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Libération
Portrait

Claude Puel, au but du compte

Droit et obsédé par le foot, l’entraîneur français a su se faire une place en Premier League anglaise.
(Photo Raphaël Neal pour Libération)
publié le 18 mars 2018 à 17h16
(mis à jour le 18 mars 2018 à 17h45)

«Un portrait ? Je ne suis pas assez intéressant pour ça !» Au téléphone, Claude Puel, l'entraîneur de Leicester, ne minaude pas. «Si je fais ce métier, c'est pour être considéré. Je ne me fabrique pas un personnage pour attirer les caméras. Dans ce job, on est en première ligne, on prend des coups, c'est usant», poursuit l'ancien cornac de Nice. En ce jeudi d'hiver, il répond à une dizaine de journalistes anglais venus l'interroger pour la conférence de presse de fin de semaine. Homme tronc sur estrade en hauteur : costume noir et chemise blanche, jean foncé et baskets noirs.

Dans les entrailles du King Power Stadium, il ouvre ensuite la marche jusqu'à son «bureau». Une sorte de living à néons avec écran plat et bar copieux, destiné à recevoir des collaborateurs et le coach adverse à l'occasion du pot d'après-match, un rite séculaire outre-Manche. «Cela se perd un peu, on est tous pressés», dit-il.

Depuis juin 2016 et sa signature à Southampton, le Tarnais évolue en Premier League, le championnat le plus populaire du monde, à défaut d’être le meilleur, un privilège dévolu à l’Espagne. Les démiurges du jeu y travaillent (presque) tous. Les Conte, Mourinho, Klopp, Wenger, Guardiola reçoivent des émoluments à la hauteur de leur ego boursouflé. Celui de Puel est estimé à 2,8 millions d’euros par saison quand les deux entraîneurs de Manchester, Mourinho à United et Guardiola à City, émargeraient au-dessus de 15 millions d’euros.

Depuis sa naissance à Castres, l'existence de Puel repose sur une suite de malentendus. Footballeur grandi sur une terre de rugby, sa mère, fonctionnaire, préfère qu'il tâte de la balle ronde plutôt que de s'échiner à apprivoiser les caprices de l'ovale, le sport de son père, ouvrier. «Par peur des blessures», un comble pour celui qui va incarner l'esprit guerrier à Monaco, où il signe à l'adolescence en 1977. Il débute en pro deux ans plus tard. Au paradis bleu, il n'est qu'un «porteur d'eau» au milieu des étoiles, mais il ne désarme jamais. Chaque année, à l'arrivée des nouvelles recrues, on lui promet un temps de jeu réduit mais il finit toujours par se faire une place. «Quand Arsène [Wenger] était là [1987-1994], il lui disait chaque été : "Accroche-toi, je ne te garantis rien et après on voit." Claude lui répondait : "Ne vous inquiétez pas, vous allez être obligés de m'aligner"», rapporte Jean Petit, son ancien coéquipier puis adjoint. «J'ai tout eu dans la difficulté. J'ai besoin de défis plus gros que moi pour avancer. Vivre avec ses qualités, ses limites, selon son tempérament, c'est le meilleur moyen de rester soi-même», théorise Puel. A l'été 1996, la direction du club de la principauté refuse de prolonger son contrat. Il restera bloqué à 488 matchs de L1, il voulait arriver à 500, son graal à lui qui n'a pas connu l'équipe de France. «Une blessure», admet-il.

Le sportif bascule vite dans sa deuxième carrière. Il commence par la formation des jeunes, avant de devenir l'adjoint de Jean Tigana, avec lequel il partage le goût de transmettre, une appétence pour la compétition surhumaine et un fort caractère, à fleur de peau. «A mes débuts à Lille, il n'arrêtait pas de me répéter : "Tant que la balle n'a pas franchi la ligne, tu cours", se rappelle Adil Rami, le joueur de l'OM. Lors d'un match contre Valenciennes, j'ai sauvé un but tout fait de cette façon, et le lendemain, il est venu me dire : "Tu vas t'en souvenir toute ta vie."»

