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Voile

A Marseille, une mer complexe pour les régatiers

La ville accueille la finale de la Coupe du monde de voile qui se déroule sur le futur site des Jeux olympiques de 2024. L’occasion pour les athlètes de mieux appréhender ce plan d’eau complexe.
Lors de l'Europa Cup de Laser, en avril 2014, à Marseille. (Photo Gilles Martin-Raget )
publié le 3 juin 2018 à 13h24

Ils ont débarqué de tous les continents pour ce «Roland-Garros» de la voile olympique. Les 250 meilleurs régatiers du monde ont gagné le Roucas-Blanc, à Marseille, pour la finale de la coupe du monde.  Situé près des plages du Prado et surplombé par la corniche Kennedy véritable tribune naturelle, le Roucas-Blanc niché au fond de la rade sud abritera l'été 2024 la marina olympique. En face se dressent les îles du Frioul et le château d'If . L'élite de la voile dite légère n'est pas là pour faire du tourisme dans les calanques à deux pas de là mais pour décrypter, apprivoiser et «s'approprier» cette rade sublime mais caractérielle. Comme la majorité des 50 nations présentes, l'équipe de France de voile possède sa propre «cellule d'optimisation et d'exploitation des plans d'eau» coordonnée par Bertrand Dumortier, l'un des cadres technique de la fédération, et qui s'appuie sur de fins techniciens. Avant de devenir le «monsieur météo» des bleus, David Lanier a longtemps régaté au plus haut niveau en 470, dériveur double olympique. Il a la délicate tâche de concocter chaque matin de régate un bulletin précis qu'il adresse par SMS ou mail aux athlètes : «En voile olympique les parcours, les bateaux et les règles de course sont quasiment les mêmes pour tout le monde, et ce qui différencie les concurrents, c'est leur capacité à appréhender au mieux le terrain de jeu. Chacun a sa propre perception du vent et va alors bâtir sa stratégie à partir des éléments fournis en amont.»

Depuis plus de quinze ans, David Lanier travaille en binôme avec Paul Iachkine, ingénieur chargé de recherche à l'École nationale de voile et des sports nautiques à Saint-Pierre Quiberon dans le Morbihan. Ensemble, trois ans avant chaque olympiade et tels des «espions», ils scrutent le futur site, étudient sa topographie, ses spécificités, les vents dominants, les courants, avant de les modéliser et d'en sortir un document qui se doit d'être vulgarisé. «Nous nous appuyons chaque fois sur dix ans de statistiques météo, précise Lanier. On mouline ces données puis on vient sur place avec nos propres instruments (bouées, balises, logiciel de navigation…) pour mesurer, vérifier, observer et comprendre. Une démarche scientifique ne suffit pas, car le ressenti du marin est essentiel dans la lecture d'un plan d'eau.» Les deux compères fournissent ensuite aux entraîneurs et coureurs un «play book», sorte de guide où sont indiquées les principales clés. La météo n'étant pas une science exacte, il y a toujours une part d'aléatoire.

Jean-Baptiste Bernaz, 30 ans, prépare ses quatrièmes Jeux olympiques consécutifs en Laser, un dériveur solitaire monotype diffusé dans le monde à plus de 200 000 exemplaires. Il s'entraîne régulièrement ici à Marseille et a remporté il y a peu l'épreuve de coupe du monde de Hyères devant tout le gratin mondial. «Chaque lieu a ses spécificités et il faut rapidement les cerner, être très attentif, explique le vice-champion du monde et 5e des derniers JO. Il ne sert à rien de prendre un bon départ puis d'aller vite si tu ne vas pas du bon côté. Bien anticiper les variations du vent et être en phase avec le proche environnement entrent en ligne de compte pour 60 % de la performance finale ! Marseille est un plan d'eau très intéressant mais compliqué. Il faut être polyvalent. On peut très bien avoir du mistral fort, du vent d'Est ou alors de la brise thermique faiblarde en été car ça chauffe trop à terre.» David Lanier renchérit : «Marseille, tu crois bien connaître, mais tu peux te tromper car tu as tendance à partir sur de la recette de cuisine. Ce n'est pas parce que nous sommes chez nous et ne démarrons pas de zéro qu'il faut se passer de ce travail exhaustif effectué sur les autres lieux comme aujourd'hui à Gamagôri au sud-ouest de Tokyo où se disputera la voile aux prochains JO.»

Grâce à des outils tel que Google Earth, les régatiers n'hésitent pas aussi à se faire une première idée du site où ils vont régater, et ce sans y avoir encore mis les pieds. Cette visite virtuelle sur le web permet de se déplacer sur le plan d'eau, d'y «coller» le vent relevé en direct sur les anémomètres, de consulter les webcams. Mais rien ne remplace la connaissance des locaux qui régatent ici depuis qu'ils sont en culotte courte. Certains sont consultés par des équipes étrangères. Dimitri Deruelle sélectionné olympique à Barcelone et qui connaît la rade marseillaise comme sa poche, a déjà conseillé les Néo-Zélandais. «Quand il fait grand beau avec un anticyclone de la Catalogne au sud Sardaigne plus de la rosée le matin, on est certain d'avoir de la brise thermique qui va se renforcer au fil de la journée. Et ça paye toujours à gauche jusqu'à la molle de 16 heures ! » affirme t-il. Cet affaiblissement temporaire du vent à l'heure du goûter n'est pas qu'une réalité mais un casse-tête de plus pour les tacticiens qui n'ont que leurs yeux, leur nez et un compas (boussole) pour se positionner.