contrat qui lie Paris et le Comité international olympique. Pierre Laurent et les sénateurs communistes espéraient faire passer des amendements «sociaux» mais ceux-ci ont été rejetés.

Il faut une autre loi sur le sport ?

Nous devons travailler dur pour que le projet de loi de finances pour 2019 prévoie de véritables moyens pour le sport en France. Mais nous aurons perdu un an, et il sera peut-être trop tard…

Pourquoi y a-t-il urgence, selon vous, alors que les Jeux auront lieu dans six ans ?

Entre la phase d’étude et les travaux, il faut quatre à six ans pour bâtir un nouveau gymnase. Si nous ne mettons pas en route les chantiers maintenant, la France ne pourra pas absorber l’afflux de licenciés qui ne manquera pas de se former à l’approche des JO. Nous sommes donc dans une année charnière.

Le Conseil de Paris a voté, mardi, à votre initiative, un vœu pour que Paris 2024 travaille à son «héritage». Pourquoi pensez-vous que cette mesure va soutenir le sport amateur ?

C’est un moteur important. Lors de la candidature de Paris, les textes officiels prévoyaient la création de trois entités : le COJO (Comité d’organisation des Jeux olympiques), Solideo (la société en charge de livrer les équipements prévus) et «l’Héritage». Or cette instance a été volontairement ou involontairement oubliée, alors que sa mission est fondamentale : elle consiste à garantir un «effet JO» auprès de la population. Le CIO aborde traditionnellement la question de «l’héritage» à travers la réutilisation de ses équipements : il s’agit alors d’éviter les «éléphants blancs», ces stades et autres bâtiments laissés à l’abandon. Mais, pour nous, «l’héritage» des Jeux olympiques est une question beaucoup plus large, qui concerne la façon dont on associe la population aux JO, avant, pendant et après l’événement.

Le comité d’organisation, que nous avons contacté, est d’accord avec cette définition plus complète et se dit prêt à discuter de dossiers tels que «l’éducation», «la mixité», «le handisport» etc, mais il n’est pas forcément favorable à la création d’un groupe de travail et de décision indépendant consacré à l’héritage.

Le comité d’organisation ne pourra pas régler à lui seul tous les problèmes du sport en France. Son budget est limité. Le vœu adopté à l’unanimité par le Conseil de Paris, sans considération partisane, va dans le sens de l’intérêt général : nous voulons une structure indépendante, avec des fonds abondés par l’Etat et le secteur privé, par exemple sur le principe d’une fondation. J’espère que notre démarche sera appuyée par d’autres collectivités et instances, comme la région Ile-de-France, la métropole du Grand Paris, le département de la Seine-Saint-Denis – j’envoie ce vendredi un courrier à leurs présidents respectifs – ainsi que, bien sûr, le ministère des Sports. Paris ne peut pas porter à elle seule les enjeux autour de Paris 2024. La question du développement du sport concerne tout le territoire, surtout les zones les plus pauvres.

Vous ne regrettez pas votre soutien de toujours à la candidature des JO ?

Les Jeux olympiques peuvent être un moteur d’humanisme et de pacification. Je pense que la France s’honore à recevoir un aussi grand événement porteur de ces valeurs. Nous aurons dès ce week-end, au Jeux d’hiver à Pyeongchang, les deux Corées réunies sous une même bannière.

N’est-ce pas éphémère et artificiel ?

Oui, et c’est pour cette raison que l’on doit travailler sur le devenir des Jeux. La question de l’héritage est sportive, économique, sociale, géopolitique… Au PCF, nous croyons que les JO peuvent débloquer des budgets et accélérer des transformations sociales. Nous avons déjà obtenu gain de cause sur deux revendications : la création d’une «charte sociale» pour les dizaines de milliers de salariés qui travailleront avec Paris 2024 (cosignée en mars par les cinq centrales syndicales, avec la coordination de Bernard Thibault) et l’adoption de 40 mesures d’accompagnement des Jeux par la ville de Paris, qui devraient aboutir à une mobilisation populaire. Nous sommes confiants et vigilants sur les effets attendus de Paris 2024 sur le logement, le transport et l’environnement. Et exigeants sur la question du sport, qui reste hélas, pour l’instant, l’angle mort du projet olympique.