A 21 heures samedi à Saint-Denis, la finale du championnat de France de rugby oppose Castres à Montpellier, respectifs vainqueurs du Racing et de Lyon en demi-finale le week-end dernier. Deux clubs du Nord ont plié devant deux clubs du Sud. Une habitude en somme. Un trompe-l’œil en fait, car les plaques tectoniques du rugby français ont la bougeotte. Aux Parisiens et Lyonnais presque au top, s’ajoutent des Rochelais si inscrits dans le paysage qu’on est surpris de ne pas les voir en finale, eux qui ont développé par moments le plus beau jeu de la saison. En sus, Grenoble sera de nouveau dans l’élite en août, en attendant l’arrivée de Nantes, opposé à Mâcon en quart de finale de fédérale 1, ou de Rennes, qui évoluera l’an prochain au plus haut niveau amateur.
Test-match déguisé
Belle ouverture topographique et savoureuse pichenette du président de la fédération, que l’organisation - au nez à la barbe du président de la Ligue nationale - de ce test-match international déguisé en finale entre le Tarn et l’Afrique du Sud ! En effet, avec un petit tiers de ses participants formés en France, ce sommet des pros de l’ovalie ne fatiguera guère les Tricolores. Au sélectionneur Jacques Brunel d’apprécier la diligence des clubs du Top 14 à ignorer l’essentiel des troupes bleu horizon à la veille de s’envoler pour une tournée en Nouvelle-Zélande. Ne manquent que Galletier et Fall de Montpellier et Babillot de Castres à l’appel des braves chargés d’échauffer les All Blacks avant le Four Nations.
Cette finale a le parfum seventies d’un Béziers-Narbonne, presqu’un derby d’aujourd’hui (170 km à peine entre les deux villes) tant il semble opposer un favori exaspérant (Montpellier), coaché par l’impavide Vern Cotter, à de romanesques outsiders, guidés par le bougon Christophe Urios. Il a fallu la fameuse magie et incertitude des phases finales, suc du printemps hexagonal, pour que Castres, qualifié in extremis, passe sur le corps de Toulousains apathiques, puis de Parisiens empruntés, nous épargnant l’affrontement des mastodontes Montpellier et Racing, premier et deuxième de la phase régulière, danseuses (tendance pogo en Doc Martens) de patrons industrieux comparant à distance la taille de leurs portefeuilles. A gauche, les Altrad guys, à droite, les Lorenzetti boys ; et l’oseille au centre.
Qu’on ne se méprenne pas, le rugby professionnel vit grâce aux largesses de ces mécènes. Depuis le chapelier Jean Bourrel, dont la fortune avait permis à Quillan de conquérir le Brennus en 1929, la liste est longue de passionnés du jeu qui l’ont fait avancer à coups de dollars et d’idées disruptives. Antoine Béguère à Lourdes, Georges Mas à Béziers, Serge Kampf à Biarritz, Max Guazzini à Paris, Mourad Boudjellal à Toulon ou… Pierre Fabre à Castres !
Et oui, la finale était trop parfaite : Castres-Montpellier, le pauvre et le riche, le petit chose contre le grand machin, le Poucet et l’ogre. Fatalement, les clichés captent plus les «fragrances épicées» de Mohed Altrad à Montpellier que les silences d’un farouche discret disparu en 2013, Pierre Fabre, dont le souvenir flotte entre Castres et sa ville de Lavaur où sont implantés les laboratoires pharmaceutiques portant son nom. In fine, près du Brennus au Stade de France, des chiffres d’affaires à deux milliards de sesterces pour une rondelle de cuir et laiton encastrée sur une planche de paddle.
Besogneux éclatant
Sur le terrain, si le sérieux de ses cadres sud-af et la compétence de son entraîneur néo-zélandais ont propulsé Montpellier en tête du championnat, Castres n’est pas un nain du rugby. Il a déjà été champion de France lui, en 1949, 1950, 1993 et 2013. Rescapés de la dernière victoire, Caballero, Capo Ortega, Kockott et Samson fouleront la pelouse samedi.
Au fait, comment tourne le vent d'une finale ? Un éclair à la Imhoff en demi ? Un drop loupé à la Talès en finale de Coupe d'Europe ? Du besogneux éclatant à la Willemse et Babillot ? Il y aura des défenses Maginot, des essais imaginaires, la comédie de l'art de Kockott, la rage sentimentale de Capo Ortega, les coups de latte de Steyn et Pienaar, les Du Plessis en chiens qui n'en démordent pas et des étreintes en guise de réconfort pour qu'au bout, la caravane passe et ramène le planchot à la maison. Vae victis…