Menu
Libération
Fanzines Zone

«La Grinta», tribune d'un foot populaire

Semi-pro ou amateur, un nombre conséquent de sites de qualité spécialisés dans le sport essaiment sur Internet. «Libé» arpente ce microcosme et raconte chaque semaine l'un de ses membres. Ce samedi, un média qui parle ultra et tactique, et sort un livre cette année, dont il nous livre les premiers éléments en exclusivité.
Des supporteurs du Corinthians de São Paulo lors de la finale de la Copa Libertadores, en 2012 à São Paulo. (Photo Yasuyoshi Chiba. AFP)
publié le 24 février 2018 à 10h12

Troisième épisode de Fanzines Zone qui arpente le microcosme des médias de qualité, semi-pros ou amateurs, spécialisés dans le sport, qui essaiment sur Internet.

Dimanche soir, le derby de Salvador, dans le Nord du Brésil, entre l'ES Vitoria et l'ES Bahia, s'achève comme rarement. Après une célébration provocatrice des visiteurs, une bagarre générale éclate. Les coups pleuvent, les cartons rouges aussi. Plusieurs dizaines de minutes plus tard, un cinquième joueur de Vitoria se fait exclure. Son club perd le match, faute de pouvoir aligner suffisamment d'athlètes sur la pelouse. Sur le terrain comme dans les tribunes, la rencontre est d'une tension incroyable pour cette rencontre du championnat de l'Etat de Bahia. Pour les personnes européanocentrées, l'affaire peut sembler étrange voire risible. Pour celui qui lit régulièrement la Grinta ou Lucarne opposée, un peu moins. Un article chez les premiers cités permettait le mois dernier de faire la connaissance de la Brigada Marighella, association de fans antifascistes de l'ES Vitoria. Et de saisir une partie de l'engouement qu'ont les locaux pour une équipe qui n'a pourtant remporté que peu de titres nationaux dans son histoire.

On découvre souvent le site de la Grinta par ses top tifos, où chaque semaine la rédaction propose son classement des meilleures animations dans les tribunes du monde entier. Tous les continents y sont représentés – l'Océanie pèche toutefois un peu – et la rubrique permet à chacun de se rendre compte de la vitalité du mouvement ultra ou, plus généralement, des tribunes populaires. «On écume le Net, on déniche des photos et on explique le sens des messages, décrit Adrien Verrecchia, 25 ans, fondateur du site. Beaucoup des membres de la Grinta ont des liens plus ou moins proches avec des groupes ultras. On met en avant le rôle social et syndical des groupes (collectes de jouets pour les enfants malades, lutte contre certains horaires de matchs, abonnements trop chers…). Mais vous ne verrez jamais défendre les débordements violents ou racistes.»

Malgré tout, et avec un tropisme sud-américain assumé, le site s'échine à parler tactique ou déployer des portraits de joueurs et coachs, toujours convaincants, histoire de montrer que la Grinta traite du football dans toutes ses composantes. «Pour contrebalancer notre image» de site qui traiterait uniquement des tribunes, précise Adrien Verrecchia. Qui poursuit : «L'affaire Calciopoli [qui a vu plusieurs clubs italiens être sanctionnés pour des affaires d'arbitrage en 2006, ndlr] a été un déclic. Seul Valentin Pauluzzi et quelques rédacteurs de Calciomio avaient fait leur boulot correctement selon moi. On a donc eu envie d'exprimer des points de vue qu'on ne voyait pas forcément dans les médias traditionnels.» Les Cahiers du foot ou So Foot se rapprochent le plus de ce que la Grinta souhaite faire.

La vingtaine de rédacteurs (journalistes, étudiants, cheminot…) plus ou moins réguliers s'attache du coup à parler du «football par le peuple pour le peuple», comme l'assène le slogan du site. Depuis sa création à l'automne 2010, le site a par ailleurs sorti plusieurs affaires (dont celle du reportage repoussé par Canal sur les ultras parisiens) ou mis en lumière des événements à l'étranger, qui avaient du mal à passer les portes de l'Hexagone.

2018 marque une nouvelle étape dans la vie de la Grinta. Ils ont annoncé la publication dans l'année d'un livre sur les tribunes françaises, leur ADN n'étant jamais loin. Pour Libération, ils en donnent en exclusivité le contenu, préfacé par le sociologue Nicolas Hourcade. Bastien Poupat, Benoît Taix et Adrien Verrecchia ont sillonné 20 villes dans le but de raconter une «histoire ultra», avec une grande place laissée aux témoignages des acteurs : amitiés et rivalités des groupes, mentalité, anecdotes… Si la répression ainsi que les poids lourds du mouvement sont traités (Marseille, Paris, Saint-Etienne…), d'autres villes comme Cannes, Mulhouse et Toulon ont aussi leur entrée. Après trois ans de rédaction, le livre doit sortir avant le début du mondial. En autoédition, pour éviter que la parole des ultras ne soit modifiée ou édulcorée après relecture d'un éditeur. «Ça colle avec le fait de faire un livre sur ce sujet», confie Adrien Verrecchia, qui s'inspire ainsi du slogan «Liberté pour les ultras». Et pour leurs médias.