L'attaque du Steaua Bucarest, en piste ce jeudi (19 heures) pour défendre le mince avantage (0-1) acquis lors des matchs allers des 16es de finale de Ligue Europa sur la pelouse de la Lazio Rome, sera menée par un drôle de bonhomme, le genre de joueur à la trajectoire toute en lignes brisées que l'on retrouve souvent à faire la pige en Europe orientale: le Franco-Ivoirien Harlem-Eddy Gnohéré, «le Bison» dans la vie de tous les jours. En référence à son physique, imposant. «Je l'ai intégré au même titre que mon prénom, raconte-t-il à Libération. Par souci de simplicité.»
17 buts en 31 matchs : Gnohéré est le meilleur buteur de son équipe et le 2e meilleur buteur du championnat roumain, le plus souvent dominé par la diaspora brésilienne, surtout sur les postes offensifs. Né à Paris, le Franco-Ivoirien grandit dans l'Essonne. Une jeunesse turbulente où le jeune homme, de son propre aveu très influençable, se laisse entraîner par les copains: «On avait un groupe d'amis, on aimait beaucoup la bagarre et je restais avec eux. Mais j'avais un père qui s'inquiétait pour moi et j'avais mal de le voir dans cet état.» Un paternel qui finit par l'envoyer à l'autre bout de la France, Eddy n'ayant alors que 12 ans. Luciano Carà, agent et ami du joueur: «Il l'a placé à l'AS Cannes pour qu'Harlem évolue dans un environnement autre que celui dans lequel il vivait…»
Bagarre
Harlem-Eddy Gnohéré s'épanouit en Provence et brille avec la sélection U13 de l'équipe de France, mais l'AS Cannes perd son statut professionnel en 2004. Le gamin est seul et sans club. Il en a cependant assez fait pour attirer la convoitise du Stade Malherbe de Caen, où il se lie d'amitié avec Parfait Mandanda, le frère du gardien international tricolore. Parfait raconte: «On avait 14-15 ans et on traînait entre footeux. Il faut bien admettre qu'on se la racontait pas mal… Un jour, alors qu'on rentrait du centre de formation, les mecs de la cité sont venus chercher misères à Harlem. Les caïds du quartier détestaient les footballeurs.»
Rendez-vous est pris pour une bagarre. Parfait Mandanda, toujours: «On est parti se battre accompagnés de tout le centre de formation. On descend, on se retourne: on n'était plus que huit… Ils étaient plus que nous. Donc, on esquive, on prend le bus et on retourne au stade. Mais le mec qui nous avait donné rendez-vous avait un sabre. Et il n'était pas seul. Au final, je ne sais pas comment, mais Harlem a été plus vif et a mis le gars KO en un seul coup de poing.»
Le club de Caen est prévenu. Harlem est viré. Un ami lui propose de poursuivre sa formation à Troyes: il y restera jusqu'à ses 18 ans, côtoyant un certain Blaise Matuidi. «Je fais une bonne première année mais j'ai rapidement senti que c'était bouché pour moi . A 18 ans, je pars en Suisse.» Loin des siens, dans un club de 4e division, le Stade Lausanne.
D'une paneka ratée au plus grand club roumain
Avant d'enchaîner dans des clubs helvétiques de troisième zone, voyant au fil des saisons l'âge avancer et ses perspectives se boucher. «A un moment, je me suis dit: ''bah, vas-y, je vais aller trouver un travail normal''.» Un ami lui propose via Facebook de rejoindre l'Excelsior de Virton, en 3e division belge: «Ils me proposent un contrat de 1 000 euros alors qu'en Suisse, je gagnais 1 800 euros sans les primes.» Le Franco-Ivoirien se lance quand même. Il faut sortir de l'ornière. Il a raison: il ne lui faudra pas six mois pour rejoindre l'élite et le Sporting Charleroi.
Où ça se passe bien : des buts et une rencontre avec son manager, Luciano Carà. Il commet cependant un péché mortel à l'échelle du foot: une panenka ratée sur un penalty, ce qui, à l'entendre, change le regard de ses coéquipiers et du staff. «Comme les entraîneurs ne me faisaient plus confiance, je me suis laissé aller. Dès la fin des entraînements, je rentrais chez moi. Et puis bon, le coach me saoulait.» Harlem Gnohéré est prêté. D'abord à Westerlo puis à Mouscron, sans retrouver son meilleur niveau. C'est aussi en Belgique qu'il rencontre sa femme et devient père de deux garçons, Kaaris (prénom choisi en hommage au rappeur) et Roméo. Il signe au RAEC Mons. Mais celui-ci fait faillite.
«Deux clubs en Roumanie m'ont fait une offre: le Petrolul Ploiesti et le Dinamo Bucarest. Je choisis le Petrolul mais deux mois après m'être engagé, je ne reçois toujours pas ma prime de signature et j'apprends que je n'ai toujours pas été enregistré à la fédération roumaine de football. Le président m'appelle et me lâche: "T'es trop gros. Soit tu t'assoies sur ta prime de signature, soit on ne t'inscrit pas."» Il rejoint alors le Dinamo: 17 buts sur une saison, c'est reparti pour «le Bison». Qui refuse de prolonger et glisse dans le meilleur club du pays, le Steaua, certes loin du niveau qui lui permit de remporter la Ligue des champions du temps du rideau de fer (en 1986) mais qui demeure un géant à l'échelle roumaine. A 30 ans, «Bison, le nomade» (dixit son agent) a réalisé son rêve: jouer la Coupe d'Europe, une récompense à la fois méritée et tardive. Au match aller contre la Lazio à Bucarest, c'est lui qui a inscrit le seul but du match. En face, il y avait pourtant Ciro Immobile, l'attaquant international italien.