Le XV de France a bouclé l'édition 2018 du Tournoi des six nations exactement comme il l'avait entamée: dans un océan de frustration… mâtiné d'espoir. Un mois et demi après le faramineux drop de Sexton qui, au-delà du temps réglementaire, donnait la victoire à l'Irlande dans un Stade de France médusé, les Bleus ont à nouveau échoué sur le fil, samedi à Cardiff, contre le pays de Galles: 14-13, au terme d'une deuxième mi-temps dominée de bout en bout par des visiteurs qui, avec plus de réalisme et d'adresse – le facteur chance n'entrant pas cette fois en ligne de compte –, auraient pu (dû?) plier l'affaire avec dix ou quinze points d'avance. Au lieu de quoi, en ne marquant qu'une pénalité en quarante minutes, et surtout en en loupant une a priori si peu compliquée (à rapprocher de celle foirée par Anthony Belleau contre l'Irlande, aux conséquences similaires) qu'elle vaut aujourd'hui à l'infortuné botteur, François Trinh-Duc, d'être livré à la vindicte (et de devoir faire son examen de conscience: «Je m'en veux. C'est dommageable pour moi, c'est triste pour l'équipe»), c'est à nouveau la soupe à la grimace.
Le Tournoi 2018 a donc livré son verdict. Vainqueur quasi miraculeux contre la France, l’Irlande, qui n’a cessé de monter en puissance, a non seulement remporté la compétition, mais signé par la même occasion le troisième Grand Chelem de son histoire, après avoir humilié l’Angleterre à Twickenham, 24-15. Lequel XV de la Rose, classé deuxième meilleure nation mondiale au début du Tournoi (l’Irlande venant de lui chiper au passage la place de dauphin de l’inaccessible Nouvelle-Zélande), a sombré corps et biens pour terminer à une impensable cinquième place qui, à un an et demi de la Coupe du Monde au Japon, la (re)plonge dans le questionnement.
Atmosphère délétère
Des interrogations, la France n'a pas non plus fini d'en avoir. Mais, pour la première fois depuis longtemps, on aurait tendance à les qualifier d'encourageantes. Car une simple lecture arithmétique ne dit pas tout, qui situe l'équipe au quatrième échelon européen – après qu'elle avait conclu les trois précédents tournois aux troisième, cinquième et quatrième rang. Il y a pourtant du mieux, c'est une évidence, et le mérite en revient au sélectionneur, Jacques Brunel, qui, tout au long de la compétition, a martelé son credo, «je suis persuadé que l'on peut être très près des meilleurs»… en prouvant au passage qu'il maîtrisait la sémantique, «très près» ne signifiant pas «à la hauteur de».
Brunel est arrivé dans un climat pourri, suite à l'éviction de Guy Novès consécutive à une cascade de contre-performances, alors que l'ex-taulier de Toulouse devait ramener la confiance perdue sous l'ère morose de Philippe Saint-André. Aux mauvais résultats chroniques, s'ajoutaient (la phrase se lisant aussi au présent de l'indicatif) l'atmosphère délétère liée aux diverses affaires (pressions, collusions, favoritisme et autres combines en tout genre) impliquant le président de la Fédération française de rugby, Bernard Laporte, qui, du coup, offrait à son ancien assistant (de 2001 à 2007, du temps où il dirigeait la sélection nationale) ce qui ressemblait à un cadeau empoisonné. Or, l'ex-coach de Perpignan et de l'équipe d'Italie, qu'on pressentait, à 64 ans, glissant tranquillement vers la retraite, a imposé une méthode humaine et pragmatique fondée sur le dialogue, visant à responsabiliser les joueurs. Réfutant l'idée d'un «management directif ou contraignant», Brunel n'en a pas moins su se faire respecter, en éjectant du groupe les huit joueurs partis en bordée à Edimbourg au soir de la défaite contre l'Ecosse, et surtout en assumant le fait de ne pas les réintégrer (alors que figurait tout de même dans le lot l'ailier du Racing Teddy Thomas, auteur des trois seuls essais tricolores depuis le début de l'épreuve).
Engagement sacrificiel
Sur le terrain, malgré les blessures en série, une forme de plaisir semble aussi revenue, symbolisée depuis trois matchs par le retour en grâce de Mathieu Bastareaud. Celui qui fut longtemps banni, désormais élevé au rang de capitaine suite à la blessure de Guilhem Guirado, illustre – comme son compère de Toulon – un engagement sacrificiel à toute épreuve. Dans son sillage, d'autres revenants se signalent, tel Benjamin Fall, samedi à Cardiff, ainsi que de nouveaux joueurs, plus (Paul Gabrillagues) ou moins (Rémy Grosso, Geoffrey Doumayrou) jeunes, qui résument l'«état d'esprit du groupe et la cohésion» à partir desquels Brunel pense «pouvoir bâtir quelque chose». Tout en se gardant bien de dire quoi précisément. Prochains éléments d'appréciation, en juin, avec trois matchs contre les All Blacks – chez eux, à Auckland, Wellington et Dunedin –, au terme desquels le même discours, modestement conquérant, confinerait à la panacée.