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Portrait

Adil Rami, alerte à Marseille

Epanoui, clair et sans filtre, le défenseur des Bleus et compagnon de Pamela Anderson réalise une belle saison à l’OM après un parcours cabossé.
Adil Rami. (Photo France Keyser. Myop pour Libération)
publié le 7 mars 2018 à 17h06

Adil Rami est entré dans la carrière comme par effraction. Quand d'autres apprentis empilaient les sélections de jeunes et débutent en pro à l'adolescence, le futur Marseillais, défenseur des Bleus et compagnon d'une star de Malibu, a œuvré à la ville de Fréjus (Var) comme mécanicien ou nettoyeur de graffitis. «A la fin de la troisième, chez le conseiller d'orientation, ma mère m'a demandé ce que je voulais faire comme vrai métier, à part du foot. En sortant du bureau, j'ai compris que je ne serais jamais pro. Personne ne voulait m'écouter, pas même ma mère.»

A 18 ans, sans prévenir personne, il va pourtant faire un essai à Nice. Au bout de quelques jours, le responsable du recrutement azuréen le réveille à l'aube et lui demande de «dégager». «Le club de Fréjus avait appelé les Niçois pour leur dire : "Ce gars, c'est un mec de quartier, il n'ira pas loin, c'est un voyou."» Sur le chemin du retour, dans sa Golf, Rami envisage ce qu'il considère comme le pire : «Mon job à la mairie, une famille, point barre.» La chance tourne l'année suivante. Finalement, Lille accepte de l'enrôler, avec un CDD dérisoire d'un an, afin d'encadrer les jeunes prodiges nordistes en réserve. «Je voulais partir, réussir. Je n'avais peur de rien, sauf de devoir rentrer chez moi», étaye-t-il. Il proroge le bail, gagne ses premiers titres, sa place en sélection, avant de s'exiler en Espagne et en Italie. «Rien ne lui a été donné. A la base, c'est un joueur qui vient de nulle part», se souvient Claude Puel, l'entraîneur qui l'a lancé en pro.

Le «nulle part» en question s'appelle en réalité l'Agachon, un quartier de Fréjus où ses parents, nés tous les deux au Maroc, arrivent à l'été 1990 en provenance de Corse. Hafida (l'aînée qui deviendra son agent) et Sonia (la plus jeune, assistante de direction à la mairie de Fréjus) ont la tête aux études. Adil, lui, ne pense qu'à jouer en bas de chez lui. «Il ne tenait pas en place, fallait toujours l'occuper. Il était limite hyperactif», assure Hafida. Souvent, son père, carreleur à l'époque, le ramène à la maison. Ou il envoie Samir, le cadet de la fratrie, ingénieur du son, le chercher. Puis l'équilibre familial vole en éclats quand le paternel largue les amarres, sans plus donner de nouvelles. Adil a 13 ans et Rahmouna doit subvenir aux besoins de ses quatre enfants. Elle sera employée à la ville. «Ma mère est extraordinaire. Aujourd'hui, elle me remercie alors que sans elle, je ne serais pas là.» Il s'arrête, lâche quelques larmes. «Elle est folle de penser ça…» se reprend-il, en souriant. Séparé de son ex, il monte dès qu'il le peut à Paris voir ses jumeaux, âgés de 18 mois. «C'est la vie qui veut ça, mais jamais je ne pourrai laisser mes enfants. Avec le recul, je me rends compte du mal que mon père nous a fait.» Ils ne l'ont revu qu'une fois. Apprenant qu'il avait des soucis de santé, la famille fait le nécessaire pour le faire venir avec un vol privé depuis le Maroc jusqu'à un hôpital toulousain. «C'est triste à dire mais après, plus de nouvelles», raconte Adil. «On est passés par des moments difficiles. On a perdu le contact, quelque chose s'est cassé», poursuit Hafida, lapidaire. Depuis ses 13 ans, Adil Rami n'est jamais retourné dans le pays de ses parents, en dépit des appels du pied de la sélection. «J'ai grandi avec France 98, mais je me sens aussi marocain. Je ne peux pas choisir, beaucoup ne comprennent pas.»

