La petite histoire retiendra que, dimanche, la première médaillée tricolore des Jeux de Pyeongchang a été la toute dernière à comprendre qu’elle était championne olympique. Première au classement avant le passage de la dernière concurrente, la Canadienne Andi Naude, elle regarde celle-ci dévaler son run à tombeau ouvert et ça ne rate pas : une faute, puis deux, puis trois, puis… la sortie de route pour la native de Regina, dans la Saskatchewan, ce qui dore sur tranche la médaille de la skieuse de bosses tricolore. Elle reste pourtant impassible. Immobile dans l’aire d’arrivée, les yeux rivés sur le tableau électronique, comme si seul l’affichage du «DNF» (pour did not finish) en face du nom de l’ultime concurrente pouvait sceller son destin olympique.
Solitude
Son entraîneur racontait qu'aux Jeux de Sotchi en 2014, il avait dû aller récupérer sa skieuse, alors âgée de 15 ans, qui pleurait sous une tente après avoir balancé son matériel, meurtrie par sa 14e place.
Laffont est longuement revenue sur cette première expérience olympique sur l'Equipe Explore, et plus particulièrement sur les quarante-huit heures qui avaient précédé sa finale : une plongée impressionnante dans la solitude immense du sportif de haut niveau (ses 15 ans n'y changeant rien), le récit d'une fille «terrorisée», qui a «mal aux jambes, au bide», qui ne touche pas son assiette lors du repas de midi (la finale avait lieu le soir), assistant impuissante à l'assombrissement de son karma après une chute lors de l'entraînement de la veille, comme on tombe dans un trou. Elle se souvient distinctement s'être dit, juste avant sa course de Sotchi : «Je ne veux plus y aller.»
Larmes
Après le moment de stupeur qui l'a saisie dimanche, après le podium, après les larmes, la jeune femme a concédé quelques phrases que tous les sportifs du monde doivent avoir en tête : les moments qui ont précédé son sacre coréen n'ont en aucun cas été le reflet inversé de ceux, un peu lugubres, qu'elle avait vécus en Russie. Elle a galéré : «La finale a été la course la plus dure de toute ma vie. Au départ, je ne m'en sentais pas vraiment capable. Les entraînements se sont bien passés mais il a fait froid et, du coup, la piste était plus dure à skier. J'étais hyper fatiguée aussi. Mais je crois que cette fatigue m'a servi. Elle a apaisé un peu la nervosité que je ressentais sur le premier run. Je suis vraiment allée chercher cette médaille. J'étais dans le dur toute la journée.»
Mais les adversaires de la Française ont galéré aussi : température glaciale, réceptions difficiles sur les deux sauts jalonnant le parcours, difficulté à envoyer de la vitesse ou à négocier la fin du parcours et les dernières bosses… Quand personne n’est bien, il y a un vainqueur quand même. Le truc, c’est de s’accrocher.
Et on peut dire que Perrine Laffont en a pris l'habitude. Très tôt, ses parents, qui ont monté un club de ski de bosses dans la station des Monts d'Olmes (Ariège), lui ont donné le goût du sport : la photo de Perrine Laffont à 2 ans en tenue de ski, avec sa tétine accrochée à un revers, a fait le tour du Web. Sa famille ne s'en est pas tenue là : elle lui a aussi infusé le goût viscéral de la victoire. «Un truc tout bête, on partait ensemble en vacances à Hossegor donc j'ai commencé à surfer, se souvenait la skieuse dans l'Equipe avant les Jeux. Pour moi, c'était un loisir. Mais tout de suite, ma mère m'a dit : "Quand tu surferas un peu mieux, tu pourras faire de la compétition…"»
Déplacements
Quand elle se lance sur le circuit, Perrine Laffont n'a que 12 ans et elle est deux fois décalée : en tant que Pyrénéenne dans une discipline dominée par des skieuses des Alpes, ce qui la contraint à de longs déplacements et à sécher l'école le vendredi plus souvent qu'à son tour, et en tant que gamine que l'on tente de fragiliser («qu'est-ce que tu fous là ?») avant les courses. Elle confesse une autre difficulté : «C'est difficile d'avoir des parents entraîneurs. A la maison, je voulais être avec mes parents, pas avec mes coachs. Mais quand je rentrais, ils avaient vu les vidéos et ils ne parlaient que des corrections que je devais apporter à mon ski. J'avais toujours l'impression que ce que je faisais n'était pas assez bien pour eux. Ce qui fait qu'aujourd'hui, j'ai peur du résultat. Je n'aime pas quand ils viennent me voir sur mes courses. J'ai peur de les décevoir.»
Voilà la genèse de la première médaille olympique depuis le bronze de Sandra Laoura en 2006, l’aînée ayant perdu l’usage de ses jambes un an plus tard après s’être fracturé deux vertèbres lors d’un entraînement. On se gardera bien de comparer les difficultés rencontrées par l’une et l’autre. On peut cependant dire qu’à ce niveau, il y a toujours un prix à payer.