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Arbitrage vidéo : les arbitres placés sous assistance

Alors que la décision d’introduire l’arbitrage vidéo à la Coupe du monde russe en juin pourrait être actée samedi, la nouvelle technologie pose question, dépossédant les hommes en noir de leurs prérogatives et altérant la nature du football.
La «main de Dieu» non sifflée de Maradona, à Mexico en 1986. (Photo Bob Thomas. Getty Images)
publié le 1er mars 2018 à 20h36

Samedi, à Zurich, l’International Football Association Board (Ifab) aura le pouvoir de changer le visage du football : il doit décider ou non de l’introduction d’une assistance vidéo lors de la prochaine Coupe du monde en Russie. Quatre voix pour la Fédération internationale de football (Fifa), une voix pour chacune des Fédérations pionnières dans la codification du football (Ecosse, Irlande du Nord, Angleterre et Pays de Galles) : il en faudra six pour faire basculer le jeu préféré des hommes dans une autre dimension à travers sa compétition phare, suivie par 2 milliards de personnes à travers le monde.

«Intervilles» et «Vidéo Gag»

Le sujet est on ne peut plus polémique. Depuis l'année dernière, l'assistance vidéo gagne petit à petit du terrain, d'un pays à l'autre, sans jamais faire l'unanimité. Elle prospère sur une idée simple, à la portée métaphysique : la fin des injustices, fussent-elles circonscrites au football. La France a son Séville 1982 (les Bleus se jugeant spoliés par l'arbitrage du Néerlandais Charles Corver, qu'ils recroiseront deux jours plus tard bras dessus, bras dessous avec les joueurs allemands dans un aéroport), la Belgique a son Kobé 2002 (le Jamaïcain Peter Prendergast s'excusant après avoir refusé un but valable face au Brésil)… chaque pays a son propre patrimoine doloriste, caressant en rêve l'idée d'une uchronie - ah, si seulement l'arbitre n'avait pas… - qui propage le potentiel de séduction de la VAR (pour video assistance referee, l'assistance vidéo à l'arbitrage) comme un feu de brousse dans la mémoire des fans.

A ce stade, elle a été testée dans les championnats d'élite italien, allemand, belge et même en Coupe des confédérations, où l'édition 2017 a tourné à un mélange d'Intervilles et de Vidéo Gag, avec de multiples changements de pieds aboutissant, semble-t-il, à accorder un but pourtant hors jeu après des arguties interminables. La Ligue pro française a validé l'idée de son adoption pour le championnat de Ligue 1 2018-2019… si le Board l'adopte. Celui-ci a même reçu l'appui scientifique de l'Université catholique de Louvain, qui a réalisé une étude démontrant que les décisions prises par l'arbitrage vidéo sur les «faits de match», c'est-à-dire les quatre cas (hors-jeu, but, penalty accordé ou carton rouge direct) rentrant dans le champ de la VAR, sont efficaces à… 98,9 %.

Pour autant, les antividéo ne sont pas à la veille de désarmer : deux camps se dégagent, deux politiques aussi et peut-être même deux visions du foot, même si les acteurs avancent sous le masque du doute et de l'examen scrupuleux des expériences en cours. Le président de la Fifa, Gianni Infantino, mène un combat acharné pour l'adoption du système. A l'inverse, le successeur de Michel Platini à la tête de l'Union européenne de football (UEFA), le Slovène Aleksander Ceferin, a mis ses pas dans ceux de son prédécesseur, et a d'ores et déjà annoncé que le système ne sera pas utilisé en Ligue des champions (la compétition ultime du foot-business) la saison prochaine, indépendamment de la décision du Board : «L'arbitre doit rester le juge, sinon c'est comme si c'était un robot qui prenait les décisions. […] Il y a encore beaucoup de confusion avec l'arbitrage vidéo. Je ne suis pas du tout contre, mais on doit mieux l'expliquer quand on l'utilise.»

«Les joueurs ne savent plus»

Le principal inconvénient, partagé par tous les pays qui utilisent la VAR, «c'est que l'on ne sait pas encore très bien quand l'arbitre assistant [chargé de la vidéo, dans un car-régie, ndlr] doit intervenir», avoue Lukas Brud, secrétaire général du Board. La doxa est la suivante : l'arbitre central peut solliciter ou non son assistant vidéo, c'est donc lui qui garde la main sur son utilisation. Dans les faits, celui-ci peut être tenté de se réassurer en faisant appel à celle-ci : l'idée d'une déresponsabilisation plane, préjudiciable quand on mesure la dimension humaine que doit désormais avoir un arbitre au très haut niveau. Par ailleurs, en novembre, la Fédération allemande licenciait le patron du centre de contrôle chargé de superviser la VAR, Hellmut Krug, accusé de favoritisme lors d'un Schalke 04-Wolfsbourg - l'assistant vidéo aurait pris des décisions erronées.

Krug conteste. Demeure l'idée que le système est manipulable. La plupart des joueurs sont plutôt favorables au système, du moins à ce stade. Mais en Italie, le milieu de la Juventus de Turin Sami Khedira, champion du monde avec l'Allemagne en 2014, a taxé le système de «catastrophe» : «Le foot, c'est l'émotion, l'erreur fait partie du jeu. Si on peut éviter les erreurs, OK, mais là, les arbitres n'ont plus l'air de savoir. Les joueurs ne savent plus s'ils doivent célébrer leurs buts ou non. Des arrêts de trois minutes pour décider : nous-mêmes joueurs, nous nous demandons en interne comment gérer ces situations. […] Ça tue le jeu.»

En France, l'entraîneur de l'Olympique de Marseille, Rudi Garcia, s'est fait le prosélyte de la VAR : «Cela réduira les injustices.» A l'inverse de son homologue lyonnais, Bruno Genesio : «Je n'avais pas d'idée préconçue. A l'usage, je me dis que cela risque d'amener plus de polémiques et cela enlève beaucoup de pouvoir à l'arbitre. Cela dénature un peu le match.»