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Libération
JO2018

Pour les athlètes des petites nations, les Jeux se payent cher

Les Jeux de Pyeongchangdossier
La Malgache Mialitiana Clerc et la Togolaise Mathilde-Amivi Petitjean sont les seules sportives de leur délégation à Pyeongchang. Pour elles plus que pour les autres, l’olympisme est synonyme de sacrifices.
Mathilde-Amivi Pe­titjean représente le Togo dans les épreuves de ski de fond. (Photo Hendrik Schmidt. Picture Alliance. )
publié le 20 février 2018 à 20h26

Mathilde-Amivi Petitjean a fait ses comptes. Dans une colonne, les dépenses. Enormes. En face, les recettes. Maigrelettes. En bout de ligne, un constat : sa saison olympique lui aura coûté 35 000 dollars (environ 28 000 euros), entre les voyages, l’hébergement, le matériel et la vie quotidienne. En soi, rien de très inédit. Mathilde-Amivi Petitjean est skieuse de fond. L’activité coûte cher, surtout au plus haut niveau. Mais à la différence de ses rivales, la jeune femme doit payer de sa poche pour pratiquer son sport.

Fondeuse

 Petitjean, 24 ans depuis lundi, une allure de mannequin et un sourire immense, est togolaise. Aux Jeux de , elle est la seule engagée de son pays. Vendredi 9 février, elle a porté le drapeau de sa délégation, suivie par un trio d'officiels. Le rêve olympique, dans toute sa splendeur. «Mais un rêve précédé de beaucoup de sacrifices et de souffrance», corrige-t-elle. Au village des athlètes, elle observe les autres délégations avec l'impression ne pas appartenir au même monde. «Dans les grandes nations, les skieurs ne s'occupent de rien, sinon de leur performance, explique-t-elle. Moi, je me débrouille toute seule. J'achète mes billets d'avion, je réserve mes hôtels, je dois même m'inscrire pour les compétitions. Et je dois acheter mon matériel, ça me coûte 4 000 à 5 000 dollars par an.»

Son histoire débute au Togo, le pays de sa mère. A l'âge de 3 ans, elle quitte l'Afrique pour s'installer en Savoie, la région de son père. Elle y découvre le ski de fond à l'école. «Dans ma classe, tout le monde en faisait, j'ai suivi le mouvement», raconte-t-elle. Douée, elle intègre une sélection régionale, puis bientôt l'équipe de France. La suite bifurque vers une trace moins rectiligne. Ecartée du collectif national chez les juniors, elle est contactée via Facebook par un représentant du comité olympique togolais. «Il m'a expliqué que je pourrais aller aux Jeux de Sotchi en 2014 si j'acceptais de skier pour le Togo.» Elle hésite. Puis elle se lance. «Depuis, je suis seule, reconnaît-elle. Mais je ne me plains pas. J'étais aux Jeux de Sotchi et aujourd'hui je suis à Pyeongchang.»

Elle s'entraîne neuf mois de l'année au Québec, dans un centre national canadien, où les techniciens préparent gracieusement ses skis. La Solidarité olympique, un fonds d'aide aux petits pays financé par le CIO, lui accorde une bourse annuelle de 20 000 à 25 000 dollars. Ses parents ont longtemps comblé les trous de son budget de fondeuse. «Cette année, j'ai un contrat de partenariat, le premier de ma vie, avec Procter & Gamble. Ils ont été séduits par mon histoire.»

Factures

 Mialitiana Clerc a elle aussi défilé en tête de sa délégation à la cérémonie d'ouverture : celle de Madagascar, dont elle est la seule athlète. La jeune skieuse a été invitée à tenir le drapeau, faute d'une autre option. «A 16 ans et 3 mois, elle est peut-être le plus jeune porte-drapeau de l'histoire des Jeux», s'emballe son père, assis à son côté, avec des airs de chaperon. Adoptée à l'âge de 1 an par un couple de Savoyards, Mialitiana Clerc a découvert le ski alpin sur les pentes de Haute-Savoie. Elle s'entraîne à Flaine ou aux Carroz, habite à La Roche-sur-Foron, possède une licence du ski club d'Annemasse. «L'an passé, on m'a proposé de rejoindre le groupe d'élite du comité de Haute-Savoie, dit-elle. Mais j'ai préféré rejoindre Madagascar, le pays de ma mère biologique.»

Aux Jeux de Pyeongchang, elle est suivie comme son ombre par un jeune homme habillé aux couleurs malgaches mais à l'accent suspect. Stéphane Razanakolona, malgache par son père, québécois par sa mère, se présente comme le fondateur, vice-président et homme à tout faire de la fédération de ski de Madagascar. Il en raconte les débuts, en 2004, pour concrétiser le rêve olympique de son frère aîné, Mathieu, premier skieur alpin de l'île à se qualifier pour les Jeux, ceux de Turin, en 2006. Il en explique la philosophie : «Se servir de Mialitiana Clerc, son image et ses performances, pour développer la pratique des sports d'hiver à Madagascar.»

Pas gagné. L'énergie ne manque pas, mais l'argent fait défaut. «Il n'est pas question de solliciter les autorités, dit-il. Notre pays a d'autres priorités que payer les dépenses d'une jeune skieuse. Nous voulons aider Madagascar, pas nous faire aider.» La jeune skieuse ne s'en cache pas : ses parents règlent le plus gros des factures. Une marque de skis l'équipe pour la saison, une société canadienne de matériel de yoga l'habille pour l'hiver. «Le budget monte à 40 000 euros par an», indique le père. Une forme d'investissement censée rapporter gros aux Jeux d'hiver de Pékin, en 2022.

A Pyeongchang, Mathilde-Amivi Petitjean a vu la porte de la finale du sprint en style classique se refermer devant elle. Puis elle a bouclé l'épreuve du 10 kilomètres libre en fin de classement, à la 83e place. Mialitiana Clerc, elle, a réalisé l'écart qui la séparait encore des meilleures avec sa 48e place en géant, à près de 19 secondes de l'Américaine Mikaela Shiffrin, et sa 47e place en slalom, à plus de 21 secondes de la Suédoise Frida Hansdotter. Un rêve olympique dont elles connaissent le coût.