«Je n'aime pas toute l'attention portée à cette nouvelle génération. Ils jouent tous bien, mais on en fait toute une histoire ! S'ils jouent assez bien, ils auront l'attention qu'ils méritent. En attendant, il faut encore qu'ils mangent des pâtes, courent et gagnent des matchs.» Le toujours fantasque Fabio Fognini s'était fait le porte-parole de sa génération, celle des Nadal et Federer, la semaine dernière : ce Roland-Garros 2018, celui du conflit intergénérationnel, sentirait un peu trop la promotion de jeunes talents pas encore au point, au détriment des stars trentenaires qui dominent encore le circuit. Le quart de finale de ce mardi entre Dominic Thiem et Alexander Zverev est un de ces sommets auxquels on devrait être régulièrement confronté dans les dix années à venir. L'Autrichien, 24 ans, et l'Allemand, 21, ont semble-t-il assez mangé de pâtes : tous deux sont déjà membres du Top 10 et étaient pronostiqués avant le début du tournoi comme les principaux rivaux de Nadal. Entre les deux amateurs de terre battue, la concurrence est cordiale : ils savent qu'elle est amenée à durer.
Dès la fin de son 8e de finale remporté sobrement face à Kei Nishikori dimanche, Dominic Thiem s'est fait élogieux à propos de son futur adversaire : «C'est un joueur sensationnel, probablement le troisième meilleur au monde désormais, derrière "Rafa" et Roger [Federer].» L'Autrichien commentait simplement un classement ATP un peu flatteur pour Zverev, 3e mondial, qui pourtant n'avait jamais dépassé les huitièmes de finale d'un Grand Chelem avant ce Roland-Garros. L'Allemand ne s'est pas facilité la tâche durant la première semaine de cette quinzaine, enchaînant trois victoires batailleuses en cinq sets pendant que Thiem maîtrisait ses sujets. En tout, Zverev aura joué 2 h 27 de plus que son adversaire du jour, presque un match entier. Dimanche, il disait se préparer à une autre rencontre en cinq sets face à l'Autrichien. Thiem, lui, a presque laissé entrevoir une histoire de suprématie germanophone : «Je pense qu'aussi bien en Autriche qu'en Allemagne, c'est le match que tout le monde attendait. Nous espérons qu'il sera légendaire.»
Alexander Zverev
Le parcours : un itinéraire tout tracé
Elevé par des parents tous deux joueurs professionnels, avec un grand frère - Mischa, 64e mondial - qui a tracé la voie dans le classement ATP, la carrière de «Sascha» (son surnom) Zverev, 21 ans, a tout de la préméditation. Numéro 1 chez les juniors, son arrivée sur le circuit ATP en 2014 a immédiatement provoqué les comparaisons avec les surdoués de la génération précédente, Nadal en tête. Il intégrera le Top 100 dès sa deuxième année en pro, en 2015, puis enchaînera les coups d’éclat jusqu’à gagner son premier Masters 1000, à Rome contre Novak Djokovic, l’an dernier. Depuis, il a aussi ajouté des titres à Montréal - une finale remportée contre Federer - et à Madrid, début mai, où il s’est défait en deux sets (6-4, 6-4) de Dominic Thiem, qui avait préalablement défenestré Rafael Nadal himself.
Le jeu : un potentiel à développer
Avec son envergure de rapace (1,98 m sous la toise), Zverev est, comme son adversaire du jour, un joueur de rallyes de fond de court, avec un service de premier ordre. Contre le Russe Karen Khachanov, dimanche, il a pourtant longtemps alterné la bonne agressivité et le n’importe quoi, à coups de doubles fautes et de coups droits partants dans des directions absurdes. Comme dans ses deux rencontres précédentes, l’Allemand a finalement repris le dessus sur lui-même : si ces trois matchs gagnés en cinq sets trahissent une inconsistance qui pourrait se révéler désastreuse face à un métronome comme Thiem, ils révèlent aussi un mental et une endurance difficiles à égaler. C’est tout le vertige de Zverev : le troisième joueur mondial en est encore au stade du potentiel.
La personnalité : l’arrogance décomplexée
Sur les courts, il lève souvent le poing après un coup gagnant. Dimanche, il est même allé jusqu'à éructer un «C'est mon putain de tour maintenant !». Zverev a l'arrogance de ses 21 ans. L'Allemand côtoie des champions depuis tout petit et ces hivers où il allait se perfectionner en Floride, comme Djokovic ou Isner. Il en est revenu bilingue, mais sans l'humilité de façade des grands tennismen. Durant cette quinzaine, on l'a cependant vu initier une bromance plutôt drôle avec un journaliste britannique : le joueur avait été surpris par l'accent prononcé d'un reporter du Yorkshire. «J'ai rien compris à ta question, mais j'adore ton accent», s'était-il amusé. La conférence de presse suivante, il avait distribué la parole : «La première question, ce sera pour mon pote du Yorkshire !»
Dominic Thiem
Le Parcours : le fruit d’une longue construction
Dominic Thiem, 24 ans, est une créature, celle de Günter Bresnik. Coach de Boris Becker ou de Henri Leconte, celui-ci a mis en pratique toutes les connaissances acquises durant sa carrière d’entraîneur obsessionnel pour façonner le joueur autrichien, qu’il dirige depuis qu’il a 11 ans. La carrière de Dominic Thiem a donc été une ascension patiente et froidement logique, motivée par un entraîneur dur au mal. La recette ? Du travail, du travail et encore du travail : l’Autrichien est connu pour enquiller les tournois tout au long de l’année. Pour preuve, le jour de l’ouverture de Roland-Garros, il gagnait la finale du tournoi de Lyon. Niveau résultats, si Thiem figure bien dans les grandes compétitions - deux demi-finales à Roland-Garros ces deux dernières années -, l’armoire à trophées est surtout remplie de titres intermédiaires.
Le jeu : un coup droit en mode destruction
L'Autrichien a tout pour ravir les esthètes, et surtout un revers à une main, puissant et précis, parmi les plus efficaces du circuit. Un revers qui est, là aussi, l'œuvre de Günter Bresnik : l'entraîneur viennois l'a très tôt fait abandonner son revers à deux mains de défenseur pour adopter un geste plus offensif. Joueur de fond de court, Thiem préfère pourtant son coup droit : «C'est avec celui-là que je gagne la plupart de mes points, même si le revers est plus beau à voir.» Contre Kei Nishikori dimanche, il a également fait étalage d'une qualité de service exceptionnelle, empochant tous les points sur sa première balle pendant les deux premiers sets. Mais on a aussi vu Thiem se mettre inutilement en difficulté, dans une troisième manche lâchée au mental au Japonais (5-7).
La personnalité : jusqu’au bout de la discrétion
Après son premier tour remporté contre le Biélorusse Ilya Ivashka, on s’est retrouvé dans une salle de presse exiguë à plisser des yeux en essayant de décrypter des questions en allemand. Presque aucun journaliste non germanophone ne s’était pointé pour interroger l’un des favoris du tournoi. Pas si étrange finalement quand on a appris que l’Autrichien n’était pas vraiment ce qu’on appelle «un bon client» pour les journalistes. Décrit comme discret, voire timide, Thiem a totalement adopté le verbiage du sportif de haut niveau, pourtant pas si répandu que ça chez les tennismen. Professionnel jusqu’à l’os en réalité, son surnom de cyborg «Dominator» semble même lui aller hors des courts : on y devine là encore le fruit de l’éducation de Bresnik.