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Libération
Face à face

Rudi Garcia-Bruno Genesio: l'effronté contre l'effacé

L'OM reçoit l'OL ce dimanche soir: une rencontre décisive pour les deux clubs et l'affrontement de deux entraîneurs que tout oppose.
Bruno Genesio et Rudi Garcia, entraîneurs de l'OL ET l'OM. (Photos AFP)
publié le 18 mars 2018 à 12h54

Rudi Garcia et Bruno Genesio représentent deux écoles, deux personnalités, deux perceptions du football, deux rapports à leur hiérarchie aussi… Quand Garcia optimise à Marseille ses propres qualités, Genesio préfère se ranger derrière l’Olympique lyonnais, une institution qu’il n’a jamais lâchée. Décryptage avant un duel décisif pour l’avenir des deux Olympiques cette saison en Ligue 1, ce soir au Vélodrome.

La personnalité

Depuis ses débuts au Mans, Rudi Garcia a toujours progressé. Structuré, il a construit une trajectoire linéaire vers le succès. De ses débuts de footballeurs à l'AS Corbeil-Essonnes (Essonne) jusqu'à son poste à Marseille en passant par l'AS Roma, le natif de Nemours (Seine-et-Marne) s'est toujours façonné l'image d'un leader autoritaire avec qui on aime échanger. Partout où il passe, Garcia a su imposer le respect à ses joueurs. Au Losc, il invente un comité des sages pour solidifier ses liens avec l'effectif et utilise ce groupuscule (composé notamment de Florent Balmont et Rio Mavuba) comme outil de propagande. Choisis délibérément, ces joueurs deviennent les relais de son discours sur et en dehors du terrain, souligne Jean-Michel Vandamme, directeur général adjoint du LOSC à l'époque: «Si un joueur avait un contre-argument valable, il discutait avec lui et prenait le temps de lui répondre. Si les joueurs n'étaient pas d'accord et arrivaient à trouver les bons arguments pour le convaincre qu'il avait tort, alors il se remettait en question.»

Sûr de lui, le champion de France 2011 (avec le Losc) s'obsède aussi à tout vouloir contrôler, au point même d'anticiper les scénarios de matchs: «Dans le vestiaire, il faisait son discours… blablabla… et puis il disait "Quand on gagnera 1-0, on sera plus prudent", comme si c'était une évidence qu'on allait gagner 1-0… (rires)», se souvient Jean-Michel Vandamme. L'image qu'il renvoie à la presse, la réputation de ses joueurs, le marché des transferts, sa relation (parfois tendue) avec ses supérieurs… Rudi Garcia passe tout au peigne fin: «Au Losc, il avait une grosse mainmise sur la gestion du recrutement. Là-dessus, vous pouvez être sûr qu'il sera très pointilleux et qu'il va se battre comme un lion pour obtenir ce qu'il veut…», argue l'actuel directeur du centre de formation de Lille.

Bruno Genesio possède l'image inverse. Plus lisse et conciliant, l'entraîneur lyonnais s'est toujours montré fidèle à la cellule de recrutement et ses choix sur le mercato. Né dans le VIIarrondissement lyonnais, Genesio fût biberonné à la culture OL: «En fait, je dirais qu'il a appris son métier au fil des années passées à Lyon», nous explique Gérard Houllier, entraîneur de l'OL de 2005 à 2007, avec qui Genesio débute dans le métier: «C'est quelqu'un de fin et beaucoup plus intelligent qu'on ne le croit…» Lorsqu'il devient entraîneur principal du club, le technicien français comprend qu'il franchit l'ultime échelon d'une carrière essentiellement vécue chez les Gones: «Il s'est très vite fait respecter. Je dirais que le premier impact qu'il a dans le vestiaire, c'est sa crédibilité», confirme Houllier. Au contraire de Garcia, le coach français préfère l'ombre aux spotlights, se complaisant dans un rôle de second, comme il l'expliquait à SFR Sport dans l'émission Transversales: «Etre coach, cela n'a jamais été un plan de carrière.»

La philosophie du football

Rudi Garcia opère les mains libres, il développe sa méthode et transmet son psychisme à son groupe. Généreux, l'entraîneur de l'OM s'accroche à un idéal de perfection et motive son groupe en vue d'un objectif à atteindre. «A Lille, sa philosophie de jeu était très offensive. Les ailiers jouaient très haut, un numéro 6 en sentinelle. On se retrouvait parfois dans une situation où c'est l'arrière droit qui centrait pour l'arrière gauche, qui se retrouvait dans la surface de réparation adverse et pouvait reprendre le ballon de volée…» explique Jean-Michel Vandamme.

Même s'il se laisse parfois submerger par l'émotion, Rudi Garcia connaît ses limites. Intuitif, le coach des Phocéens reste équilibré et se dévoue pour son groupe, quitte à paraître parfois tyrannique. Dans un souci d'équité ou de justice, il monte au créneau pour protéger ses poulains, tel Florian Thauvin, souvent victime de tacles assassins: «Cela fait deux matchs qu'il se fait massacrer ou matraquer. Si on veut continuer à avoir du spectacle, il vaut mieux que les artistes soient sur la pelouse plutôt qu'à l'infirmerie.»

