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Libération
Fantôme

Hugo Lloris n'enterre pas Karim Benzema chez les Bleus

Dans une interview au quotidien madrilène, le capitaine de l'équipe de France n'exclut pas de revoir le Madrilène en sélection, contrairement à ce qu'avait suggéré le président de la Fédération.
Le gardien et capitaine de l'équipe de France Hugo Lloris en conférence de presse, le 31 mai 2018 à Nice (Photo FRANCK FIFE. AFP)
publié le 8 juin 2018 à 17h44

Les fantômes tricolores, épisode III: après le tweet de Franck Ribéry réclamant pour rire une place de «suppléant» suite à la défection d'Adrien Rabiot, après la brusque disponibilité d'un Zinédine Zidane démissionnaire au Real Madrid, voilà Karim Benzema, écarté sur décision du sélectionneur Didier Deschamps depuis mai 2016 de l'équipe de France, qui s'invite dans la préparation des Bleus en amont du Mondial russe (du 14 juin au 15 juillet).

«Le sens des responsabilités»

Enfin non, Benzema ne s'est pas invité tout seul : c'est rien moins que Hugo Lloris, capitaine des Bleus, qui a ramené son cas à la surface à la faveur d'une interview dans le journal espagnol Marca, histoire d'avoir un écho relativement lointain et assourdi (ce qui est sans doute l'effet recherché) par rapport à un entretien donné sur un média français. Le gardien de Tottenham répond à une question portant sur la mise au tas de Benzema par le président de la fédération, Noël Le Graët, qualifiant d'«histoire ancienne» la carrière internationale de l'attaquant madrilène, quadruple vainqueur de la Ligue des champions (2014, 2016, 2017 et 2018) depuis deux semaines. «Je ne sais pas ce que Le Graët a dit, mais je ne le pense pas [que ce soit de l'histoire ancienne, ndlr], a répondu Lloris. Karim est un joueur énorme et il faut valoriser la carrière qu'il a avec Madrid. C'est fantastique, il connaît la pression, il a le sens des responsabilités. Aujourd'hui, la situation est ce qu'elle est et malheureusement, il n'est pas là, mais c'est une décision qui appartient au sélectionneur. Mais je ne crois pas que ce soit sa fin avec la France.»

Deux ans et demi que Benzema est tricard sans que Lloris ne s'en émeuve ni ne se fende du moindre coup de fil envers un joueur qu'il aura côtoyé en club (une saison à Lyon, 2008-2009) comme en sélection (entre 2008 et 2015): il y a un truc. Qui prend sa source dans l'idée que le sélectionneur des Bleus, Didier Deschamps, se fait du Mondial russe à venir, ou plutôt des conférences de presse potentiellement toxiques qui s'y dérouleront, les médias étrangers n'ayant aucune raison de se priver des questions sur l'absence prolongée chez les Bleus d'un Benzema couvert de gloire sur le front de la Ligue des champions: c'est bel et bien Deschamps qui a demandé à Le Graët de se positionner pour renforcer sa position à lui lors des raouts médiatiques à venir, d'où l'étrange sortie la semaine dernière d'un président de fédération parlant d'«histoire ancienne» à propos de l'attaquant madrilène alors que le fait de sélectionner ou non un joueur n'appartient qu'au patron technique, c'est-à-dire à Deschamps.

Chacun sa croix

C'est cette phrase de Le Graët qui a amené par effet de dominos la réponse de Lloris dans Marca. Pas sûr que le clan Benzema la goûte vraiment: l'attaquant ayant fait son deuil de la sélection tant que Deschamps en est le sélectionneur, elle apparaît en vérité bien tardive. Pour autant, même tardive, elle rend service à Benzema. En effet, à chaque fois que la question de l'absence de Benzema chez les Bleus a été posée par la presse française au sélectionneur, celui-ci a utilisé le même élément de langage : «choix sportif». La valeur individuelle de l'attaquant madrilène ne pouvant être sérieusement mise en cause, il restait un espace d'interprétation: le foot est un sport collectif et les autres joueurs tricolores ne veulent pas de Benzema, possiblement parce qu'il a trahi un coéquipier (Mathieu Valbuena) en équipe de France dans l'affaire de chantage à la sextape dont ce dernier a été victime.

Or, Lloris tire l'échelle dans Marca: parlant par définition ès qualités comme le capitaine de l'équipe de France, c'est-à-dire au nom des autres internationaux, il renvoie la responsabilité exclusive de l'absence de Benzema sur les épaules de Deschamps, exonérant le vestiaire des Bleus. En somme: chacun sa croix, le timing choisi par Lloris pour se désolidariser de son sélectionneur tout en contredisant le président de sa fédération pouvant laisser entendre un besoin d'aller chercher un soutien populaire plus large, où Benzema a ses partisans. Vu du côté tricolore, le Mondial russe aura décidément commencé bien avant l'heure.