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Rugby

Crunch : la France se libère du joug anglais

Les Bleus ont battu le XV de la Rose samedi au Stade de France au terme d'un match haletant.
Le flanker Yacouba Camara, très bon samedi, fixe deux joueurs anglais lors de la victoire du XV tricolore au Stade de France. (Photo Christophe Simon. AFP)
publié le 11 mars 2018 à 13h43

Il est des petits plaisirs qu’il faut savoir prendre au vol. Juste après le coup de sifflet final du succès tricolore de samedi (22-16) face à l’Angleterre, le talonneur et capitaine des Bleus, Guilhem Guirado, a abandonné un instant ses partenaires pour aller serrer, seul, la paluche de tous ses adversaires encore sous le choc. La France aura beau ne pas remporter l’édition 2018 du Tournoi des six nations – il est pour l’Irlande après son quatrième succès de rang face à l’Ecosse (28-8) samedi à Dublin – elle a décroché samedi un sacré lot de consolation en arrachant un match qui, à défaut de fournir des gages de stabilité, entretient l’espoir de lendemains qui chantent. Enfin ! Le coup de Trafalgar a menacé, Owen Farrell et consorts ont échoué lors d’une ultime action au pied des poteaux tricolores, mais c’est passé.

Perdants chroniques

Deuxième victoire de rang après le succès face à l'Italie, à Marseille, pour une équipe qui restait sur une disette de onze mois sans victoire, avec une Angleterre deuxième nation mondiale au tableau de chasse : ils prennent, et plutôt deux fois qu'une. L'ouvreur François Trinh-Duc : «Cela fait un long moment que l'on mange notre pain noir, mais on a quand même su construire des choses. J'espère que l'on va pouvoir aller de l'avant. Les experts ne nous donnaient pas vainqueurs, donc c'est un exploit. On a réussi à faire déjouer les Anglais. Certes, tout n'a pas été parfait, nous en sommes conscients, mais il y a quand même des satisfactions. Comme en défense, où on a été énorme.»

Si quelques secteurs, comme la touche (cinq ballons égarés sur leurs propres lancers), ont bégayé, le XV de France a su se raccrocher aux branches d’une solidarité opiniâtre qui a payé. Un état d’esprit qui met en lumière le travail du sélectionneur, Jacques Brunel, héritant d’un groupe en capilotade après le fiasco de ses deux prédécesseurs, Philippe Saint-André et Guy Novès, contraint de former un groupe avec des perdants chroniques et par-dessus le marché amputé de huit joueurs sanctionnés pour avoir fait la bringue (et possiblement pas que : une plainte pour agression sexuelle ayant été déposée puis retirée) après la défaite d’Edimbourg. Saquer un joueur comme l’ailier Teddy Thomas, auteur de tous les essais français lors des deux premiers matchs du Tournoi, n’allait pas de soi. Ecarter une valeur montante comme l’ouvreur toulonnais Anthony Belleau non plus. Et maintenir la sanction avant un match aussi prestigieux et lourd de sens que la réception de l’Angleterre encore moins.

«En marge»

A l'heure du débriefing, Brunel a gardé la tête froide, déplorant comme toujours «le manque de lucidité» qui empêche de traduire la domination des avants tricolores par des points mais saluant la performance des joueurs, sans pour autant donner dans l'effusion : «l'engagement physique», «la qualité de la défense», un secteur qui a rarement explosé, y compris lors des heures sombres, il est vrai. «La France est passée par des moments difficiles, a-t-il ajouté, mais je suis persuadé que nous pouvons être très près des meilleurs.» Guirado, son capitaine : «Je n'ai pas trop savouré. Je suis un éternel insatisfait, vous me connaissez. Vous vous doutez bien que je ne suis pas content de la conquête [regroupant certaines phases de jeu statiques, dont la touche, ndlr]. Mais par rapport à l'état d'esprit, à tout ce que les joueurs ont donné pour le collectif, il n'y a rien à dire.» Puis : «Vendredi, avant le match, j'avais dit aux joueurs : "bien sûr, on ne pourra pas revenir sur les matchs perdus mais je vous promets que si on bat l'Angleterre, ça nous permettra de basculer du bon côté." Ce match était en marge de tous les autres. On n'oubliera pas les matchs que l'on a perdus, mais on se souviendra surtout de celui-là. Même si on a dégringolé au classement mondial [les Bleus sont dixièmes], les équipes sont très proches. Sans un coup du sort [le drop de l'Irlandais Jonathan Sexton donnant la victoire à sa sélection contre les Bleus en ouverture du Tournoi], on serait peut-être à trois victoires…»

A l'évidence plus mortifié qu'il ne voulait le laisser paraître, le sélectionneur anglais, Eddie Jones, a quant à lui insisté sur «l'interprétation défavorable à l'Angleterre» de l'arbitre dans les zones de rucks, ces passages au sol du porteur de ballon quand il est plaqué par un adversaire. Tout en pointant la responsabilité de ses hommes : «Depuis un an, le jeu évolue et il y a deux façons possibles de les interpréter. On s'est adapté en fin de match. Trop tard…» Jones n'aura pas le moindre mot élogieux pour son adversaire. Son équipe ne peut désormais plus exercer un pouvoir de nuisance qu'en privant samedi l'Irlande d'un Grand Chelem.