A Monaco (2000-2001) et plus encore à Lille (2002-2008), à Lyon (2008-2011) et à Nice (2012-2016), Puel aura laissé des souvenirs contrastés, empreints d'incompréhensions et de méprises, souvent injustes. Sa fille Charlène (financière chez Procter & Gamble) et ses deux garçons (Grégoire, pro à Ajaccio, et Paulin, formé à Nice, requalifié amateur à Monaco) l'ont souvent mal vécu. A Lyon, en 2010, une cinquantaine de banderoles sont posées par des supporteurs dans une cinquantaine d'endroits stratégiques de la ville, qui réclament sa démission. A la fin de sa mandature en mai 2011, des tags près de l'appartement familial sur les pentes de la Croix-Rousse le menacent directement. Lui n'évoque jamais «les dysfonctionnements du club ni la fin de cycle d'une équipe vieillissante». Pour ne pas honorer sa dernière année de contrat, le club rhodanien le licencie pour «faute grave» : ne pas avoir répondu à un mail de la direction. Le conseil de prud'hommes donne raison à l'OL, une première en France. «Une jurisprudence qu'on n'a pas revue depuis», dit-il en souriant, alors qu'il a laissé plusieurs millions d'euros dans l'affaire. «Il ne regarde pas derrière, seul l'instant présent et le futur l'intéressent», promet Frédéric Paquet, l'ex-DG de Lille.

A Nice, en 2014, les fans s'en prennent à son fils Grégoire, suspecté de ne pas avoir le niveau. Quand on lui demande ce qu'un homme comme lui, à la rectitude janséniste, choisit entre la justice et les siens, selon le mot de Camus, il s'agace un peu : «J'ai lancé 23 jeunes à Nice et tous méritaient leur place, mon fils inclus. Je ne choisis pas entre la justice et mon fils puisqu'il avait gagné sa place.» Comme tous les entraîneurs de haut niveau, Puel est consumé par son boulot, qui est aussi sa passion monomaniaque. «C'est un homme droit, fidèle, qui dit toujours ce qu'il pense. Il est hanté par son métier mais il est ouvert sur le monde», contredit Paquet. «C'est un métier violent, on nous monte, on nous descend. Ça demande un socle familial solide, une épouse compréhensive», abonde Puel.

Chaque Noël, la famille avait pour habitude de se retrouver à Beausoleil (Alpes-Maritimes). Depuis deux hivers, ils se retrouvent en Angleterre, vu qu'on y joue pendant les fêtes. Peut-être qu'on y cause de la nouvelle donne politique au pays. «Macron a une approche, une vision pour la France, pour l'Europe. Après, on verra, c'est l'inconnu, on jugera sur pièces. En attendant, on reparle de la France», juge-t-il, sans dire s'il a voté pour lui. Sur la religion, il est aussi elliptique mais un peu plus précis. «Tout le monde croit à des valeurs, les défend. Le problème, c'est ce qu'on fait en leur nom. Je n'ai pas de réponse.»

Claude Puel a rebondi en octobre à Leicester, où les Foxes sont passés de la queue du classement à une très honorable huitième place, derrière les gros. Ce week-end, Leicester affrontait Chelsea en quart de finale de la Cup.

A Leicester, comme partout, le Castrais mène les footings et participe aux petits matchs à l'entraînement. «Je reste un gamin, je veux jouer. J'ai besoin de la compétition ; sans elle, je m'endors», se défend-il. Une façon de rester fidèle à son enfance où il se rêvait en prof de sport : «Je ne me voyais pas un instant derrière un bureau.»

2 septembre 1961 Naissance à Castres (Tarn).
25 mai 1979 Premier match en professionnel à Monaco.
12 janvier 1999 Nommé coach principal de l'AS Monaco.
25 octobre 2017 Devient l'entraîneur de Leicester City.