Menu
Libération
Ambiance

A Marseille, «l’important, c’est le chemin parcouru…»

Du Vélodrome où était retransmise la finale aux bistrots de la ville, les supporteurs marseillais ont assisté résigné à la défaite de l'OM.
Des supporters de l'OM devant la retransmission sur écrans géants de la finale de l'Europa League face à l'Atletico Madrid, le 16 mai 2018 au stade Vélodrome de Marseille. (Photo Franck PENNANT. AFP)
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille
publié le 17 mai 2018 à 6h48

Un jeune supporteur s'est installé devant le Vélodrome pour compter ses places imprimées. Ce soir, pour les Marseillais n'ayant pas pu faire le déplacement à Lyon pour assister à la finale de l'Europa League, la ville a décidé d'installer un écran géant dans le stade et d'ouvrir une tribune aux supporters. Les 22400 places disponibles – zéro euro le ticket – ont été vite réservées. Le jeune supporter, lui, en a imprimé une bonne liasse. «C'est complet, alors si y a moyen de se faire un peu des sous, confie-t-il. Je les vends dix ou vingt euros, selon la tête du client.» Il est 18h30 et déjà, l'esplanade du stade est pleine. Quelques voitures se font un peu secouer, les impatients claquent déjà quelques fumigènes et surtout, ça chante. Tout un répertoire exclusivement dédié à Lyon, qui accueille ce soir la finale. Rien sur l'Atletico, adversaire du jour sur le terrain? «On n'a rien contre l'Atletico, explique Anthony, entre deux coups de pétard. L'important, c'est qu'on va les taper à Lyon. Eux, c'est juste un obstacle à passer!»

Les portes du stade s'ouvrent enfin et le public s'installe. Sur l'écran géant défilent des images de la gloire passée de l'OM. Quand Basile Boli apparaît sur l'écran, la tribune s'enflamme. Les équipes sont entrées sur le terrain, le coup d'envoi est donné. «J'ai misé 2-1 pour l'OM, annonce Laurent, noyé dans la fumée orange des fumigènes. Et je ne me trompe jamais.» Si Laurent le dit…

David et Goliath

Quelques minutes plus tard, derrière le Vieux-Port, on serre un peu les dents: l'Atletico vient de marquer son premier but, rien n'est encore grave. Assis à la terrasse d'un café, un œil sur l'écran, l'autre sur sa bière, Sam veut encore y croire, alors que sonne la mi-temps. «C'est une évidence d'y croire jusqu'au bout, soutient le jeune ingénieur, un brin lyrique. David a battu Goliath. Là, c'est que le mental. Et puis gagner ou perdre… L'important, ce n'est pas d'être en haut de la montagne, c'est le chemin parcouru… C'est quel poète qui dit ça?»

Deuxième mi-temps. Dans le quartier de Notre-Dame-du-Mont, un bar a installé une bâche géante qui prend toute la façade d'un immeuble. La foule a les yeux cloués sur l'écran installé dans la rue. Pourtant, Jean-Patrick et sa femme Carole, postés tout au fond, ont raté le deuxième but. «C'est la stupéfaction totale, j'ai rien vu, hallucine-t-il. Mais c'est jamais fini, c'est l'essence du foot! La semaine dernière, contre Salzbourg, j'avais les larmes aux yeux tout le match et j'ai fini bourré sur un rond-point!»

Dans un café voisin, on essaie de se faire une place devant le petit écran. On tente aussi de relancer l'ambiance avec quelques chants, mais les visages sont graves. Le troisième but enterre tout le monde. Certains se lèvent pour rentrer chez eux. Au coup de sifflet final, un garçon sanglote et balbutie au téléphone. «Suis dégoûté… Suis dégoûté…» Sa copine lui caresse la tête, mais rien n'y fait. Inconsolable. Un bar au loin envoie La Lambada, histoire de combler le silence des supporteurs. Les plus philosophes recommandent une bière, d'autres s'engouffrent dans le métro, fumigènes au poing, direction le Vieux-Port, où tout se termine toujours les soirs de match.

Sur place, les casseurs ont déjà brûlé quelques poubelles et les CRS ont sorti les boucliers. Bouteilles vides contre lacrymo: l'affrontement éparpille les derniers fans de foot déçus, qui préfèrent rejoindre les bars du centre-ville. Devant l'un d'entre eux, un jeune supporteur, habillé en tenue intégrale «OM 1993», a mis une perruque à la Chris Waddle, héros britannique de l'Olympique marseillais d'antan. Les clients se marrent, le harcèlent pour un selfie. «Tout le monde me dit qu'il faudrait que je rejoue, on aurait peut-être gagné ce soir», sourit tristement le jeune Chris. La nuit sera longue, Marseille se prépare une bonne gueule de bois. Seul dans la rue, un vieil aviné a trouvé sa morale de l'histoire: «Même si on perd, on s'en fout, on a gagné quand même…»