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Paris-SG : avec Thomas Tuchel, l’émir du Qatar choisit un quadra gêneur

L’Allemand devrait être le prochain entraîneur du club parisien, malgré son inexpérience et un caractère frondeur. Son style offensif et son indépendance ont séduit l’homme fort de Doah.
Thomas Tuchel, en mai 2017 à Dortmund. (Photo Sascha Schuermann. AFP)
publié le 10 avril 2018 à 19h26

Plus que probable entraîneur du Paris-SG la saison prochaine, l'entraîneur allemand Thomas Tuchel est à ce jour resté dans l'histoire du foot européen pour une posture révoltée, vaguement héroïque à l'échelle du monde du football où la soumission (à ses patrons, aux instances, aux télés, à la star de l'équipe) est encore l'attitude la mieux partagée. Il avait osé critiquer l'Union européenne de football et ses propres dirigeants du Borussia Dortmund, qui avaient conspiré à faire jouer le match aller de quart de finale de Ligue des champions en avril 2017 contre l'AS Monaco au lendemain de l'attentat aux explosifs ayant visé les joueurs du club de la Rhur, lesquels avaient déclaré à l'unisson ne pas avoir la tête au ballon. Le club avait contesté sa version : les joueurs ont décidé seuls. Mais Tuchel n'en a pas démordu. Et il a été prié d'aller voir ailleurs à l'issue de la saison 2016-2017, le coach expliquant voilà trois semaines au procureur général du tribunal de Dortmund qu'il serait «évidemment» toujours sur le banc du club sans ce sombre épisode.

Fraîcheur

Emotif, souvent sur le dos des arbitres, Tuchel, qu'on aurait tôt fait de prendre pour un adolescent malgré ses 44 ans quand il arbore sa casquette et ses vestes en velours côtelé dans le civil, a bel et bien passé le cut du déplacement à Doha, où il s'est entretenu avec le patron du PSG et émir du Qatar, le cheikh Tamim ben Hamad al-Thani. Qui n'a donc pas vu d'incompatibilité entre la fraîcheur - il n'a dirigé que trois clubs, pour une Coupe d'Allemagne remportée - un peu insurrectionnelle de cet ex-défenseur modeste, élu meilleur coach de Bundesliga par ses pairs à l'issue de sa première saison à Dortmund en 2015-2016, et un job qui consiste tout de même à porter l'image du principal vecteur de communication de l'Etat gazier à travers la planète. Dit autrement : l'émir a donné le poste et les clés d'une attaque explosant le demi-milliard d'euros en valeur marchande à un homme qui, à ces hauteurs sportives, financières ou diplomatiques, peut passer pour un enfant.

Dans un contexte où plusieurs grands noms (le Chilien Manuel Pellegrini, l’Italien Antonio Conte, voire le Portugais José Mourinho) avaient fait des appels du pied plus ou moins explicites au club de la capitale, dont le directeur sportif portugais, Antero Henrique, a lutté avec la dernière énergie pour faire venir son compatriote Sergio Conceiçao depuis le FC Porto, il y a quelque chose à comprendre.

Depuis la fin de l'ère Ibrahimovic en juin 2016 et l'arrivée concomitante de l'Espagnol Unai Emery, qui n'apparaissait pas non plus parmi les coachs ayant leur rond de serviette en Ligue des champions, Doha a fait le choix d'un entraîneur qui suscite, qui provoque, qui sort le joueur de sa zone de confort, en opposition à ceux qui gèrent en père peinard le vestiaire en veillant à ne pas voir déborder les ego jusque devant les micros ou les colonnes des journaux. Dans les faits, Emery a surtout joué avec les bouteilles d'eau devant les caméras («là, c'est un joueur et là, c'est un autre joueur…»), assommé son effectif avec de longues séances vidéos que Neymar a réduit d'autorité et parlé d'une «concoureinse» (concurrence) que ses joueurs les plus installés auront longtemps vue de très loin. Mais ses intentions étaient autres. Et Tuchel a les mêmes : dans l'Equipe, l'international allemand André Schürrle, qui l'a côtoyé trois saisons, explique qu'il change «fréquemment de système trois ou quatre fois dans le même match», ayant par ailleurs une propension à jouer l'attaque à tombeau ouvert. Un jeu spectaculaire, innovant, risqué : raccord avec l'image que Doha veut donner.

Prédation

Tuchel a un autre charme. Plus secret : il n’est affidé à aucun réseau d’agents, une caractéristique indispensable pour des Qataris qui se savent, compte tenu de leur surface financière sans limite, un objet de prédation sans équivalent aujourd’hui. La venue d’Antero Henrique au poste de directeur sportif du Paris-SG a par exemple été favorisée par l’agent israélien Pini Zahavi en échange de la venue de Neymar dans la capitale - vous me prenez Henrique et je vous amène le Brésilien, en gros.

Tuchel débarquera seul, avec les quelques adjoints qu’il arrivera à dealer. Casquette, plots et sifflet, le foot et rien que le foot. Sous l’œil morne d’un Henrique se sachant en sursis. Et sans réseau médiatique susceptible d’organiser une communication parallèle à celle du club, ce dont Emery a parfois souffert : on imagine que, dans le contexte, les quelques débordements attendus d’une personnalité aussi flamboyante passeront par pertes et profits. Après, cette solitude est aussi une source de fragilisation. Notamment aux yeux de certains joueurs, qui ont pris l’habitude de considérer celui qui les entraîne comme une source de nuisance qu’il faut circonscrire ou combattre. Mais ça, c’est toute l’histoire du Paris-SG depuis 2011.