C’est Paris-Nice qui commence, mais c’est déjà le Tour de France qui s’échafaude. Au départ de Chatou (Yvelines) ce dimanche et pendant les huit jours de traversée du couloir du Rhône, les équipes vont s’habituer à un déroulé supposément foufou, incontrôlable, riche en attaques et propices aux échappées. La nouvelle réglementation de l’Union cycliste internationale (UCI) impose depuis janvier d’enlever un homme par écurie sur les principales épreuves du calendrier, ce qui donne des effectifs à sept coureurs (au lieu de huit) sur la première grosse épreuve française de la saison et des groupes de huit (et non plus neuf) sur un grand tour tel que le Tour de France, en juillet. Est-ce l’abolition de fait du «rouleau compresseur» mis en place par le Team Sky en vue du classement général ou des écuries de sprinters qui écrabouillent implacablement les braves baroudeurs ?
«On verra davantage les échappées se disputer la victoire», prédit Alexandre Geniez (AG2R la Mondiale), un des Français les plus en vue ce début de saison. Le leader de Direct Energie sur Paris-Nice, Lilian Calmejane, va dans le même sens : «Le règlement va libérer la course, explique-t-il à Libération. Une équipe est obligée d'y réfléchir à deux fois avant de faire rouler tous ses hommes en tête de peloton, car avec une unité en moins, le passage de relais revient plus souvent. Le risque, c'est de piocher dans ses réserves plus rapidement et donc de compromettre sa récupération pour l'étape suivante. Je pense que les équipes contrôleront le peloton uniquement quand le jeu en vaudra la chandelle.»
Spectacle télévisé
Et sur le Tour de France, la course pour laquelle la nouvelle norme a été conçue ? «Ce sera un peu différent, anticipe Lilian Calmejane, qui y a remporté l'an passé une étape en solitaire, dans la station des Rousses (Jura). Les enjeux étant démultipliés, chacun ayant un intérêt [un classement annexe ou une place d'honneur à défendre ndlr], il y aura toujours une équipe pour essayer de verrouiller la course. Si Sky ne roule pas, c'est Movistar qui s'en chargera, ou bien une équipe de sprinter… Bref, la réduction des équipes n'aura pas les mêmes effets sur toutes les courses».
Les organisateurs de Paris-Nice (la société ASO, qui détient également le Tour de France) semblent ainsi avoir trouvé la bonne combinaison pour renforcer le suspense. Depuis cinq ans, ils s’échinent à corser les parcours (pavés ou routes non asphaltées, côtes placées dans le finale des étapes afin de piéger les sprinters…) ou à distribuer des bonifications en cours de route qui permettent de gagner du temps au classement général – une mesure restée sans succès, les principaux leaders continuant à se découvrir le plus tard possible dans la journée.
Electron libre
Appuyée par France Télévisions, le diffuseur de courses cyclistes soucieux de son audience, ASO plaide depuis 2010 pour la fin des oreillettes établissant un lien entre les coureurs et les directeurs sportifs qui suivent la course en voiture. Cette communication permanente est soupçonnée de couper les ailes aux coureurs désireux de s’échapper du peloton, puisque ceux-ci sont souvent priés de rester au côté de leur leader. Mais la requête d’ASO n’a pas abouti et le canal radio reste ouvert sur les épreuves de première division mondiale.
L'allégement des équipes ressemble à une mesure de la dernière chance pour sauver le spectacle des courses – télévisé s'entend. A en croire les coureurs interrogés par Libération, le coup a cette fois des chances de fonctionner. Avec peut-être des conséquences dans la gestion des ressources humaines : «Une équipe ne pourra pas à la fois engager un grand grimpeur et un grand sprinter sur une même épreuve, estime Geniez. Chaque leader a besoin d'au minimum trois équipiers qui travaillent exclusivement pour lui. Si on décide de construire une équipe autour d'un grimpeur et qu'on veut aussi aligner un sprinter, on demandera à ce dernier de se débrouiller tout seul dans le finale. Et vice versa pour un grimpeur si l'équipe choisit de miser en priorité sur son sprinter.» Exemple sur Paris-Nice : la FDJ-Groupama a inscrit cinq coéquipiers pour lancer son sprinter Arnaud Démare, la septième place revenant à Rudy Molard, grimpeur en électron libre.
Effets pervers
Comme tout changement de norme a ses effets pervers, les équipes en ont profité pour tailler dans les effectifs. Le peloton du WorldTour (première division mondiale) compte 13 coureurs de moins que l'an passé, soit une demi-équipe. C'est la fin des embauches massives opérées depuis cinq ans par les 18 groupes sportifs évoluant au plus haut niveau. Ceux-ci devaient à la fois satisfaire la multiplication des épreuves au calendrier et les recommandations de l'UCI de plafonner le nombre de jours de compétition par coureur – afin de réduire les risques de dopage. Les employeurs, qui avaient recruté jusqu'à 30 cyclistes (le plafond autorisé), ont désormais fermé les vannes. Ainsi de Sunweb (l'équipe du Néerlandais Tom Dumoulin), passée cet hiver de 25 à 23 salariés, ou de BMC (la formation de l'Australien Richie Porte), qui chute de 28 à 24 coureurs. Dans le peloton 2018, seuls le Team Sky et Astana ont pris l'option contraire de renforcer leurs troupes. Comme le résume Alexandre Geniez, «ce qui est bon pour le spectacle l'est un peu moins pour l'emploi».