Mais Garcia n'a pas toujours fait l'unanimité dans les vestiaires où il est passé. Malgré le respect voire l'admiration qu'il suscite chez ses joueurs, l'entraîneur s'est souvent pris le chou avec les cadres de l'AS Roma, que ce soit la légende Francesco Totti ou le champion du monde 2006, Daniele De Rossi: des personnalités aux tempéraments volcaniques. Jean Michel Vandamme, qui a aussi connu Garcia joueur en centre de formation, poursuit: «Il a pris plus d'expérience quand il est passé à la Roma en côtoyant des Francesco Totti ou des Daniele De Rossi, que ce soit sur le plan tactique ou même sur le plan humain. Quand tu dois gérer de telles légendes, forcément tu fais la différence…»

Si Bruno Genesio se fait appeler «Pep», cela n'a rien d'un hasard. Inspiré par le jeu à la catalane de Pep Guardiola – «Tout part de derrière, on construit le jeu à partir de la défense», confirme Gérard Houllier – le technicien lyonnais n'a jamais caché son amour pour l'entraîneur de Manchester City: «Ce que j'aime chez lui, c'est qu'il arrive à inventer des choses pour être efficace. C'est un entraîneur qui arrive à adapter des joueurs à certains postes sur le terrain.» Genesio avoue aussi vouloir chiper au tacticien catalan «son esprit de jeu, cette envie d'aller au bout de ses idées et la confiance qu'il donne à ses joueurs». Haranguer ses hommes pour qu'ils donnent le meilleur d'eux-mêmes, comme avec Nabil Fékir: «Il y a eu une prise de conscience chez lui. Ce mea-culpa [référence à un désaccord tactique qui les a opposés, ndlr] m'a beaucoup aidé dans ma relation avec lui, et il nous a fait avancer. C'est moi qui ai décidé de lui donner le brassard [de capitaine]. Puis, je l'oblige à jouer dans un système comme le 4-2-3-1 car c'est le meilleur dispositif pour qu'il évolue à 100%.»

Bruno Genesio sait décider et assumer ses choix, comme mettre Memphis Depay (star de l'équipe, acheté 25 millions d'euros) sur le banc, pour créer l'électrochoc nécessaire chez ses joueurs. «Ce n'est pas un politique. Il installe une vraie discipline, une rigueur dans son travail et des règles qu'il suit assidûment tous les jours. Il n'y a pas de passe-droit, il est aussi très strict sur les horaires», explique Gérard Houllier. Reste à mesurer l'efficacité de sa méthode dans les faits. Jeudi, lors du huitième de finale retour d'Europa League face au CSKA Moscou, une scène n'a échappé à personne. Sorti à la 70e minute, le latéral gauche lyonnais Fernando Marçal refuse la main tendue de son coach, qui le somme de s'excuser avant une prise de becs véhémente entre les deux hommes. De ce florilège d'amabilités, Bruno Genesio ressort fragilisé, laissant transparaître l'image d'un entraîneur au manque de charisme criant. La sortie semble proche.

Le rapport à la hiérarchie

Du Losc à la Roma en passant par l'OM, Rudi Garcia a souvent entretenu un rapport frontal avec ses dirigeants et grince des dents lorsqu'il se sent moins écouté. Son charisme perd alors de sa substance, le lien s'effiloche et les résultats s'en ressentent. Les critiques fusent comme celles de James Palotta, président italo-américain de l'AS Roma : «Garcia manquait de passion dans sa façon de parler, sa stratégie, sa tactique et la façon dont il préparait les joueurs. Durant les entraînements, il ne parlait presque jamais de stratégie et tactique. Peut-être que ce n'est pas important dans d'autres pays, mais c'est le cas en Italie.»

Bruno Genesio n'a connu que Jean-Michel Aulas comme président. Son salut à Lyon, il le doit à l'omnipotent septuagénaire. Inspiré par la philosophie des plus grands clubs du monde (Real Madrid, FC Barcelone, Juventus Turin), ce dernier rêve de développer à Lyon l'image d'une institution à la tradition forte. En optant pour Genesio, Aulas voulait miser sur un technicien apte à reproduire l'idéologie du club. Si tant est qu'elle existe…

Une fois élu, l'éternel dauphin a dû digérer la pression, assumer l'exposition: «Il y a eu une incompréhension avec les supporteurs de l'OL, une réticence à l'idée de me voir débarquer comme coach.» Déçu, Genesio «a beaucoup souffert des critiques», confie Gérard Houllier. Parfois écrasé par la fonction, il reproche aussi aux médias leur «subjectivité»: «J'apprends à vivre avec… Quoi que je fasse, j'ai l'impression que vous allez toujours prendre l'angle négatif. La critique fait partie de mon métier et si on ne l'accepte pas, on doit changer de métier mais je regrette qu'on ne souligne pas le travail que je réalise…»

Alors que Rudi Garcia a gagné le respect des observateurs grâce à ses titres avec le Losc, Bruno Genesio peine encore à obtenir un succès d'estime. Aux antipodes, les deux entraîneurs font pourtant le même métier. Johan Cruyff disait qu'il valait «mieux perdre avec ses idées qu'avec celles d'un autre». Dimanche à 21 heures, leur singularité fera la différence.