Menu
Libération
Analyse

Real Madrid-PSG : les forces invisibles

Les Espagnols reçoivent les Francais ce mercredi, en 8e de finale aller de la Ligue des champions. Le club madrilène, qui a un passé et une aura, a développé un savoir-faire après lequel court le club parisien, riche mais isolé. Si cette maîtrise prend ses sources en dehors du terrain, elle a vocation à l’influencer. Le Paris-Saint-Germain part de loin.
Le président du PSG, le Qatari Nasser al-Khelaïfi, et le directeur sportif du club, le Portugais Antero Henrique, lors d’une visite d’un centre de loisirspour enfants, le 3 août à Moisson (Yvelines). (Photo Philippe Wojazer. AFP)
publié le 13 février 2018 à 20h36

L’idée peut paraître saugrenue mais elle apparaît centrale à l’heure où le Paris-SG joue, ce mercredi, sa saison et un 8e de finale aller de Ligue des champions au stade Santiago-Bernabéu, face à un Real Madrid qui a gagné rien moins que trois des quatre dernières éditions de la compétition reine : et si la clé du double affrontement maous qui s’annonce n’était pas à chercher dans les mérites comparés de Neymar et de Cristiano Ronaldo, mais dans les maigres cinquante-cinq minutes de jeu du jeune (20 ans) milieu parisien Christopher Nkunku entre le début de la saison et la trêve de Noël ? Et s’il fallait regarder dans les marges ?

Parce qu'elles hurlent, les marges. Nkunku est, à entendre ses formateurs, l'un des joyaux de la couronne du centre de formation du club de la capitale, avec Lorenzo Callegari (19 ans), Moussa Diaby (18), Jonathan Ikoné (19), ou encore Alec Georgen (19), tous internationaux tricolores dans des équipes de jeunes. A chaque ouverture du marché des transferts, la même litanie : fatigué de galérer en équipe réserve (celle du Paris-SG évolue en N2, 4e échelon national) sans aucun signe indiquant une perspective de faire son trou en équipe première, les gamins envoient leurs représentants demander un bon de sortie à la direction parisienne.

Crédulité

Laquelle crie en silence. S'il y a moyen de se faire un petit billet en vendant ceux-là tout de suite, ce sont des dizaines de millions qui s'envolent par rapport à une situation où le club parisien aurait le temps de faire progresser, puis de valoriser ces surdoués lors du mercato. L'été dernier, le nouveau patron du sportif, Antero Henrique, a fait revenir l'ex-international du PSG Luis Fernandez pour le placer à la tête du centre de formation. Ce dernier se référant, pour tout, directement au Portugais. «Je ne dois pas le décevoir, avait annoncé Fernandez. Il faut qu'il y ait d'autres jeunes en équipe première. Ils doivent être heureux d'être là, à Paris. Il n'y a pas de raison que le PSG ne puisse pas leur faire confiance.»

Mais si, il y a des raisons. Fernandez le sait, Henrique aussi, et ça fait d’eux des vigies, les deux pieds sur la ligne de démarcation entre la Maison blanche madrilène et le leader du championnat de France : le Real est un club qui prend l’initiative de se séparer de ses jeunes quand il le décide, alors que le Paris-SG est un club que l’on quitte. Dit autrement : là où le Paris-SG est une équipe, le Real Madrid est un club. Le paradoxe : la différence entre les deux se manifeste partout, sauf sur le terrain. Ou de manière oblique. Pourquoi un jeune Madrilène n’entre jamais dans le bureau du responsable de son avenir avec la volonté de partir ? Parce que le Real est grand ? Le poids d’une institution séculaire, quand la naissance du Paris-SG remontait pour Zlatan Ibrahimovic à son arrivée dans la capitale en 2012, manière de dire que les gazo-dollars qataris «faisaient» le club de A à Z ? Ou plus prosaïquement parce que les jeunes Madrilènes savent qu’ils auront leur chance en équipe fanion ?

Le Real entretient de fait un lien générationnel : ils sont aujourd'hui dix, sur un effectif pro de 25 joueurs, à être passés par la Cantera, le centre de formation du club. Lequel a ramassé, selon le quotidien espagnol AS, 131,5 millions d'euros en deux saisons sur le marché des transferts grâce à des joueurs qui en sont issus. Entraîneur du Paris-SG lors de la victoire dans la défunte Coupe d'Europe des vainqueurs de Coupe en 1996, Fernandez est justement là pour faire le joint : incarner un passé aux yeux des jeunes et leur promettre un débouché en phase avec ce pragmatisme proverbial - mon contrat, mon statut, mon avenir - qui anime les footballeurs, à 18 ans comme à 32. Nkunku jouant les utilités, il reste trois joueurs qui, tout en ayant été formés au club, sont parvenus à jouer un rôle dans l'équipe qui se frottera à Karim Benzema et consorts mercredi soir.

Le gardien Alphonse Areola n’est pas au mieux depuis novembre. Titularisé cette saison parce que l’Allemand Kevin Trapp n’avait pas fait la maille, le Parisien de naissance est en difficulté sportive, chacune de ses contre-performances le transformant un peu plus en alibi local, ayant l’intérêt d’aider à tenir les règlements (huit des vingt-cinq joueurs inscrits par un club pour disputer la Ligue des champions doivent être «formés localement»).

Le milieu Adrien Rabiot, lui, s'est imposé. Au prix d'un long combat, qui l'aura vu menacer de partir à chaque intersaison entre 2012 et 2016 pour arracher du temps de jeu, le travail en sous-main de l'ex-entraîneur Laurent Blanc («t'inquiète, je suis avec toi…») permettant de garder le natif de Saint-Maurice (Val-de-Marne) dans les murs.

