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Libération
Vu d'Espagne

Le rugby espagnol veut profiter de la lumière européenne

JO de Londres 2012dossier
Dans un pays où l'ovalie est une pratique confidentielle, la finale de la coupe d'Europe, à Bilbao, nourrit le rêve d'un ticket pour la Coupe du monde.
A Leinster player grabs the ball during the captain's run at the San Mames stadium in Bilbao on May 11, 2018 on the eve of the European Champions Cup final rugby union match between Leinster and Racing 92. / AFP PHOTO / GABRIEL BOUYS (Photo Gabriel Bouys. AFP)
publié le 12 mai 2018 à 8h55

On connaît ce stade sous le nom de «Catedral», la cathédrale. De par son architecture, sa dimension liturgique, la ferveur de son public, celui de l'Atletic Club Bilbao, une référence historique du football espagnol. Une fois n'est pas coutume, la «Catedral» va se transformer en un temple rugbystique. Et les 53 000 places de ce stade de San Mamés, son nom officiel, seront combles pour l'occasion : il règne une atmosphère de fête à Bilbao, où, ce samedi, se disputera la finale de la Coupe d'Europe opposant le Racing 92 et le club irlandais de Leinster. En prélude, la finale de la Challenge Cup entre les Anglais d Gloucester et les Gallois de Cardiff Blues s'est déroulée vendredi soir sur le même terrain avec la victoire des Gallois.

La municipalité a pris les choses au sérieux : des dizaines de bus affrétés pour l'occasion, des trains supplémentaires sur la ligne Euskotren, une ville qui accueille l'événement à bras ouverts. Tout un honneur. Certes, d'autres villes espagnoles – Saint-Sébastien, Malaga, Barcelone ou Valladolid – avaient déjà hébergé des rencontres internationales de prestige, à l'instar de la finale du Top 14 au Camp Nou, en juin 2016, avec près de 100 000 spectateurs. Mais Bilbao est pionnière : c'est en effet la première ville nationale hors du circuit classique du rugby à recevoir deux finales consécutives. Alors que les résultats locaux du ballon rond ne sont guère mirobolants – l'Atletic Club se situe en 14e position –, la ville espère rebondir sur l'événement, et faire du rugby, aujourd'hui et à moyen terme, une fenêtre touristique avec, selon la région basque, un impact prévu de l'ordre de 30 millions d'euros.

Vent en poupe

L'événement met du baume au cœur de l'ovalie espagnole, dans un pays où ce sport est peu développé, mais où son attrait est pourtant en forte hausse. A en croire la Fédération nationale de rugby, le nombre de licenciés est passé de 14 000 en 2000 à 33 000 aujourd'hui ; les licences d'entraîneurs ont aussi doublé en seulement quatre ans, passant de 675 à 1185. Quant aux spectateurs, leur nombre a augmenté de 62 % depuis 2016. Tout cela demeure bien sûr timide, dans une nation où le football règne en maître, devant le tennis, le basket, la formule 1 ou le handball. Le petit monde du rugby national sort peu à peu de sa confidentialité, avec de nombreux handicaps : un championnat amateur, une génération prometteuse de la fin des années 90 emmenée par Albert Malo en bonne partie exilée, une absence presque totale de financement public, un anonymat médiatique… «Nos clubs connaissent une léthargie car ils ont besoin de se mesurer dans le cadre d'une compétition de haut niveau. Notre championnat ne l'est pas. Nous avons besoin d'une entreprise d'envergure qui nous fasse décoller», souligne Juan Carlos Martin, président d'El Salvador, l'un des deux clubs de Valladolid qui, avec des équipes du Pays basque, ultra-dominent la «Liga Heineken», le championnat national dans lequel ne concourent pas plus de 12 clubs.

La possible qualification pour le Mondial de 2019, au Japon, cristallise les espoirs de dépasser ces contraintes et d'accéder à un niveau supérieur. Le simple fait d'y participer supposerait 800 000 euros dans les caisses de la fédération, soit le tiers du budget actuel. Or, grâce notamment à la participation de joueurs d'origine française (13 des 23 joueurs de l'équipe nationale, 9 sur les 15 titulaires), et néo-zélandaise, les «Leones» ont le vent en poupe. En mars, ils ont écrasé la sélection allemande par 84 à 10, en présence inédite du ministre de l'Enseignement et des sports et du roi Philippe VI, un amoureux du ballon ovale. La déconvenue est survenue peu après, avec la défaite contre la Belgique, qui aurait fourni un billet direct pour le Japon et la première participation à un Mondial depuis 1999. Un présumé mauvais arbitrage de Vlad Iordachescu, sa nationalité roumaine – aussi en lice pour le Mondial –, avait déclenché les foudres du Quinze espagnol. Le capitaine, Jaime Nava, a depuis demandé pardon pour l'attitude de ces joueurs, en ajoutant : «Cette défaite et l'arbitrage ont brisé notre rêve.» Plus forcément : après maintes réclamations de toutes parts concernant plusieurs équipes, la World Rugby a constitué en avril une commission indépendante. En fonction de sa décision, les «Leones» espagnols devront renoncer au Mondial si désiré, rejouer le match face à la Belgique ou, peut-être, être qualifiés d'office. Suspens.