En 1532, Nicolas Machiavel énumérait les qualités de l'homme d'Etat idéal dans son livre le Prince. Mi-Homme, mi-centaure, il devait se montrer rusé comme un renard, fort comme un lion. Si on adapte cette théorie à la société du football, Antonio Conte, celui de Chelsea, est le plus machiavélien des entraîneurs. Il est même adoubé par Pep Guardiola, l'entraîneur de Manchester City et père fondateur de l'idée du «bien» en football, qui reconnaît : «Antonio Conte est sans aucun doute l'un des meilleurs, peut-être le meilleur, du monde […]. Que ce soit Sienne, la Juventus, l'Italie ou Chelsea, on voit sa marque dans ses équipes.»
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Pour Antonio Conte, dont l'équipe se rend mercredi à Barcelone en huitième de finale retour de la Ligue des champions (1-1 à l'aller), la fin justifie les moyens. Il manie ses hommes avec volupté, façonne son équipe à son image. Ses joueurs-disciples deviennent les parfaits reflets de sa méthodologie. Il est l'incarnation parfaite de l'homme de pouvoir. Sans filtre, le tacticien teste la résistance de son groupe jusqu'à la rupture et redéfinit les particularités de chaque joueur pour obtenir une entité homogène mais polyvalente. Les joueurs deviennent caméléons, comme Gaël Genevier, qui l'a connu à Sienne durant la saison 2010-2011 : «Quand on voit tout ce qu'il fait pour nous, on a envie de lui rendre. Et quand un entraîneur est satisfait, ça devient plus qu'un entraîneur. C'est presque un autre coéquipier, avec lequel on partage plein de choses.»
Péché d’orgueil
Après avoir obtenu l'adhésion de son groupe, une forme de transcendance s'opère chez ses disciples, qui se muent en soldats et acceptent de facto l'intransigeance du personnage, l'extrémisme de sa méthode. «Si tu prends du poids, c'est une amende. Si tu ne fais pas les exercices comme il le veut, il se met à côté et reste pour surveiller. S'il faut faire une série de [sprint sur] 50 mètres en 10 secondes et que tu les fais en 11, tu te fais détruire…» se souvient Genevier.
Tous les grands leaders sont trahis par leur égocentrisme. L'entraîneur italien n'échappe pas à la règle. Qui plus est, il excelle dans les contextes infernaux. Lorsqu'il est en proie aux flammes, il aiguise son discours, tranche sans souci du consensus et fait régner l'ordre, parfois la terreur : «Il y a une bête en lui», expliquait autrefois Andrea Pirlo, champion du monde 2006 et ancien élève du technicien italien à la Juventus.
Mais quand le ressort casse, l’intuition, l’énergie, le courage, la confiance en soi et l’enthousiasme sont assombris par le péché d’orgueil, voire une autorité mal placée, parfois de la vanité. Lorsqu’il entraînait la Juventus de Turin et qu’il était mis en difficulté, Antonio Conte s’est parfois montré odieux. Incapable de justifier les contre-performances de la Vieille Dame en Ligue des champions, l’entraîneur italien a constamment préféré lancer des piques à l’institution turinoise plutôt que de remettre son travail en question.
Fin frustrante
Durant la saison 2012-2013, il se pose en victime après l'élimination de son équipe face au Bayern Munich et juge impossible de «construire un gratte-ciel avec un seau et une pelle». Un an plus tard, il enfonce le clou après avoir appris que la Juve doit affronter le Real Madrid en phase de poules : «Ça ne sert à rien de tourner autour du pot, c'est un char blindé et nous sommes une voiture.» Mais la déclaration qui sonne le glas de son aventure à Turin, il la prononce à la fin de la saison 2013-2014. Impatient devant l'inactivité de ses dirigeants sur le marché des transferts, il lâche : «Vous ne pouvez pas manger dans un restaurant à 100 euros avec un billet de 10 euros…» Quelques semaines plus tard, il est démis de ses fonctions.
Car derrière l’homme au cœur noble se cache un calculateur (on se souvient d’ailleurs de son implication dans le scandale des matchs truqués du «Calcioscommesse», qui lui avait valu une suspension de quatre mois…). Bilan de sa carrière : des premières années prometteuses et passionnantes mais une fin frustrante. Partout où il a entraîné, Conte a laissé un goût amer et une impression de vide… Un prince sans majesté.