Le dernier concerné est le défenseur Presnel Kimpembe : du lourd, convoqué chez les Bleus à 21 ans. Mais qui vit mal, à entendre ses proches, sa propre crédulité vis-à-vis des promesses estivales de l’entraîneur parisien, Unai Emery («mes trois défenseurs centraux sont en concurrence, les deux meilleurs joueront»), tout en regardant deux internationaux brésiliens, Thiago Silva et Marquinhos, jouer les rencontres les plus importantes à sa place. Il faut comprendre que le Paris-SG a une équipe forte, expérimentée, où brillent certains des plus grands joueurs de leur époque. Mais cette équipe est seule.

«Sauf si l’arbitrage…»

Sans ancrage géographique, coupée du passé et avec un futur qui se joue à 5 000 kilomètres de là, à Doha : sans autre attache que l'amour du foot de ceux qui la composent, et éventuellement la coterie brésilienne formée par cinq d'entre eux. Ces gars-là sont des pionniers. Et il faut savoir que dans le foot, Neymar ou pas, défricher des terres vierges est très, très difficile. Dès le tirage au sort opposant les deux clubs en décembre, Henrique allumait les warnings dans le Parisien : «Les meilleurs se qualifieront… enfin, normalement… Sauf si l'arbitrage fait la différence.» Une allusion aux trois buts hors-jeu ayant permis au Real de sortir le Bayern Munich la saison passée, ainsi qu'à la fameuse remontada pavée par deux penaltys douteux du Barça face au Paris-SG (6-1 au retour, effaçant le 0-4 de l'aller) qui aura valu six mois de placard à l'arbitre allemand Deniz Aytekin. Un FC Barcelone qui attend placidement - et sans impatience, on imagine - qu'un arbitre siffle un penalty contre lui en championnat espagnol depuis… deux ans. Les arbitres sont comme les autres. Ils vivent avec des représentations dans la tête et, qui sait, peut-être la loi de l'emmerdement minimal : dans le doute, conforter l'ordre établi expose moins.

Dans un ordre d'idée différent, l'entraîneur français du Real Madrid, Zinédine Zidane peu présent dans les médias hexagonaux, a accordé une interview à RTL lundi : entretenu par la rareté, sa phénoménale force de frappe médiatique aura permis de gagner un peu de terrain dans le cœur des fans français deux jours avant le match. Toujours en coulisse, le club madrilène fait fuiter depuis Noël le scénario d'une possible arrivée de Neymar dans la capitale espagnole l'été prochain, le point d'orgue étant survenu jeudi, à cinq jours du match seulement : l'ancienne méga-star brésilienne Ronaldo a exprimé dans Marca (organe quasi officiel du club) son souhait de voir son compatriote, dont il a partagé la fête d'anniversaire le 4 février, rejoindre le Real dans le futur, une sortie forcément validée par la direction d'un club madrilène dont Ronaldo est ambassadeur.

Le sourire du maestro

Le président, Nasser al-Khelaïfi, n’a pas attendu la sortie du Brésilien pour s’en agacer en interne. Mais il ne peut rien faire. Dans le milieu, on appelle ça «les réalités invisibles», fascinants mouvements souterrains qui installent à la fois la supériorité des historiques (Real, FC Barcelone, Bayern Munich, Juventus de Turin…) et l’idée de cette supériorité comme l’expression du football lui-même. C’est bien la capacité à paramétrer plus de choses qui sépare le club parisien de son pendant espagnol aujourd’hui. On parle de l’approche psychologique, de l’écho qui est donné par les influenceurs et les médias nationaux, de l’idée que le grand public se fera du bien et du mal, des instances qui font les calendriers, du sourire de l’immense joueur que fut Zidane au quatrième arbitre quelques minutes avant un moment clé que le maestro aura senti venir. C’est là que la très haute compétition est perchée. Là que le Paris-SG doit combattre.

Mais si un élément extérieur doit faire la différence, ce sera Madrid neuf fois sur dix. La communication du club parisien interroge, et ce n'est pas d'hier : alors que l'on était prêt à considérer l'éventuel départ de Neymar pour Madrid l'été prochain comme un montage visant à parasiter le vestiaire parisien, le capitaine brésilien du PSG, Thiago Silva, a soufflé sur les braises dimanche sur Canal +, tout seul comme un grand : «J'espère que Neymar restera avec nous l'été prochain.» S'il l'espère, c'est qu'il y a un doute. Ainsi, le Real n'a pas sorti l'affaire ex nihilo. Ce n'est pas blanc, mais ce n'est pas noir pour autant : le club madrilène et ses relais travaillent sur le gris. Et le vestiaire parisien est poreux, puisque Silva explique ce qui s'y passe, ou ce qui pourrait s'y passer.

Fin janvier, après une victoire (3-2) à Rennes en Coupe de la Ligue durant laquelle Neymar a fait mine de relever un joueur breton avant de retirer sa main, le prodige brésilien, sentant l’incompréhension venir, est allé vers les journalistes en zone mixte : c’est tout moi et c’est rigolo, le foot est un jeu, un truc de cour d’école, les adversaires sont des potes. Les présents se sont pincés pour y croire : près de 600 millions de budget annuel et voilà le meilleur joueur de l’équipe qui est contraint de se faire le VRP de lui-même pour combler le fossé qu’il pressent entre lui et l’opinion publique du pays où il exerce, et qu’il enchante pourtant toutes les semaines ou presque. Neymar est tout seul, aussi. Les propriétaires qataris nous répètent sur tous les tons qu’un club ne se construit pas en un jour : certes. Mais le Real, c’est tout de suite.