A l'Agachon, la vie continue, entre parties de campagne et deals alentour. «Cela m'a traversé la tête de savoir comment on coupait un savon de shit. J'ai gambergé mais, heureusement, les grands nous tenaient à distance. Un jour que j'allais bosser au marché à 5 heures du mat, l'un d'eux m'a pris la tête : "N'arrête pas le foot, respecte ta famille, ne fais jamais comme nous." Je lui en reparle chaque fois que je le vois.»

Rami s'y tient, en partie grâce au lien tissé avec Elie Brun, l'ancien maire de droite de la cité varoise, qui l'a embauché. Son seul rapport tangible avec la politique. A Séville, où il évoluait l'an dernier, il ne se rappelle pas s'il a fait son devoir électoral. «Peut-être une fois. Quand je vote, c'est pour éviter le chaos. Après, quand j'écoute en profondeur, je me perds.»

Adil Rami arrive dans le bureau de presse de la Commanderie, le centre d'entraînement de l'Olympique de Marseille, toujours en course en Ligue Europa ce jeudi soir contre Bilbao. Il est en retard et s'excuse immédiatement. Athlétique, belle gueule, diamant aux oreilles, chevelure noir de jais et Rolex au bras, impeccablement ordonné. La semaine précédente, l'Equipe a estimé son salaire à 130 000 euros mensuels, net d'impôts. Il discourt deux heures durant, une rareté, sans esquiver les questions. Parfois, on le croirait sorti d'une émission de télé-réalité, sincère et terriblement attachant quand il évoque sa passion pour les dessins animés Disney qu'il regarde avant de s'endormir ou ses potes de l'Agachon avec qui il part en vacances. «Il est agréable à vivre, généreux et n'a peur de rien, promet Rudi Garcia, le coach de l'OM connu à Lille. Il crée du lien dans un vestiaire, a de l'impact sur les autres. Adil s'est peut-être trouvé sur le tard en jouant à l'étranger, en devenant papa. En même temps, il nous sort parfois des expressions de cour de récré, genre "bon, ce soir, on va tirer les oreilles des méchants".»

Après son départ de Lille, ce Candide aux grands pieds aura connu une carrière en pointillé, faite d'éclipses et de fulgurances. Mis à l'écart à Valence après des déclarations contre son entraîneur, il rebondit au Milan de Berlusconi. En Italie, il apprend l'élégance. «Avant, je pensais être bien habillé, mais j'étais dégueulasse. Je voyais Nigel de Jong toujours hypersapé et je notais sur mon téléphone toutes les marques de ses fringues.» De nouveau en disgrâce en Lombardie, à cause des préférences italo-italiennes du nouveau coach, Filippo Inzaghi, il retourne en Espagne, à Séville, avec qui il gagne l'Europa League et retrouve les Bleus. «Longtemps, j'ai voulu me montrer, faire des couvertures. J'avais peur de retomber, j'étais comme un enfant dans un magasin de bonbons. Je voulais tout prendre et vite. J'avais inconsciemment la crainte de ne pas aller plus haut, mon impatience m'a porté préjudice», analyse-t-il.

L'autodidacte polyglotte s'envisage bien acteur ou entraîneur après sa carrière. Son appétit semble sans limite, comme ses contradictions. Il glisse «croire énormément en Dieu mais ne pas pratiquer». Il prétendait il y a deux ans dans So Foot «préférer les brunes, les blondes, ça fait trop bimbo» et il vit désormais avec Pamela Anderson, près de la corniche Kennedy. Il est plus de 20 h 30 quand Adil tente de la joindre après l'interview. «Madame ne répond plus, elle va me défoncer. Dans la merde, mon frère.» Un FaceTime plus tard, tout s'arrange.

27 décembre 1985  Naissance à Bastia. 29 mai 2011 Doublé coupe-championnat avec Lille. Juin 2016 Finaliste à l'Euro avec les Bleus. 8 septembre 2016  Naissance de ses jumeaux. 8 mars 2018 Marseille-Bilbao, en Ligue Europa.