Menu
Libération
Profil

Paris-Roubaix : Niki Terpstra, traître étalon

Le coureur de la Quick-Step spécialiste des pavés, dont l’épreuve reine se déroule ce dimanche, est perçu comme sournois et prêt à tout pour gagner. Il montre pourtant le vélo tel qu’il est, sans hypocrisie.
Niki Terpstra sur le Tour de Wallonie en 2015. (PHOTO LUC CLAESSEN. BELGA. ICON SPORT)
publié le 6 avril 2018 à 20h06

Niki Terpstra a l’image d’un sparadrap. Un coureur qui colle. Qui tète dans la plaie. Le Néerlandais de l’équipe Quick-Step, 33 ans, sera ce dimanche l’un des favoris de Paris-Roubaix, la «reine des classiques», qu’il a déjà remportée en 2014. Son flair est à déterrer des truffes. Ses attaques proches de la perfection. Aucun autre cycliste en activité ne possède son palmarès sur les pavés, garni ce printemps avec le Tour des Flandres, immense course, et le Grand Prix E3, qui honore l’autoroute du même nom entre Anvers et Courtrai.

«Brutal»

Les Belges lui reprochent de ne pas laisser gagner les Belges. Les Français, d’avoir roulé sur Sylvain Chavanel, lorsque le Poitevin était son coéquipier. Les Hollandais lui voudraient plus de charisme. Ses pairs trouvent qu’il beugle trop, qu’il joue trop fort des épaules et des mains. Ce qui est le propre d’un coureur de classiques, toujours à la limite, obsédé par des chemins en trous d’aiguille où tout le peloton n’aura pas la chance de passer, et qui passe à la débardeuse, puisqu’il n’y aura pas d’autre occasion, pas d’étape le lendemain pour se rattraper, comme au Tour de France.

Avant de l'embaucher en 2011, Tom Boonen, quadruple vainqueur de Paris-Roubaix, détestait ce profiteur : «Il m'ennuyait toujours. En permanence, il restait dans mes roues. Niki, c'est Niki. Quelqu'un qui suit sa propre volonté, quelqu'un qui se fiche des règles du peloton. Quand je m'arrêtais pisser, il en profitait pour placer une attaque sortie de nulle part.» Quatre ans après ce portrait d'un traître subtil, brossé dans De Telegraaf, Boonen a pris sa retraite. Il peut enfin rendre hommage à son successeur : «C'est un des meilleurs équipiers que j'ai eu.»

Terpstra a abusé de sa position de laquais. Dès qu'un concurrent partait en échappée, il le prenait en chasse puis se calait derrière lui en prétextant : «Je ne prends pas de relais, je protège Boonen qui est dans le peloton.» Le «sparadrap» se faisait alors remorquer et pouvait disputer le sprint à l'arrivée, plein de fraîcheur. Son autre spécialité : attaquer alors que son équipe ne lui en a pas donné consigne. Il affirme déblayer le terrain pour une prochaine offensive de ses leaders. Sauf que, parfois, grâce à ce sens de l'anticipation et cette loyauté très relative, c'est lui qui gagne.

Confession : «Je ne suis pas le gendre idéal.» Sa mère explique : «Niki a toujours dû se battre pour faire sa place. Il devait être brutal pour ne pas être mis de côté.» Son père, garagiste : «Se mettre en rang d'oignon et dire oui et amen à tout, ce n'est pas le genre de Niki.» Cette pulsion anar irrite un sport caserne, qui entretient l'idée de la victoire collective, alors qu'il n'y a toujours qu'un seul vainqueur. Les coureurs savent que c'est un mythe. Mais Terpstra est l'un des rares à le montrer.

Banane

Sa sournoiserie serait, en fait, un excès de transparence. Terpstra ne cache plus grand-chose. Ni son orgueil ni son goût pour la bière quand il grimpe sur le podium et fait chanter la foule. Ni son quotidien qu'il affiche en vidéo sur Instagram : l'ennui des aéroports, les invasions de moustiques ou les vacarmes de discothèque qui bousillent les veilles de course, l'intimité imposée avec ses équipiers deux cents jours par an - il finit par glisser une banane dans le nez d'un copain qui somnole, geste absurde et libérateur. «Niki a toujours été drôle et très intégré, dit à Libération Peter Schep, un de ses équipiers chez les amateurs en 2005 et 2006. Il faisait des blagues ou mettait la musique à fond. A l'époque, nous n'avions pas de réseaux sociaux. Aujourd'hui, il est plus simple de se rendre compte de sa personnalité.»

Dimanche de Pâques, certains ont cru reconnaître Terpstra en Judas sur le tableau de la Cène, reconstitué par le journal belge Het Nieuwsblad. Au centre, entouré de douze adversaires devenus ses apôtres, le champion du monde Peter Sagan incarnait Jésus. Tout à droite, Terpstra, ennemi de ce dernier, tenait une tasse à la main et regardait de biais. Mais ce n'est pas Judas. A en croire l'œuvre originale, peinte par Léonard de Vinci, Niki Terpstra occupe la place de Simon le Zélote, un disciple dévoué et mystérieux, dont on ne sait à peu près rien sinon qu'il termina dans des circonstances affreuses, découpé à la scie.